Mots. Les langages du politique 68 | 2002 Les métaphores spatiales en politique

Mots. Les langages du politique 68 | 2002 Les métaphores spatiales en politique Ruth Amossy, L’argumentation dans le discours, Nathan Université, 2000, 247 p. Roselyne Koren Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/mots/7263 DOI : 10.4000/mots.7263 ISSN : 1960-6001 Éditeur ENS Éditions Édition imprimée Date de publication : 1 mars 2002 Pagination : 141-143 ISBN : 2-84788-007-0 ISSN : 0243-6450 Référence électronique Roselyne Koren, « Ruth Amossy, L’argumentation dans le discours, Nathan Université, 2000, 247 p. », Mots. Les langages du politique [En ligne], 68 | 2002, mis en ligne le 30 avril 2008, consulté le 22 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/mots/7263 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mots.7263 © ENS Éditions Comptes rendus Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours, Nathan Université, 2000, 247 p. L’argumentation est un objet de recherche dont le statut ne va pas de soi dans les sciences sociales et les sciences du langage. Oswald Ducrot et Jean-Paul Anscombre lui ont donné des lettres de noblesse en la pla- çant au centre de la théorie de l’argumentation dans la langue, mais la place de « l’analyse argumentative » dans le discours était encore à oc- cuper. L’argumentation dans le discours contribue à pallier ce manque. La conception et la définition de l’argumentation qui sous-tendent l’en- semble de l’ouvrage sont liées à la rhétorique d’Aristote et à la nouvelle rhétorique de Chaïm Perelman par des liens essentiels, mais non pas ex- clusifs : l’auteur réfère également à Christian Plantin, Jean-Blaise Grize, O. Ducrot et J.-C. Anscombre, etc. (voir l’introduction, p. 1-23) ; les tra- vaux de référence, en matière d’analyse du discours, sont essentielle- ment ceux de Dominique Maingueneau. L’analyse argumentative a pour principe de base une « approche lan- gagière », « communicationnelle », « dialogique », « interactionnelle », « générique », « stylistique » et « textuelle ». Les réponses à la question « Quels objets pour l’analyse argumentative ? » sont étroitement liées aux décisions théoriques suivantes : « À l’opposition problématique de l’argumentatif et du non-argumentatif, on substituera la conception des degrés d’argumentativité /…/ telle que la développe Christian Plantin » (p. 24). R. Amossy propose en l’occurrence une distinction (dont la suite de l’ouvrage démontre la légitimité et la pertinence) entre « la visée et la dimension argumentative des discours ». Il s’agit, dans le premier cas, des discours qui « visent explicitement à agir sur le public » ; « exercer une influence sans se donner pour autant comme une entreprise de per- suasion » est le but poursuivi par les textes à « dimension argumenta- tive » (voir p. 25). Parmi les discours qui comportent une dimension, mais non une visée argumentative figurent « l’article scientifique, le re- portage, les informations télévisées, certaines formes de témoignage ou d’autobiographie, le récit de fiction, la lettre amicale, la conversation quotidienne » (p. 26). Le corpus constuit par R. Amossy est délibéré- ment transgénérique (voir la liste complète des textes analysés p. 237-238) : « Le recours à un vaste éventail de textes doit permettre d’abolir les cloisons étanches qui isolent trop souvent le littéraire du non-littéraire, le fictionnel du factuel, les genres nobles des genres 141 Mots. Les langages du politique, n° 68, mars 2002 142 Comptes rendus déclassés ». Il ne s’agit nullement, affirme-t-elle, de gommer la spécifi- cité des divers genres, mais d’augmenter la visibilité des « facteurs » et des « mécanismes communs qu’il importe de dégager » (p. 8). L’analyste s’attache donc, par exemple, « au discours prononcé à l’Assemblée nationale » comme au « manifeste pacifiste », mais veille aussi à examiner « le débat d’idées, la polémique journalistique et le ré- cit fictionnel à la première et à la troisième personne ». Il y a enfin argumentation, affirme R. Amossy, « quand une prise de position, un point de vue, une façon de percevoir le monde s’exprime sur le fond de positions et de visions antagonistes ou tout simplement di- vergentes, en tentant de prévaloir ou de se faire admettre. Ainsi, il ne peut y avoir de dimension argumentative des discours en dehors d’une situation où deux options au moins sont envisageables » (p. 26). La si- tuation rhétorique où s’affrontent deux positions adverses n’est cepen- dant pas une condition nécessaire