Re n a u d BARBARAS Lœuvre de Merleau-Ponty ----------------------------------

Re n a u d BARBARAS Lœuvre de Merleau-Ponty ---------------------------------------- — est tout entière commandée LE TOURNANT par le souci de mettre rigou- DE L ’EXPÉRIENCE reusement en œuvre le mot d’ordre husserlien de retour aux choses mêmes, ce qui exige, conformément au geste amorcé par Husserl dans la Krisis, de reconnaître l’œuvre de l’idéalisation - c’est-à-dire de l’objectivation - là même où elle se fait oublier, afin de la neutraliser. À l’instar de Bergson, pour qui la tâche de la philosophie était d’aller chercher l’expérience au-dessus du tournant où, s’infléchissant dans le sens de l’utilité, elle devient proprement l’expérience humaine, Merleau-Ponty définit la philo sophie comme « réactivation totale, pensée de la sédimentation, contact avec l’Être total avant séparation de vie préthéorétique et de Gebilde humain ». La tâche de la pensée est de se situer à ce tournant où l’expérience s’accomplit et se voile à la fois dans des productions où elle se fait proprement humaine, de définir un sens de l’Être antérieur à la bifurcation du préobjectif et de l’œuvre idéalisante. Le but des recherches ici réunies est de tenter de clarifier la nature exacte du tournant de l’expérience et, partant, de prendre pleinement la mesure de la radicalité du projet phéno ménologique merleau-pontien. Renaud Barbaras est Maître de conférences à VUniversité de Paris-Sorbonne et membre de l’ institut Universitaire de France. 9 782711 613434 ISBN 2-7116-1343-7 180 F B IB L IO T H È Q U E D ’H IST O IR E D E LA PH IL O S O P H IE NOUVELLE SÉRIE Fondateur : H enri GüUHlER D irecteur : Jean-François COURTINE LE TOURNANT DE L’EXPÉRIENCE RECHERCHES SUR LA PHILOSOPHIE DE MERLEAU par Renaud B a r b a r a s PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, V e 1998 BIBLIOTHEQUE SAINTE- BARBE D 335 015041 5 Pour Louis L a loi du 11 m ars 1957 n ’autorisant, aux term es des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d ’une part, que les «copies ou reproductions strictem ent réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d ’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d ’exem ple et d ’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentem ent de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite» (Alinéa 1er de l’article 40). C ette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les A rticles 425 et suivants du C ode pénal. ©Librairie Philosophique J. VRIN, 1998 Imprimé en France ISSN 0249-7980 ISBN 2-7116-1343-7 AVANT-PROPOS ’ œuvre de Merleau-Ponty est tout entière commandée par le souci de mettre en œuvre aussi rigoureusement que possible le mot d’ordre husserlien de retour «aux choses mêmes». Cela signifie d’abord interroger les «choses», ce qu’«il y a», sans préjuger de leur mode d’exister, sans projeter par avance un sens prétendument évident de l’existence, qu’il s’agisse du vécu ou de la réalité naturelle. Mais ce mot d’ordre est également un appel à la radicalité. C’est en effet de la chose m êm e qu’il s’agit et dans ce «m êm e» se concentre toute l’exigence du geste car il s’agit précisément de ne pas prendre pour la chose même ce qui s’est édifié sur elle, a fini par s’y sédimenter pour s’intégrer à la chose mais pas à elle-même. La philosophie a donc pour tâche, aux yeux de Merleau-Ponty - et ici la leçon de la Krisis demeure décisive - de neutraliser toute idéalisation, ce qui suppose d’abord de reconnaître l’œuvre de l’idéalisation là même où elle se fait oublier. La philosophie, écrit Merleau-Ponty, « n’est pas theoria ou attitude humaine (theoria a [des] présupposés, comporte idéalisation, sédimentation) - C’est pensée, et de theoria, et de préthéorétique, et de leur tissu commun - La philosophie [est] en cercle sur elle-même. - En tant que Gebilde humain, elle retombe au Lebenswelt et à l’histoire et s’y sédimente, alors qu’elle devrait être réactivation totale, pensée de la sédimentation, contact avec l’Être total avant séparation de vie préthéorétique et de Gebilde hum ain»1 . Ainsi, la «chose même», c’est l’Être total, l’Être avant la scission du pretHeorétique et de l’idéa lisation, et donc avant le recouvrement ou l’occultation de l’un par l’autre; partant, la tâche de la philosophie doit être conçue comme la réactivation d’un pré-humain au double sens de ce qui est plus profond que le « Gebilde humain» et de ce qui le rend possible. A l’instar de Bergson, pour qui la philosophie avait pour tâche « d ’aller chercher l’expérience à sa source, ou plutôt au-dessus de ce tournant décisif où, 1. Noies de cours, 1959-1961, Paris, Gallimard, 1996 (noté N.C.), p. 84. 