La métaphysique Heidegger et le problème de la métaphysique Jean Grondin Philop

La métaphysique Heidegger et le problème de la métaphysique Jean Grondin Philopsis : Revue numérique http s ://philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Ceci est un extrait, retrouvez nos documents complets sur philopsis.fr 1. Heidegger responsable du renouveau et de la fin de la métaphysique ? 2. La primauté de la question de l’être et son rapport à la temporalité du Dasein 3. La destruction herméneutique de l’histoire de l’ontologie dans Etre et temps 4. L’interrègne : la mise en question de l’ontologie fondamentale et le tournant vers la métaphysique 5. La transcendance et la vérité de l’être 6. Qu’est-ce que la métaphysique ? 7. La nouvelle perspective historique sur la métaphysique dans les cours des années 1929-1934 8. Métaphysique, nihilisme, humanisme et technique 9. Les deux grandes pensées de l’être chez Heidegger, celle de la métaphysique et de l’histoire de l’être 10. L’ébranlement du principe de raison Jean Grondin - © Philopsis – Tous droits réservés 1 11. Conclusion 12. Bibliographie 1. Heidegger responsable du renouveau et de la fin de la métaphysique ? Les réflexions contemporaines sur le renouveau, l’actualité, mais aussi, assez paradoxalement, celles sur la fin de la métaphysique doivent beaucoup, sinon tout, à la pensée de Martin Heidegger. Si Heidegger a d’abord promu la cause de la métaphysique au XXe siècle, c’est incontestablement parce que son projet essentiel dans Sein und Zeit était de réveiller la question fondamentale de la philosophie première, celle de l’être. « La question de l’être est aujourd’hui tombée dans l’oubli », proclamait, en effet, la première ligne du livre. Mais pour lever cet oubli, l’ouvrage annonçait qu’il aurait à se livrer à une « destruction » de l’histoire de l’ontologie, qu’il appellera un peu plus tard la métaphysique, et c’est cette idée de destruction (qui n’est pas vraiment destructrice au sens négatif du terme, car son propos est de redécouvrir, de manière positive, la question de l’être en décapant les recouvrements sous lesquels l’histoire de l’ontologie l’aurait enfouie) qui a conduit le second Heidegger à la thèse d’une fin de la métaphysique. Il demeure que, dans Sein und Zeit, Heidegger se proposait bel et bien de reconquérir ce que l’on peut à juste titre considérer comme le thème central de la métaphysique (celui de l’être), mais en prenant le contre-pied de la tradition métaphysique elle-même ou de ce qu’il préférait alors appeler l’histoire de l’ontologie. Dès Etre et temps, Heidegger affecte donc une certaine distance vis-à- vis de la « métaphysique », distance qui se marque d’ailleurs dès la première phrase de l’ouvrage, citée tout au long: «La question de l’être est aujourd’hui tombée dans l’oubli, quand bien même notre temps considère comme un progrès de réaffirmer la ‘métaphysique’ »1. Si la métaphysique est ainsi présente dès la première ligne de Sein und Zeit, elle se trouve entourée de guillemets. Heidegger fait clairement allusion dans ce contexte, même s’il ne nomme personne, au renouveau de la métaphysique qui s’était fait jour chez des auteurs comme Nicolai Hartmann (qui avait publié une Métaphysique de la connaissance en 1921) ou Georg Simmel, mais aussi au sein de ce que l’on a appelé l’interprétation métaphysique de Kant à l’intérieur du néo- kantisme2 dans les premières décennies du XXe siècle. Si l’on pouvait parler d’une « 1Sein und Zeit (1927), p. 1. Le texte de Sein und Zeit (SZ) sera cité suivant la pagination originelle (celle de l’éditeur Niemeyer à Tübingen, avec les notes marginales de Heidegger depuis la 14e éd. de 1977), puisqu’elle a été reprise dans l’édition des Œuvres complètes (GA, t. 1) et en marge de toutes les traductions françaises. Il existe deux traductions intégrales d’Etre et temps en français, qui se livrent une âpre concurrence, mais dont profitent finalement les recherches heideggériennes : la traduction « pirate », parce que hors commerce, due à Emmanuel MARTINEAU, Paris, Authentica, 1985 (qui s’est imposée depuis comme la plus universellement citée, même si elle souffre souvent de préciosité et de quelques contresens : « échéance » au lieu de « déchéance », « factice » pour «factuel», etc.) et la traduction, dite «officielle», faite par François VEZIN, Gallimard, 1986, qui a peut-être trop souvent recours a des néologismes irritants et souvent inutiles (ouvertude, util, etc.). Compte tenu de ces lacunes (mais dont il faut reconnaître qu’elles sont le tribut de toute traduction de Sein und Zeit), il ne faudrait pas oublier la première traduction du livre, sous le titre L’Etre et le temps, faite par Rudolf BOEHM et Alphonse de