La négation La négation chez Hegel Laurent Giassi Philopsis : Revue numérique h
La négation La négation chez Hegel Laurent Giassi Philopsis : Revue numérique http://www.philopsis.fr Les articles publiés sur Philopsis sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès des éditeurs et des auteurs. Vous pouvez citer librement cet article en en mentionnant l’auteur et la provenance. Introduction : position et négation Dans un passage célèbre de son David Hume (1787) Jacobi évoque le souvenir que lui a laissé la lecture de l’analyse kantienne de l’existence dans l’écrit précritique de 1763, L’unique fondement possible d’une démonstration de l’existence de Dieu. La découverte de l’irréductibilité de l’existence l’a ravi au point de lui donner de « violents battements de cœur » comme Malebranche devant le Traité de l’homme de Descartes1. Pour un penseur comme Jacobi faisant de l’existence l’objet d’une révélation antérieure et supérieure à toute conceptualisation, il fallait bien pour ainsi dire une révélation personnelle susceptible de l’éclairer dans sa démarche philosophique. Même si Jacobi n’épargne pas ses critiques à l’idéalisme de Kant contraire à la croyance en la réalité qu’implique une telle révélation2, le ton est donné. La positivité de l’existence devient un thème omniprésent dans la séquence philosophique qui s’ouvre immédiatement après Kant et ce n’est pas le moindre des paradoxes que la montée en puissance de l’idéalisme allemand s’accompagne d’une attention extrême à l’existence 1 Jacobi, David Hume et la croyance ou Idéalisme et réalisme, 1787, trad. Louis Guillermit, Université de Provence, 1981, p. 312-313. 2 Ces critiques sont précisées aussi bien dans « l’Appendice sur l’idéalisme transcendantal » du David Hume que dans Ueber das Unternehemen des Kriticismus die Vernunft zu Verstande zu bringen und der Philosophie überhaupt eine neue Absicht zu geben (1801). www.philopsis.fr © Philopsis – Laurent Giassi 2 dans son surgissement, aux structures eidétiques et ontologiques de la facticité3. Quelques décennies plus tard cette promesse de veiller à la positivité de l’existence a été trahie : qu’il s’agisse de Schopenhauer, tordant le transcendantalisme kantien en confondant l’apparition et l’apparence (le monde phénoménal étant le voile de Maya) ou de Friedrich Schlegel, faisant du système hégélien une divinisation de l’esprit de négation4, c’est la part méphistophélique, négatrice, qui semble l’avoir emporté sur la part faustienne, affirmatrice, accueillante à l’être. Certes les choses ne sont pas aussi tranchées : la plupart des critiques de Kant avaient déjà souligné la dimension destructrice de la philosophie critique, travail de sape de la métaphysique traditionnelle, voire de la morale par son rationalisme radical et son apparent subjectivisme. Et Jacobi lui-même ne manquera pas, comme on l’a dit, de faire chorus en faisant de l’idéalisme un nihilisme qui s’ignore5. On se propose ici de montrer comment la séquence ouverte par Kant permet de comprendre cette caractéristique de la pensée idéaliste qui pose l’être comme indépendant de la pensée (positivité) tout en donnant un nouveau sens à la négation qui n’est ni logique (contradiction) ni ontologique (le néant). Dans sa période précritique Kant soutient la thèse de l’être comme position, ce qui a des conséquences sur la façon de penser la négation comme variété de la position, si on admet la distinction kantienne entre opposition logique et opposition réelle. Hegel, de son côté, poursuit la désontologisation de la res cogitans commencée par Kant et désanthropologise la pensée en faisant du Concept la structure intelligible de tout être. Si la pensée est bien Concept, ou pensée objective, alors la contradiction n’est plus seulement affaire de discours : négation et contradiction deviennent alors des auxiliaires indispensables pour écrire l’être dans son déploiement catégoriel sans faire du négatif un être ou un moindre-être. La thèse kantienne : l’être comme Position et la positivité du négatif Avant d’analyser la signification de la négation chez Hegel on rappellera la façon dont Kant articule position et négation dans le cadre de la philosophie précritique : la négation dialectique s’éclaire quand on comprend pourquoi Hegel modifie la thèse kantienne de l’être comme position absolue. Cette thèse se comprend dans un contexte polémique contre la logicisation intégrale de l’être présente dans la métaphysique wolffienne à laquelle Kant oppose de nombreuses objections dès ses écrits précritiques, la Nouvelle explication des premiers principes de la connaissance métaphysique (1755) et L’Unique fondement possible d’une démonstration 3 Le développement de la W.L. de Fichte, la philosophie du dernier Schelling… 4 Schlegel, Philosophie des Lebens, 1828, Erste Vorlesung. 