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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « L’écriture de Nietzsche dans Zarathoustra » Serge Botet Philosophiques, vol. 38, n° 2, 2011, p. 383-417. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1007457ar DOI: 10.7202/1007457ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 4 January 2016 10:59 PHILOSOPHIQUES 38/2 — Automne 2011, p. 383-418 L’écriture de Nietzsche dans Zarathoustra SERGE BOTET Université de Clermont-Ferrand 2 RÉSUMÉ. — La Zarathoustra de Nietzsche, de son propre aveu l’opus magnum de Nietzsche a toujours été appréhendé sous l’angle de ses contenus et de ses thématiques : volonté de puissance, surhumain, éternel retour. Le vitalisme de Nietzsche, illustré par ces trois enseignements centraux de Zarathoustra, a rare- ment été recherché dans la forme et les caractéristiques précises d’un dis- cours qui se voulait pourtant novateur et que l’on pouvait supposer — à l’opposé du discours neutre et reproducteur de la tradition philosophique — chercher à être lui-même « vital ». Pour les mêmes raisons, comment a-t-on pu négliger à ce point l’impact communicationnel qu’un tel discours se devait de produire sur ses lecteurs, à l’image du discours prosélyte que Zarathoustra adresse sans cesse à ses auditoires ? Si Zarathoustra est une apologie du vouloir exacerbé sous toutes ses formes, ne fallait-il pas justement qu’il fût un appel à vouloir, un manifeste plutôt qu’un traité. C’est ce renouveau qu’ap- porte le discours nietzschéen dans le discours philosophique séculaire, c’est sa fonction appellative que nous entendons analyser ici à l’aide d’une pano- plie d’outils linguistiques allant de la morphosyntaxe aux modèles actantiels, mais toujours dans l’objectif de replacer ces caractéristiques dans une pers- pective philosophique. ABSTRACT. — Nietzsche’s Zarathustra, the philosophical work that the phil- osopher regarded as his magnum opus, has always been approached through its contents and themes : the will to power, the Übermensch, Overman, eternal recurrence. Nietzsche’s “vitalism,” as illustrated by Zarathustra’s three central teachings, has rarely been sought in the form and precise characteristics of a discourse that was intended to be innovative and could therefore itself be expected to be “vital,” (in contrast with the neutral discourses that simply reproduced the philosophical tradition). Allowing this hypothesis, we must ask how interpreters could ignoreFor the same reasons, how could interpreters ignore to such an extent the communicative impact that such a discourse was intended to produce on its readers, following in its way the proselytizing dis- course that Zarathustra restlessly addressed to his audiences ? If Zarathustra represents the apologia of an exacerbated will in all its forms, is it not logical to regard Nietzsche’s work as an appeal intended to strengthen that will ; as a manifesto rather than a treatise ? It is thus the renewal that Nietzsche’s dis- course brings to traditional philosophical discourse andthe appellative function it fulfi lls that we will analyse here, using a variety of linguistic tools ranging from morphosyntax to actantial models. Our aim will invariably be to set these fea- tures in a philosophical perspective and framework. MOTS-CLÉS : appel, déconstruction, déconstructivisme, diégèse, interprétation, discours, métaphore, perspectivisme, récit, volonté de puissance. 384 • Philosophiques/Automne 2011 I. Zarathoustra comme renouveau du discours philosophique Avant d’exposer les principales thèses qui justifi ent ce que suggère le titre de la présente étude, nous proposerons certains préalables méthodologiques sans lesquels notre lecture de l’œuvre, qui se veut novatrice, serait diffi cile- ment compréhensible. D’une façon générale, notre travail porte sur l’écri- ture philosophique au sens large, plus spécialement en tant que cette écriture est le support de signifi ances philosophiques1. Autrement dit, notre objectif n’est pas simplement l’étude du style des philosophes sans lien avec leurs doctrines, mais l’étude de l’articulation de ces dernières dans des types spé- cifi ques d’écritures qui, loin d’être accessoires, sont constitutifs de ces doc- trines. L’objectif est en somme l’étude conjointe du « fond » et de la « forme » du discours philosophique, sachant que cette « forme », si elle est largement prise en compte dans l’étude du texte littéraire, est le plus souvent consi- dérée comme assez accessoire en philosophie. L’opposition classique entre forme et fond est déjà en soi suffi samment parlante