TÉMOIGNAGE ET THÉOLOGIE Catherine Chalier In Press | « Pardès » 2007/1 N° 42 |
TÉMOIGNAGE ET THÉOLOGIE Catherine Chalier In Press | « Pardès » 2007/1 N° 42 | pages 17 à 30 ISSN 0295-5652 ISBN 9782848351209 DOI 10.3917/parde.042.0015 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-pardes-2007-1-page-17.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour In Press. © In Press. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Ce n’est pas de la théologie que je fais, mais de la philosophie 1.» Cette affirmation engage évidemment une thèse sur le concept de théologie : on peut ainsi se demander où se situe la différence, dans l’esprit de Levinas, entre un discours philosophique où le mot «Dieu» apparaît et un discours théo- logique puisque, loin de s’abstenir de toute réflexion à propos de «Dieu», son œuvre s’y réfère souvent et perdrait une de ses significations majeures si ce mot en disparaissait. Cette profonde réserve vis-à-vis de la théolo- gie allant de pair, chez Levinas, avec l’écoute attentive de la parole prophé- tique et ce qu’il nomme la «confiance dans la sagesse des sages 2», il semble en outre difficile d’admettre que, lorsque le mot Dieu vient à son esprit et dans son écriture, son geste soit uniquement celui d’un philo- sophe qui l’utiliserait dans une optique spéculative destinée à faire de ce Dieu un principe, une Idée de la raison ou encore l’objet d’une intuition intellectuelle. L’abstraction qu’il reproche aux théologiens – «l’idée abstraite de Dieu est une idée qui ne peut pas éclairer une situation humaine. C’est l’inverse qui est vrai 3 » – ne caractérise-t-elle pas en effet autant le discours philosophique sur Dieu que celui de la théologie? La quête de la légitimité propre à l’usage du vocable «Dieu» ne se résume toutefois pas, pour Levinas, à la conflictualité entre philosophie et théologie. Il cherche, avant tout, à dire en quelles circonstances humaines ce vocable reçoit une signification irréductible à tel ou tel concept de Dieu. Or c’est précisément cette quête de la signification du mot Dieu qui demande d’introduire un autre vocable encore, celui de «témoignage», puisque, selon Levinas, sans ses témoins, jamais le Dieu PARDÈS N° 42 © In Press | Téléchargé le 29/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.225.223.181) © In Press | Téléchargé le 29/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.225.223.181) de la Bible ne viendrait à l’idée des hommes. Sans doute pourraient-ils encore se risquer à pousser au plus loin les limites de la raison et spécu- ler sur Dieu voire, comme Spinoza, prétendre en penser l’essence de façon adéquate. Cependant, dans son grand silence et dans sa radicale indifférence, ce Dieu là, ce Dieu principiel, éclairerait-il la situation humaine à la façon dont Levinas le demande au mot «Dieu»? Que le témoignage soit indispensable à la pensée d’un Dieu irréduc- tible à un principe, à une idée de la raison ou à une intuition intellec- tuelle, c’est toutefois introduire – au cœur de la philosophie et de la théo- logie – une dimension irréductible au savoir. Le témoignage n’est en effet pas, pour Levinas, une opinion ou un avis subjectif et partial, un en deçà de la théorie ou un discours plus ou moins fiable, comme on le pense souvent. Il ne fait pas venir à l’esprit une vague idée ou un certain pres- sentiment de Dieu car il ne constitue pas une connaissance approxima- tive en attente de sa relève par le concept et par une certitude enfin ferme- ment établie grâce à des preuves théoriques ou expérimentales. Par contre, de façon juste, droite et insoumise au doute, il atteste de ce que Dieu a une voix, une voix qui habite la chair de ses témoins. Dans un monde souvent privé d’espoir et largement ignorant de Dieu – même quand il s’en réclame avec violence – cette voix commande au témoin qu’il devienne lui-même signe pour autrui. Le témoin est celui qui répond à cette voix mais – et c’est essentiel – sans savoir qu’il le fait, sans avoir le temps de la réflexion ou du retour à soi pour se dire qu’il accepte (ou refuse) d’être ce témoin. Davantage, dit encore Levinas, c’est Dieu même qui sort alors de sa clandestinité par la voix du témoin lorsque celui-ci s’approche d’autrui, s’en sait responsable et en répond, sans en avoir délibéré au préalable. Le propos de cette étude sera donc d’élucider la tension entre les théo- logies et le témoignage: a) le sens de la critique propre à l’abstraction théologique (voir note supplémentaire à la fin de cette étude); b) la théologie négative n’échappe pas à cette critique; c) le témoignage n’est pas une opinion; d) la trace de Dieu et l’attention du témoin. 