5 Jacobi, « Lettre de Jacobi à Fichte », in Lettre sur le nihilisme, trad. Ives Radrizzani, Paris, GF-Flammarion, 2009. www.philopsis.fr © Philopsis – Laurent Giassi 3 de l’existence de Dieu (1763). L’idéalisme critique de Kant suppose la remise en cause de la déduction de l’existence à partir du concept, le rejet de toute conception prédicative de l’existence irréductible et antérieure à la possibilité. Avant que Kant ne généralise cette thèse, c’est d’abord dans le cas de Dieu que s’effectue cette délogicisation de l’être qui devait faire vaciller la métaphysique wolffienne. Dans la seconde section de la Nouvelle explication consacrée à l’analyse du principium rationis sufficientis, suivant les critiques déjà esquissées par Crusius6, Kant distingue ce que Wolff a confondu : les raisons d’être de la chose et les raisons de la connaître. Dans son Ontologia Wolff avait ainsi défini le principium rationis sufficientis : « Ex rationem sufficientem intelligimus id, unde intelligitur, cur aliquid sit »7 La ratio sufficiens englobe pour ainsi dire le concept de causa car la ratio rend compte de l’existence des choses et de leur détermination intelligible : « […] Der Grund ist dasjenige, wodurch man verstehen kann, warum etwas ist, und die Ursache is ein Ding, welches den Grund von einem andern in sich enthält »8 [La raison est ce par quoi on peut comprendre pourquoi quelque chose est et la cause est une chose qui contient en soi la raison d’une autre] Comme rien ne vient de rien et qu’il est impossible que quelque chose vienne de rien9 tout ce qui n’existe pas de façon nécessaire a conséquemment une raison suffisante (zureichenden Grund) qui explique pourquoi il est et doit être en soi possible tout en ayant une cause (Ursache) qui le rende effectif (die es zur Würklichkeit bringen kann)10. Sur le plan des principes l’Ursache est entièrement subordonnée au Grund et cette priorité se trouve dans l’intitulé du principe de raison suffisante. Kant critique cette définition car elle est pour lui de nature redondante, pour ne pas dire tautologique : dire que le principe de raison suffisante explique pourquoi une chose est, c’est dire que « la raison est ce qui permet de comprendre pour quelle raison une chose est, au lieu de ne pas être » car Wolff a commis l’erreur de mêler « le défini » [la raison suffisante] à la définition [le principe de raison]. Le cur n’a aucune valeur explicative, il ne fait qu’expliciter la ratio. Afin d’éviter une telle stérilité et de redonner à l’être (cur..sit) toute sa place Kant distingue alors la « raison “antérieurement ” déterminante » et la « raison “postérieurement” déterminante » : 6 Wolff, Dissertatio de usu et limitatibus principii rationatis determinantis vulgo sufficientis, Leipzig, 1713. 7 Wolff, Philosophia prima sive Ontologia, 1736, caput II, §56. 8 Wolff, Vernünftige Gedancken von Gott, der Welt und der Seele des Menchen, auch allen Dingen überhaupt, §30. 9 Ibid., §28. 10 Ibid., §30. www.philopsis.fr © Philopsis – Laurent Giassi 4 « La raison “antérieurement ” déterminante est celle dont la notion précède ce qui est déterminé, c'est-à-dire sans la supposition de laquelle le déterminé n’est pas intelligible. La raison “postérieurement” déterminante est celle qui ne serait pas posée si la notion déterminée par elle ne l’était pas déjà d’ailleurs. On pourrait appeler aussi la première raison celle qui répond à la question « Pourquoi », c'est-à-dire celle qui concerne l’être ou le devenir, la seconde celle qui répond à la question « Quoi », c'est- à-dire celle qui concerne la connaissance. »11 Cette distinction scolastique entre deux raisons déterminantes essaie de déconstruire, à l’intérieur même de l’ontologie, la thèse métaphysique de la causa sive ratio qui confondait l’ordre ontologique et l’ordre logique, l’être et le connaître. L’exemple que prend Kant pour illustrer cette distinction ne fait pas sentir tout de suite les effets de ce dédoublement de la raison suffisante en deux raisons déterminantes : la « ratio antecendenter determinans » ou raison antérieurement déterminante explique pourquoi une chose est ce qu’elle est, en répondant à la question « Pourquoi ? » ; la « ratio consequenter determinans » ou raison postérieurement déterminante exprime le fait que la chose est. Kant prend un exemple tiré de la physique pour illustrer cette distinction : les éclipses des satellites de Jupiter sont la ratio cognoscendi – la raison postérieurement déterminante – de la connaissance de la propagation non-instantanée de la lumière qui a une certaine vitesse. Mais la raison d’être de cette propagation, la ratio essendi ou raison antérieurement déterminante, réside ici dans la nature des globules élastiques de l’éther12. Sans cette raison déterminante il n’y aurait rien de déterminé. Comme on le voit il uploads/Philosophie/ giassi-laurent-la-negation-chez-hegel.pdf
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- Publié le Jan 07, 2022
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