45 Math. & Sci. hum., Mathematics and Social Sciences (41 e année, n° 162, 2002

45 Math. & Sci. hum., Mathematics and Social Sciences (41 e année, n° 162, 2002, p. 45-92) LA LOGIQUE COMBINATOIRE : LOGIQUE DE L’OBJET QUELCONQUE OU LOGIQUE DE L’OPÉRATEUR ? Jean-Pierre GINISTI 1 RÉSUMÉ – La logique combinatoire est-elle une logique de l’objet quelconque ou une logique de l’opérateur ? (1) Les engagements philosophiques de la logique combinatoire sont expliqués à partir de plusieurs principes, pas toujours explicites dans la littérature (pansémie, formalisation complète, neutralité ontologique, réversibilité, libre application). (2) Des exemples (connus, puis nouveaux) du style combinatoire sont donnés pour identifier le programme de cette logique. Les contributions techniques de l’auteur sont (principalement) : l’élimination des foncteurs propositionnels par des nouveaux combinateurs (des distributeurs d’objets sémantiques), puis par des combinateurs classiques. La curryfication et la théorie de la fonctionnalité sont reconsidérées. Partout, la notion d’objet quelconque s’avère capitale. MOTS-CLÉS – Logique combinatoire, Formalisation, Ontologie, Curryfication SUMMARY – Combinatory logic: a logic of any objects whatever or a logic of operators? Is combinatory logic a logic of any objects whatever or a logic of operators ? (1) The philosophical commitments of combinatory logic are explained from several principles, not always explicit in literature (pansemy, complete formalisation, ontological neutrality, reversibility, free application). (2) Examples (known, then new) of the combinatory style are given in order to identify the program of this logic. The technical contributions of the author are (mainly) : the elimination of propositional functors by new combinators (distributors of semantical objects), then by classical combinators. The process called “currying” and the theory of functionality are revisited. Everywhere, the notion of “any object whatever” turns out to be capital KEYWORDS – Combinatory logic, Formalization, Ontology, Curryfication Notre problème sera d’identifier ce à quoi s’adresse exactement la logique combinatoire, la nature des objets sur lesquels porte sa théorie. Il y a en effet certaines divergences, au moins apparentes, entre les interprètes : pour les uns, en bref, la logique combinatoire est une logique de l’objet quelconque, pour les autres, une logique de l’opérateur. On peut donc préciser les deux optiques, examiner dans quelle mesure elles s’opposent et tenter d’arbitrer entre elles. Avant examen, on entendra par opérateur, de la manière la plus générale, un être qui conduit à un certain résultat quand il porte, selon ce qu’il exige, sur une ou plusieurs données, ses opérandes2. D’autre part, un objet (dans 1 Professeur à l’Université Lyon III Jean Moulin, Faculté de philosophie, 1 rue de l’Université, B.P. 0638, 69239 Lyon. 2 En ce sens, nous écrirons «!opérateur1!» quand il faudra le distinguer de certains autres. Nous écrirons «!LC!» pour «!logique combinatoire!». Nous nous accorderons quelque liberté avec l’emploi des 46 J.-P. GINISTI une classe qui le spécifie) est dit quelconque si on a égard seulement à des propriétés qui sont celles de tous les autres objets (de cette classe), même si on lui connaît des propriétés singulières. 2 est un nombre premier quelconque relativement à la définition de «!nombre premier!», 2 n’est pas un nombre premier quelconque relativement à sa propriété d’être pair. Un objet (non spécifié, donc quelconque en un deuxième sens, capital en LC) est quelconque (au premier sens), si dans chaque interprétation (où il appartiendra évidemment à une certaine classe) il est traité en ayant égard seulement à des propriétés qui seront celles de tous les autres objets de cette classe. Nous commencerons par rappeler comment se présente aujourd’hui la morphologie (c’est-à-dire l’alphabet et les règles de formation) d’un système de logique combinatoire. 