8 LE TOURNANT DE L’EXPÉRIENCE s’infléchissant dans le sens propre de notre utilité, elle devient pro prement l’expérience humaine»', Merleau-Ponty pense la nécessité du geste philosophique sur fond de ce constat d’un tournant, qui coïncide avec l’humanité elle-même. Le but des recherches ici réunies est de tenter de clarifier la nature exacte de ce tournant et, par là, de prendre pleinement la mesure de la radicalité du projet merleau-pontien. Le retour aux choses-mêmes prend la forme d’un contact avec l’Être avant la séparation du monde préthéorétique et des idéalisations, c’est-à-dire d’une inscription au sein de l’Être total, inscription qui est l’autre nom de la réduction phénoménologique au sens merleau- pontien. L’accomplissement de cette réduction passe par la mise au jour des décisions philosophiques qui, quoique constitutives du mode de philosopher merleau-pontien, ne sont pas toujours thématisées, ni même proprement explicites : elles sont au centre de ces recherches et c ’est pourquoi elles sont abordées de manière récurrente, selon un principe de variation et d’approfondissement progressif. La réacti vation de l ’Être brut exige d’abord que soit mise en évidence la détermination ultime de l’idéalisation, c’est-à-dire la racine dernière de la pensée objective, à un degré de profondeur que Husserl lui-même ne soupçonnait sans doute pas : elle consiste dans le recours incritiqué au principe de raison suffisante et, partant, à une philosophie naïve et, pour ainsi dire, positive du néant. La mise en question de cette philosophie nous permettra de dessiner positivement la figure de l’Être brut, en-deçà de toute idéalisation, que Merleau-Ponty qualifie de «Chair». Cette Chair est caractérisée par une négativité constitutive, une Distance pure qui, en dernière analyse, justifient le recours merleau-pontien au concept d’élément, chargé de ses résonnances Ioniennes, en lieu et place de l’objet. Toutefois, si un tel Etre est exempt de toute sédimentation, la description qui en est faite doit rendre compte, selon un mouvement inverse et pour ainsi dire téléo- logique, de la possibilité de l’idéalisation, c’est-à-dire du tournant qui, en vérité, s’est toujours déjà amorcé au sein de l’Être. Nous serons donc amenés à explorer un sens de la Chair qui échappe à la partition du sensible et de l’intelligible, à la décrire comme intériorité réciproque ou in-différenciation du visible et de l’invisible, comme le lieu d’un transport ou d’un débordement originaires, bref d’une métaphoricité fondamentale. Cependant, à la détermination du sens d ’être du monde antéprédicatif répond l’exigence d’interroger le statut du qui de l’expérience pré-théorétique, c’est-à-dire du mode d’exister 1. Matière et Mémoire, in B e r g s o n , Œuvres, É d . d u Centenaire, Paris, P.U.F, 1959 (noté M.M.), p. 321. AVANT-PROPOS 9 du sujet pré-humain. Cette interrogation passe d’abord par une critique de la philosophie de la conscience, critique qui en saisira les traits constitutifs par-delà le recours explicite aux vécus et en fera apparaître la solidarité avec la pensée objective. Il nous faudra enfin tenter de caractériser positivement cette chair que nous sommes, «subjective» au sens où elle est co-déterminante de l’apparaître. En tant qu’elle répond à la négativité singulière du monde, à l’excès irréductible et inassignable de la transcendance, il faudra en rechercher le trait essentiel du côté du mouvement vivant. L ’ouvrage se développe en deux étapes. Nous avons d’abord voulu mettre l’accent sur le rôle constitutif, pour l’élaboration de la philo sophie de Merleau-Ponty, du dialogue, parfois seulement implicite, qu’il entretient avec certains auteurs ainsi que, de manière cette fois explicite, avec la phénoménologie de Husserl. La confrontation avec la pensée de M. Henry nous permet enfin de cerner de plus près les traits propres de la conception merleau-pontienne de la chair. Un second groupe d’Études tente de caractériser, à la lumière de cette première partie, plus historique, les gestes constitutifs du philosopher merleau- pontien, dont la conquête correspond, pour Merleau-Ponty, au passage de la Phénoménologie de la perception au Visible et l ’invisible. Certaines de ces Études ont fait l’objet d’une première publication sous forme d’articles, mais les textes ont été naturellement revus et remaniés. C ’est le cas de La puissance du visible. Le sentir chez Aristote et Merleau-Ponty, in Chiasm in°2, Milan 1997 (en version italienne); Le tournant de l ’expérience : Merleau-Ponty et Bergson in uploads/Philosophie/ merleau-ponty-le-tournant-de-l-x27-expe-rience-barbaras.pdf

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