à ce propos : le fond est essentiel ; la forme est plus ou moins accidentelle. Cela est sans doute plus vrai encore en philosophie. C’est ici l’idée qui prime ; l’écriture, elle, exprime. Son rôle est fatalement second, ou du moins considéré comme tel. L’exis- tence même de ce volet de la philosophie qualifi é d’« histoire des idées » en est la preuve ; il est rarement question de l’écriture ou de la formulation de ces idées. Bref, le « dire » de la philosophie est traditionnellement une sorte de point aveugle. Bien sûr, nous n’entendons cela qu’en termes de tendances. Nom- breux sont les philosophes pour lesquels doctrine et formulation furent indissociablement liées. Citons par exemple Descartes, dont la « Méthode » est impensable sans le récit de vie autobiographique qui en souligne les étapes2. Comme on l’a également montré, le même Descartes utilise dans ses Méditations la pluralité référentielle du déictique « je » pour construire au fi l du texte — et faire participer didactiquement le lecteur à cette lecture du texte — un « je » générique qui constitue lui-même par étapes l’univer- salité du « je pense »3. Finalement Descartes n’a-t-il pas (est-ce un hasard ?) exposé des thèses sensiblement similaires de deux façons différentes dans le Discours et dans les Méditations ? Dans ce registre, on pourra également citer l’exposé more geometrico de Spinoza dans son Éthique. Comme l’énonce Frédéric Cossuta, l’exposition géométrique retenue par Spinoza (divisions et subdivisions en paragraphes renvoyant les uns aux autres de 1. Nous reviendrons sur cette notion. 2. Frédéric Cossuta, « Argumentation, ordre des raisons et mode d’exposition dans l’œuvre cartésienne », Descartes et l’argumentation philosophique, Paris, PUF, 1996, p. 111-185. 3. Magid Ali Bouacha écrit en conclusion de l’analyse qu’il fait de ce phénomène : « Les méditations peuvent ainsi se lire comme le lieu discursif où se joue la transformation de la première personne, passant du simple marquage indiciel au rang de catégorie conceptuelle » (« De l’Ego à la classe des locuteurs : lecture linguistique des Méditations », in L’analyse du discours philosophique, Langages n° 119, Paris, Larousse, septembre 1995, p. 79-94). L’écriture de Nietzsche dans Zarathoustra • 385 façon synoptique) permet plusieurs lectures échelonnées qui se réfèrent étroitement à des moments précis de la doctrine débouchant sur le vrai4. L’une et l’autre doctrine gèrent respectivement leur « forme » en fonction de leur teneur philosophique, à savoir la transcendance du sujet pensant chez Descartes, l’immanentisme de la substance chez Spinoza. Mais à notre sens, ces isomorphismes entre fond et forme, si usuels et signifi catifs fussent-ils, ne remettent pas foncièrement en question le primat de l’idée sur l’expression qui marque l’histoire des idées. Même si l’on ne peut dénier aux philosophes susmentionnés un degré parfois signifi catif de « conscience » des formes, il nous semble que c’est à une philosophie plus tardive que revient le mérite d’avoir porté un véritable regard spéculaire sur sa propre activité consistant à philosopher et à écrire de la philosophie. Cette orientation fut d’ailleurs contemporaine d’un certain scepticisme ambiant vis-à-vis de la langue et du langage, dont on interrogea de plus en plus les limites, tout en exploitant leurs ressources suggestives. On ne peut rien dire de vraiment nouveau avec des mots usés, et surtout, on ne peut parler de l’être et laisser de côté le dire de l’être. Des philosophes comme Heidegger ou Nietzsche eurent, à notre avis, une conscience aiguë de cette aporie qui les mit pour la première fois en rupture radicale avec la tradition du primat de l’idée. L’un comme l’autre auraient certainement voulu se passer du langage, le premier pour manifester la différence être/étant, l’ouverture de l’étant à son être, le second pour manifester la volonté de puissance. Mais comme solution de remplacement à la parole, il n’y a que le silence, et le silence est synonyme de vide philosophique. Si langue et langage sont donc un passage forcé, ils sont interrogés et explorés par le philosophe avec une acuité d’au- tant plus grande qu’ils sont considérés comme des moyens inadéquats ; aux limites du dicible et du communicable, la langue et le langage, particulière- ment ceux que la tradition philosophique a forgés, sont des obstacles. L’ob- jectif du philosophe sera donc de les « pervertir », de les détourner de leurs fonctions, mais aussi uploads/Philosophie/l-x27-ecriture-de-nietzsche-dans-zarathoustra.pdf

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