18 CATHERINE CHALIER © In Press | Téléchargé le 29/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.225.223.181) © In Press | Téléchargé le 29/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.225.223.181) L’ABSTRACTION THÉOLOGIQUE Levinas reproche donc à la théologie son usage d’une abstraction incapable d’éclairer les situations humaines. Comment comprendre cette critique? L’abstraction – le concept, le thème, la spéculation, le raison- nement logique ou encore le Dit – conditionne tout discours au service d’une connaissance : sa hauteur éclaire ce qui est, elle le rend intelli- gible. À ce titre évidemment, elle est indispensable à tout projet de savoir, à toute réduction de l’énigme des choses, elle permet de les identifier et de se retrouver au sein d’un monde devenu moins étrange car moins livré aux puissances obscures ou merveilleuses. L’intelligence produit donc des concepts, des théories et des systèmes qui nomment les choses – ceci est ceci, ceci en tant que ceci – et grâce auxquels l’homme, moins séduit ou troublé par leur étrangeté, trouve une certaine libération, voire un apaisement. L’abstraction du concept et de l’idée rend possible une orien- tation éclairée dans le monde et une certaine domination du mystère des choses. Mais, comme aucun philosophe ne se passe d’abstraction – Levinas pas davantage qu’un autre – il faut donc s’interroger sur sa sévé- rité à l’égard de la théologie. Pourquoi l’abstraction serait-elle plus répré- hensible en théologie qu’en philosophie? La théologie, soutient Levinas, est née du contact entre la pensée reli- gieuse issue de la Bible et la philosophie grecque, en particulier le néopla- tonisme, lorsque le «monothéisme», aux premiers siècles de l’ère chré- tienne, « faisait la conquête de l’Europe ». Cette philosophie exaltait l’activité de l’intelligence tendue vers l’union avec l’Un, par-delà même la connaissance de la multiplicité des choses, par-delà le devenir et par- delà la séparation. Le philosophe néoplatonicien était en effet porté, au cœur de son travail d’abstraction, par une profonde nostalgie de retrou- ver l’Un dont il s’éprouvait douloureusement séparé. Or cette rencontre entre la Bible et la philosophie aurait profondément infléchi la significa- tion de la religion biblique, avant même que la philosophie s’en sépare ultérieurement pour exister de façon autonome. La religion se serait trou- vée, par le biais de sa compréhension théologique, au service des modèles de sens théorétiques, propres à la rationalité grecque, qui visaient cette union ultime avec l’Un comme terme de l’itinéraire intellectuel. L’insatisfaction provoquée par une connaissance imparfaite, encore en souffrance, aurait ainsi peu à peu pris le pas, selon le philosophe, sur toute autre insatisfaction. Elle aurait, en particulier, fait passer à l’arrière-plan celle qu’une personne ressent – parfois du moins – face à la souffrance TÉMOIGNAGE ET THÉOLOGIE 19 © In Press | Téléchargé le 29/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.225.223.181) © In Press | Téléchargé le 29/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.225.223.181) d’une autre personne, comme si cette insatisfaction là, irréductible à un contenu théorique, n’avait aucun poids quand il s’agit de la connaissance de Dieu. Levinas se demande en effet «si la dévotion qui animait cette religion originellement inséparable de l’amour du prochain et du souci de justice ne devait pas trouver dans cette éthique même le lieu de sa nais- sance sémantique et la signification de sa non-indifférence pour la diffé- rence infinie de l’Un au lieu de la devoir à la non-satisfaction du connaître. Distinction capitale entre religion et relation 4». Le reproche d’abstraction adressé à la théologie ne serait-il pas d’abord celui-là : la tentation de faire abstraction de la uploads/Philosophie/ parde-042-0015.pdf
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- Publié le Oct 02, 2021
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