1. LA MORPHOLOGIE COMBINATOIRE Si la LC est restreinte strictement à elle-même, au traitement exclusif de ses propres concepts, on dit qu’elle est pure. Si elle s’adjoint des éléments (par exemple des quantificateurs) qui sont destinés à permettre, à retrouver ou à faciliter le traitement des problèmes usuels de la logique, on dit qu’elle est illative. La logique combinatoire pure, sous une forme qu’on peut dire basale, a besoin de l’alphabet suivant. Nous le formulerons aussi formellement que possible, pour éviter de préjuger ce à quoi on s’adresse. ß Cinq éléments de première espèce : I, K, W, C, B (dont nous dirons qu’ils forment l’ensemble E) ; ß Un élément de deuxième espèce, noté * ; ß Un élément de troisième espèce, noté Æ ; ß Deux éléments de quatrième espèce, notés (, ) 3. On se donne alors les règles de formation suivantes : ß Un élément de E est un objet ; ß Si x1 et x2 sont des objets, (x1 * x2) est un objet ; ß Rien d’autre n’est un objet ; ß Si x1 et x2 sont des objets, x1 Æ x2 est un énoncé ; ß Rien d’autre n’est un énoncé. guillemets qui devraient toujours distinguer la mention de l’usage des symboles. Notre analyse portera davantage sur des concepts que sur des techniques. Nous avons présenté celles-ci par ailleurs, voir [15], [16]. Rappelons que la LC est issue d’un article de Schönfinkel, [29], et doit l’essentiel de son développement à Curry. 3 Cette version est commode, mais non minimale : (i) En remplaçant I, W, C, B par S (note 4), deux éléments suffiraient en première espèce. (ii) On peut éviter les éléments de quatrième espèce en notant de manière préfixée l’élément de deuxième espèce (voir, ici, en IV). En outre, cette version est basale car elle peut réaliser l’accord (ou un très large accord) entre les logiciens d’obédience combinatoire, mais on se demandera s’il lui manque encore des éléments acceptables. LA LOGIQUE COMBINATOIRE 47 x1 et x2 (ainsi que x3 x4, …) sont des métavariables. Nous utiliserons aussi x, y, z, w, selon commodité. L’objet est atomique s’il appartient à E. Il est moléculaire dans le cas contraire. Dans une expression de forme (x1 * x2) nous omettrons l’élément *, en écrivant (x1x2), comme on écrit 2x pour 2 ¥ x. Nous omettrons aussi les éléments (, ) qui entourent des objets deux par deux à partir de la gauche dans une expression. Ainsi, (((x1x2)x3)x4) s’écrira x1x2x3x4, ((x1x2)(x3x4)) s’écrira x1x2(x3x4). La convention vaudra aussi pour les sous-expressions délimitées par des éléments (,!) non évitables ; (x1((x2x3)x4)) s’écrira x1(x2x3x4). Des mesures comparables d’association à gauche, (AG), seront prises dans les autres systèmes dont nous parlerons. Pour s’exprimer commodément, on peut dénommer les différents ingrédients, mais cela présente le risque, comme on le verra, de ramener la LC à des approches qui ne sont pas les siennes. ß I, K, W, C, B sont des objets dits combinateurs ; ß * est un opérateur binaire dit application (même si applicateur conviendrait mieux)!; ß Æ est une relation binaire dite réductibilité ; ß (,!) sont des signes de ponctuation dits, respectivement, parenthèse gauche et parenthèse droite. D’autre part, un objet dont chaque atome est un combinateur sera dit lui-même combinateur (combinateur moléculaire). Aux combinateurs primitifs sont associées des règles dites de réduction, à savoir : mais qu’on doit lire, en vertu de (AG) : Ix1 Æ x1 (Ix1) Æ x1 Kx1x2 Æ x1 ((Kx1)x2) Æ x1 Wx1x2 Æ x1x2x2 ((Wx1)x2) Æ ((x1x2)x2) Cx1x2x3 Æ x1x3x2 (((Cx1)x2)x3) Æ ((x1x3)x2) Bx1x2x3 Æ x1(x2x3) (((Bx1)x2)x3) Æ (x1(x2x3)) 4 On s’expliquera plus loin sur le sens de ces formules car une partie importante de notre sujet dépend de la manière dont il faut comprendre la colonne de droite. On désignera par (I), (K), etc. chacune de ces règles. Une expression de forme x Æ y se lit «!x se réduit à y!», mais on peut la comprendre «!si on a l’objet x, alors on a l’objet y!», «!il suffit d’avoir l’objet x pour avoir l’objet y!», comme on a p … q (toutefois, ‘Æ’ n’est pas une implication, puisque x et y ne sont pas des propositions). La relation ‘Æ’ admet aussi les règles!: (r) x Æ x réflexivité. (m) x Æ y : zx Æ zy règle de monotonie droite. (n) x Æ y : xz Æ yz règle de monotonie gauche. (t) x Æ y, y Æ z : x Æ z règle de transitivité 5. 48 J.-P. GINISTI où les «!:!» expriment que (m), (n), (t) sont des règles de déduction entre énoncés. (r) peut se comprendre «!il suffit d’avoir x pour avoir x!», rien d’autre n’est exigible, comme on a par ailleurs p … p (lecture qui rend (r) plus naturel, sans doute, que «!x se réduit à x!»). (m) et (n) admettent que si la réduction de x à y est possible, elle n’est pas empêchée par le fait d’avoir zx ou xz, quel que soit z, mais qu’elle produit respectivement zy et yz. (t) est naturel selon le sens de ‘Æ’. Ce langage sera nommé LC1. Il est clair que les objets y sont I, K, W, C, B et leurs combinaisons. On pourrait donc dire qu’il ne s’agit pas d’objets quelconques. On ne s’adresse qu’à des combinateurs, des objets bien précis dont les atomes ont une règle de réduction spécifiée. Mais cela provient évidemment de ce qu’on entend traiter du type d’objet qui est propre à la LC et pas encore du concept général d’objet. C’est seulement l’objectif uploads/Philosophie/ n162r874-pdf.pdf

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