Cours de Master 2 Géographie 2005-06 G.A.S.E. (Géographie, Aménagement,Société,
Cours de Master 2 Géographie 2005-06 G.A.S.E. (Géographie, Aménagement,Société, Environnement) Université de Rennes2 Département de Géographie Epistémologie : « Le concept d’espace » Hervé Regnauld Cours 11 : L’ Espace dans la philosophie française contemporaine (partie 2) 11-1: Deleuze et la déterritorialisation « le capitalisme schizophrénise de plus en plus à la périphérie » (Anti-Œdipe, p275) Deleuze est probablement le philosophe contemporain (mais mort en 1995 ) qui a fournit la théorie la plus originale et la plus complexe au sujet de l’espace, entendu comme espace physique et comme espace politique. Mais sa théorie n’est compréhensible qu’en tant qu’elle répond à un besoin logique à l’intérieur d’une pensée plus large, qui s’interroge avant tout sur la notion de « sens » . Toutes les approches que fait Deleuze de l’espace sont secondaires par rapport à une de ses préoccupations principales : qu’est ce qui fait qu’une signification existe ? quel logique a le sens ? (et, par la même occasion comment penser l’être des significations multiples…). L’intérêt de Deleuze pour l’espace s’explique cependant par son soucis politique d’engagement intellectuel. L’espace est ce dans quoi la question du pouvoir despotique se pose… Philosophiquement , l’espace est ce qui met en cause la non matérialité de l’esprit (de l’âme) donc ce qui questionne toute la métaphysique… En conséquence, chercher à comprendre comment le sens apparaît alors que l’espace met en cause le fondement métaphysique du sens… implique clairement qu’une réflexion sur l’espace soit menée avec détermination philosophique et engagement politique. C'est l'objet de l'excellent ouvrage de Antonioli (2003) que je conseille fortement à tout géographe soucieux d'épistémologie. La pensée de Deleuze est difficile à appréhender, pour deux raisons principales. La première est qu’elle présuppose une solide connaissance de concepts philosophiques « classiques », une culture technique vaste. Deleuze a souvent l’habitude d’emprunter des problématiques à Kant, à Nietszche, à Spinoza (il a écrit trois excellent ouvrages sur ces philosophes) sans juger utile de rappeler au lecteur que le débat qu’il ouvre repose sur ces auteurs anciens. Son ouvrage qui s’appelle « Le Pli » nécessite une grande familiarité avec Leibniz. De plus, Deleuze est un grand lecteur de Bergson et manie ses idées avec une aisance presque désinvolte…. Aisance que tous ses lecteurs ne possédent pas…La deuxiéme difficulté vient de ce la pensée de Deleuze est exprimée dans une forme totalement originale, apparemment désordonnée, une forme qui est censée mettre en cause le principe même du livre. « Mille Plateaux » est , ainsi, un ouvrage, illustré de nombreuses images, que l’on peut (paraît-il ) lire en le commençant n’importe où ! Il pousse à bout la conception de Lyotard dans « Discours, Figures ». Avec , entre les mains, un livre dont la forme si ouverte est si « séduisante », on peut facilement lire Deleuze au premier degré et passer à coté de nombre d’idées qui sont extrémement techniques (immanence non transcendante, univocité de l’être et multiplicité) et extrémement délicates. Deleuze est donc, un peu par sa propre faute, un philosophe très lu (très médiatisé sur le web) mais pas un philosophe très compris. Du coup il est souvent invoqué pour justifier n’importe quelle forme de rebellion individuelle contre la sociéte… Il est cependant possible de comprendre sa pensée si l’on suit un chemin simple, et que l’on est prêt à investir du temps. Il faut d’abord lire « Qu’est ce que la Philosophie ? » (1990) (QLP), puis se connecter à un site web qui lui est entièrement consacré, et sur lequel presque tous ses cours sont disponibles en acces libre (http://www.webdeleuze.com; ou bien sur http://www.atol.fr/lldemars2/deleuze/accueil.htm#index). C’est une retranscription de bandes magnétiques enregistrées du 16 –1-71 au 25-5-87 dans les cours que Deleuze faisait à l’Université de Vincennes. On dispose donc de textes qui sont les « brouillons », les ébauches, de ce qui sera publié en livre plus tard. On dispose aussi de textes qui sont les explications de ce qui , dans les livres, est obscur…Une fois qu’on a lu ces textes, on peut, plus facilement, s’attaquer à Mille Plateaux (MP), au Pli ou à l’ Image Temps/Image Mouvement. Egalement, plusieurs essais (Mengue, 1994 ; Badiou, 1997) sont d’excellentes introductions à Deleuze. Enfin, deux numéros du Magazine Littéraire lui sont consacrés ( n° 257 et 406). 