WAELHENS, Gallimard, 1964, mais qui ne renfermait que la première moitié (les §§ 1-44) du livre. Toutes les références à l’édition des Œuvres complètes (Gesamtausgabe, Klostermann, Francfort, depuis 1975; cinquante tomes parus d’une édition qui devrait en comprendra cent deux) se fera suivant l’indication du sigle GA, du tome et de la page. Cette édition comporte quatre grandes sections : 1) Les écrits publiés par Heidegger lui-même de 1910 à 1976 (16 tomes); 2) Les cours de Heidegger (46 tomes); 3) Les manuscrits inédits (18 tomes), dont les « Beiträge », les Apports à la philosophie de 1936-38, publiés en 1989; 4) Esquisses (20 tomes). Les éditions Gallimard ont entrepris la traduction des tomes de l’œuvre complète. Dans cet article, les traductions sont de l’auteur ou, pour les œuvres déjà traduites en français, ont été le plus souvent modifiées par l’auteur (Heidegger, tous droits réervés) 2 Cf. notamment G. FUNKE, « Die Wendung zur Metaphysik im Neukantianismus des 20. Jahrhunderts », in P. LABERGE/ F. DUCHESNEAU/B. E. MORRISEY (Dir.), Actes du Congrès d’Ottawa sur Kant dans les traditions Jean Grondin - © Philopsis – Tous droits réservés 2 réaffirmation » de la métaphysique, c’est qu’elle s’opposait à la défaveur assez générale dont souffrait la métaphysique depuis Kant. En effet, depuis la Critique de la raison pure de 1781, la métaphysique dite « dogmatique » était une science totalement discréditée, tant et si bien que les penseurs de l’idéalisme allemand, qui ont pourtant élaboré les systèmes métaphysiques les plus ambitieux que l’histoire de la pensée aient connus, se sont eux-mêmes largement gardés de présenter leurs philosophies sous le titre de métaphysique (préférant nettement ceux de « doctrine de la science», de «philosophie de l’identité», de «système de l’idéalisme transcendantal » ou de « science de la logique »). Pour le néo-kantisme, qui s’est développé dans la seconde moitié du XIXe siècle, il ne faisait cependant aucun doute que cet idéalisme n’était qu’une rechute dans la métaphysique. C’est donc au nom de Kant, et contre les idéalistes post-kantiens, que le néo- kantisme a réactualisé le verdict de désuétude porté sur la métaphysique par Kant. Si la philosophie devait être rigoureuse et rester « fondamentale », elle devait se transformer en réflexion épistémologique sur les conditions de possibilité des sciences. Or, cette lecture néo-kantienne avait commencé à perdre de son lustre après la Première Guerre mondiale, et pour plusieurs raisons. D’une part, la réflexion de second degré sur les méthodes des sciences laissait entière la question de l’orientation humaine dans l’existence. C’est un sentiment de désorientation que la fin, abrupte pour les Allemands, de la Première Guerre mondiale et l’expressionnisme ambiant n’ont fait que renforcer3. On s’est donc mis à chercher chez des auteurs comme Kierkegaard, bientôt chez Nietzsche et Jaspers, une nouvelle philosophie de l’existence. D’autre part, les spécialistes de Kant avaient eux- mêmes redécouvert que si Kant avait critiqué la métaphysique traditionnelle, c’était pour frayer la voie à une métaphysique nouvelle. Il n’était donc nullement l’ennemi inconditionnel de toute métaphysique, mais celui qui voulait, au contraire, lui ouvrir un avenir en lui découvrant un espace de rigueur. Ce motif était encore manifeste dans le projet d’une « Métaphysique de la connaissance » de Nicolai Hartmann, qui cherchait surtout à prendre congé de l’idéalisme de l’épistémologie néo-kantienne. C’est ce qui l’a amené à réhabiliter un certain « réalisme », c’est-à-dire un certain sens de l’en-soi, mais toujours dans un cadre épistémologique. Pour toutes ces raisons, le terme de métaphysique était redevenu assez fréquentable à l’époque de Heidegger. 2. La primauté de la question de l’être et son rapport à la temporalité du Dasein C’est à tous ces développements que Heidegger fait écho lorsqu’il parle de la « réaffirmation de la ‘métaphysique’ » dans la première ligne de Sein und Zeit. Mais ses guillemets montrent qu’il souhaite conserver une certaine distance par rapport à cette nouvelle mode métaphysique 4. C’est qu’elle ne lui paraissait pas assez radicale. Le renouveau de la anglo-américaine et continentale, Editions de l’Université d’Ottawa, 1974, p. 36-76. Dans son excellent ouvrage sur le concept de métaphysique chez Heidegger, Gerd HAEFFNER (Heideggers Begriff der Metaphysik, Munich, Hohgannes Berchmans Verlag, 2e éd. 1981, p. 24 et 132) renvoie aux livres de Peter WUST, La résurgence de la métaphysique (1920), Georg SIMMEL, Vision du monde. Quatre chapitres métaphysiques (1918), uploads/Philosophie/ metafica-en-heidegger.pdf

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