dans l’analyse argumentative ; le dé- bat « peut rester tacite », « ni la question rhétorique ni la ou les réponses antagonistes n’ont besoin d’être expressément formulées ». « Le dis- cours argumentatif, affirme R. Amossy, peut proposer des questions qu’il travaille à dégager et à formuler, mais qu’il se refuse à trancher » (p. 27). Cette déclaration vaut aussi pour l’argumentaire de l’auteur qui ne souhaite pas dépasser les limites du parti-pris épistémologique ni ju- ger les discours analysés en termes éthiques : « La critique idéologique met à jour des préjugés dont elle souligne les effets nocifs. L’analyse de l’argumentation dégage les couches doxiques sur lesquelles se construit l’énoncé sans pour autant avoir à prendre parti sur leur valeur ou leur degré de nocivité » (p. 93 ; voir aussi p. 114, 127, 140, 224, 227). Le plan de l’ouvrage comprend quatre parties : - « Le dispositif d’énonciation » (chap. 1 « L’adaptation à l’auditoire », chap. 2 « L’ethos oratoire ou la mise en scène de l’orateur ») ; - « Les fondements de l’argumentation » (chap. 3 « Le plausible et l’évident : doxa, interdiscours, topiques », chap. 4 « Enthymèmes et analogies ») ; - « Les voies du logos et du pathos » (chap. 5 « Éléments de pragma- tique pour l’analyse argumentative », chap. 6 « Le pathos ou le rôle des émotions dans l’argumentation », chap. 7 « Entre logos et pathos : les fi- gures ») ; - « Les genres de discours » (chap. 8 « Cadres formels et institution- nels »). La dissociation entre visée et dimension argumentatives donne toute sa mesure dans le cas de l’analyse du récit de fiction littéraire que je prends ici comme exemple type. C’est là, dans le cas si complexe de la question de l’engagement du texte littéraire, qu’apparaissent le plus clairement les enjeux de la décision théorique suivante : « reformuler en l’élargissant la définition fournie par la nouvelle rhétorique de C. Perelman » ; l’argumentation consiste donc dans « les moyens ver- baux qu’une instance de locution met en œuvre pour agir sur ses allo- cutaires en tentant de les faire adhérer à une thèse, de modifier ou de renforcer les représentations et les opinions qu’elle leur prête, ou sim- plement d’orienter leur réflexion sur un problème donné » tout « en se refusant à trancher » (p. 27, 29). On lit ainsi, à propos du Colonel Chabert : « C’est à travers l’organisation propre à l’incipit romanesque que le texte dénonce implicitement un état de fait en même temps qu’il l’expose » (p. 28) ou, dans le cadre de l’analyse d’un extrait de l’Étoile errante de Le Clézio : « Les modes de présentation de la situation (l’ab- sence d’un agent responsable) et la situation de fiction modèlent la ré- action émotionnelle en la coupant de toute indignation active et de tout engagement militant. Le texte répond ainsi à une vocation romanesque qui le voue à l’exploration de la condition humaine /…/ Le sentiment qui fait peser une interrogation sans réponse sur un destin tragique se suffit, aucun appel à l’action n’est censé en dériver » (p. 172). Il n’y a pas d’argumentation sans contre-argumentation… On peut donc considérer que « la conception des degrés d’argumentativité » évite de dissocier des modes de persuasion qui diffèrent non pas par leur nature, mais par l’ampleur de leur champ d’action et par leur force illo- cutoire ; chaque auteur, chaque narrateur serait libre de réguler le degré d’argumentativité de ses dires en ses propres termes et en fonction du genre discursif de son choix, mais on peut aussi se demander s’il y a en- core argumentation lorsqu’un texte se contente de « faire peser une in- terrogation sans réponse ». La nouvelle rhétorique perelmanienne consi- dère en effet le passage à l’action et l’acte de trancher comme des traits définitoires inhérents à l’argumentation. Problématiser, est-ce déjà ou n’est-ce pas encore argumenter ? N’y a-t-il vraiment aucun appel à l’ac- tion dans les textes à « dimension » argumentative ? Les réponses pro- posées par R. Amossy sont en tout cas claires et extrêmement rigou- reuses. On peut s’en désolidariser ou abonder dans leur sens, mais cela ne modifie pas le fait que L’argumentation dans le discours possède les qualités de l’ouvrage de référence : il suscite la réflexion, met ses déci- sions théoriques en pratique dans le cadre de commentaires de textes toujours enrichissants et propose des instruments de travail extrême- ment précieux. Roselyne Koren 143 Comptes rendus uploads/Philosophie/ mots-7263.pdf

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