11-1-1: les concepts fondateurs (CsO , anti Œdipe… territorialisation/déterritorialisation) La philosophie de Deleuze s’est en partie construite contre celle de Levy Strauss dont la pensée était , dans les années 50 en France, une sorte de position médiane pour ceux qui ne voulaient ni suivre les existentialistes, ni suivre les phénoménologues. Aux premiers ont reprochait leur asservissement à un marxisme stalinien, aux seconds leur absence de fondement théorique. Levy Strauss avait l’avantage de fonder sa démarche sur un solide travail de terrain et sur une théorie (le structuralisme) fortement justifiée par de nombreux philosophes du langage (Saussure par exemple). Deleuze, en fin connaisseur de Kant, reproche aux phénoménologues de confondre le phénomène et la raison du phénomène. Il leur reconnaît cependant le grand intérêt de penser le phénomène comme un processus, pas comme une donnée. Aux marxistes Deleuze reproche leur refus de prendre en compte le désir, l’inconscient, et il ne supporte pas leur autoritarisme. Chez Levy Strauss il trouve une méthode mais il constate un manque : quelles relations existent entre les structures familiales et les structures sociales ? Levy Strauss lui paraît trop anthropologue et pas assez sociologue… Deleuze va donc s’attacher, dans les années 68-70 à construire un ensemble de concepts qui répondent à des exigences bien spécifiques. Au départ il s’agit de dénoncer le capitalisme comme un machine à fabriquer des aliénations, ce qui n’est pas nouveau. Mais Deleuze va essayer de penser à la façon dont l’aliénation s’intériorise dans les hommes, au point de se faire oublier. Sa grande idée est que l’aliénation se présente sous une forme naturelle, évidente, qui n’est pas seulement la structure familiale mais qui est la structure de parenté. Il est effet classique de dire que le capital cherche à imposer des normes idéologiques dans les quelles l’autorité appartient au père, comme le droit appartient au capital et le pouvoir aux patrons…(pensez à la France de Pétain, ou au petit père des peuples en URSS). Ce qui est moins évident est d’expliquer que la construction du rapport père/mère/enfant, de la naissance à l’adolescence , est l’outil par le quel le capital fait rentrer dans le psychisme des hommes (et des femmes) cette intériorisation du principe d’autorité. En d’autres termes, le capital fait passer pour une réalité biologique incontournable (la filiation) ce qui n’est qu’une aliénation idéologique…réactionnaire (l’alliance des classes sous l’idée d’intérêt commun). « il y a une machine à conjuguer les alliances avec les filiations et c’est cette machine qui opére au niveau des codes cette chose fantastique, à savoir que la forme de la reproduction sociale passe par la forme de la reproduction humaine, et que la famille, restreinte ou élargie, c’est toujours, dans une société à code, une politique et une stratégie et une tactique, en d’autres termes, la famille cela n’est absolument pas familial. La famille c’est la forme directe de l’investissement du champ social extra-familial et elle trouve là sa fonction stratégique en tant qu’elle conjugue des alliances avec des filiations » (cours du 7-3-72). Cet extrait explique que le capital fait jouer à la famille un rôle stratégique : faire passer des codes de conduites comme naturels alors qu’ils sont idéologiques. La famille c’est le lieu dans le quel l’enfant apprend à respecter son père et sa mère, non pas par une relation d’amour, mais par ce que son père est géniteur et qu’il est le modèle de hiérarchisation que l’on souhaite que l’enfant applique plus tard, vis à vis du patron, dans sa vie sociale. La famille valorise la notion filiation pour que l’enfant intègre (dans la formation de son inconscient) la notion d’obéissance. La critique de Deleuze est extrément forte. La question qu’il pose c’est : pourquoi devrait obéir à son père, juste parce que le père est géniteur ? En quoi le créateur a-t-il le droit de demander à la créature un respect ? (On distingue bien en quoi Deleuze critique Levy Strauss. Il lui reproche d’avoir analysé des structures familiales en terme de culture, et non pas en terme de systéme économique fabriquant de l’inconscient.) Il est clair que c’est la religion qui longtemps a joué ce rôle. Aujourd’hui , faute de croyance, c’est la psychanalyse qui a pris le relai « le lien de la psychanalyse avec le capitalisme n’est pas moins profond que celui de l’économie politique » (A O, p359). Pour Deleuze la psychanalyse est le code, bourgeois, par lequel le capital a théorisé la fabrication progressive de la relation d’autorité dans l’inconscient. Freud a décrit l’Œdipe, avec beaucoup de précison, mais il a oublié de voir que ce n’était pas une étape biologiquement nécessaire.. Il a oublié de voir que c’était un processus imposé par le capital pour , dés le plus jeune age, domestiquer le psychisme uploads/Philosophie/ master2-11-deleuze-derrida2005-2006.pdf
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- Publié le Jan 12, 2022
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