LA RÉFÉRENCE À LA VULNÉRABILITÉ EN ÉTHIQUE DE LA SANTÉ : DÉFIS ET CHANCES POUR
LA RÉFÉRENCE À LA VULNÉRABILITÉ EN ÉTHIQUE DE LA SANTÉ : DÉFIS ET CHANCES POUR LA FOI CHRÉTIENNE Philippe Bordeyne Editions du Cerf | « Revue d'éthique et de théologie morale » 2006/2 n°239 | pages 45 à 75 ISSN 1266-0078 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2006-2-page-45.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions du Cerf. © Editions du Cerf. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 5.48.139.107 - 17/11/2019 17:59 - © Editions du Cerf Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 5.48.139.107 - 17/11/2019 17:59 - © Editions du Cerf 45 L A R É F É R E N C E À L A V U L N É R A B I L I T É E N É T H I Q U E . . . R E V U E D ’ É T H I Q U E E T D E T H É O L O G I E M O R A L E N o 2 3 9 J U I N 2 0 0 6 P . 4 5 - 7 5 P h i l i p p e B o r d e y n e L A R É F É R E N C E À L A V U L N É R A B I L I T É E N É T H I Q U E D E L A S A N T É : D É F I S E T C H A N C E S P O U R L A F O I C H R É T I E N N E Le mot de « vulnérabilité » est à la mode en éthique. On y décèle l’expérience collective de sujets saisis par la précarité, la leur et celle du corps social qui les façonne. Fini le temps des idéologies, qui arrimaient la solidité du politique à diverses eschatologies séculières. Lorsque l’avenir semble plus difficile à dessiner, la référence à la vulnérabilité apparaît comme la chance ultime de l’éthique. Pourquoi chercher les motifs d’agir dans des conceptions du monde hypothétiques, quand on a devant les yeux la fragilité bien tangible d’un corps, le mien, le tien, le nôtre? Tandis que la biomédecine diffuse ses savoirs et ses technologies, nous connaissons mieux la complexité de ce corps, dont bien des ressources étaient hier encore insoup- çonnées. Comment ne pas se laisser mouvoir par cette mer- veille si précaire, comment ne pas se mobiliser pour démul- tiplier ses potentialités, subvenir à ses besoins et pallier ses défaillances? Si l’on adopte la perspective de la foi chrétienne, cette si- tuation est troublante. Car, d’un côté, la tradition pratique du Bon Samaritain a fait la preuve de sa fécondité éthique tout au long de l’histoire de l’Église. La mise en exergue de la vulnérabilité d’un voyageur tombé aux mains de bandits et de la sollicitude d’un étranger à son égard a suscité des œuvres de miséricorde¹, 1. James F. KEENAN, The Works of Mercy : the Heart of Catholicism, Lanham, Rowman & Littlefield, 2005. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 5.48.139.107 - 17/11/2019 17:59 - © Editions du Cerf Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 5.48.139.107 - 17/11/2019 17:59 - © Editions du Cerf 46 R E V U E D ’ É T H I Q U E E T D E T H É O L O G I E M O R A L E N o 2 3 9 en écho à l’interpellation de Jésus au légiste : « Va et toi aussi, fais de même » (Lc 10, 37)². Mais, d’un autre côté, l’invocation de la vulnérabilité humaine apparaît insuffisante comme motif de l’action éthique. Ne risque-t-elle pas de promouvoir l’émoti- vité au détriment d’un jugement rationnel sur les normes uni- verselles de justice? D’un point de vue déontologique, on peut admettre l’argument de la vulnérabilité comme une « bonne raison » pour que certains soient temporairement dispensés des obligations communes³, mais cet argument ne saurait se sub- stituer aux critères et aux exigences de la raison éthique. D’un point de vue téléologique, il faut interroger l’espérance qui met l’éthique en mouvement à partir de la vulnérabilité, afin de vé- rifier que cette espérance ne soit pas fallacieuse et qu’elle soit tout bonnement digne de foi. La référence à la vulnérabilité est devenue incontournable en éthique et ses appuis sont solides dans la tradition chrétienne, mais elle demeure problématique. Prenant acte de ce dilemme, j’entends procéder à une évaluation théologique de cette référence, particulièrement en éthique de la santé. La méthode retenue voudrait simultanément explorer la contribution possible de la théologie au débat public en matière de bioéthique. Je partage la conviction que cette contribution n’est pas seulement de l’ordre du discours, mais de l’action⁴. C’est pourquoi, après avoir analysé l’émergence de la vulnérabi- lité dans la quête contemporaine de santé, je montrerai comment la pastorale française de la santé s’est efforcée d’y répondre par des actes qui manifestent la pertinence de son orientation éthique⁵. Mais j’examinerai également la provocation que re- présentent, pour les chrétiens engagés dans les professions de santé, les évolutions actuelles dans la gestion médicale et so- ciale de la vulnérabilité. Ce changement de contexte requiert un surcroît de vigilance et une relecture des sources spécifiques 2. William C. SPOHN, Go and Do Likewise : Jesus and Ethics, New York, Continuum, 2000. 3. Jean-Marc FERRY, « Éthique et religion », Revue de Théologie et de Philosophie, no 132, 2000, p. 325-344. 4. Lisa SOWLE CAHILL, Theological Bioethics : Participation, Justice, and Change, Washington, Georgetown University Press, 2005, p. 2. 5. La présente communication a mûri dans le cadre d’une réflexion nationale de la Pastorale de la santé qui portait, en 2004, sur la vulnérabilité, la dépendance et la fragilité. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 5.48.139.107 - 17/11/2019 17:59 - © Editions du Cerf Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 5.48.139.107 - 17/11/2019 17:59 - © Editions du Cerf 47 L A R É F É R E N C E À L A V U L N É R A B I L I T É E N É T H I Q U E . . . du discernement théologique. Car l’éthique de la vulnérabilité risque d’être l’otage de conceptions individualistes, par rapport auxquelles la compréhension chrétienne de l’être humain comme être social a une responsabilité critique. Là encore, cependant, la théologie ne se contente pas de mots : elle s’appuie sur l’ap- port constructif des pratiques suscitées par la foi. Je terminerai en présentant la liturgie comme un espace qui resocialise la vulnérabilité subjective, de sorte que les rites chrétiens appa- raissent comme des ressources à mobiliser pour ajuster le posi- tionnement anthropologique de l’éthique de la vulnérabilité. L’étymologie dévoile une richesse sémantique, mais déjà une ambivalence qui appelle un discernement éthique. La vulnérabi- lité est la condition de ceux qui peuvent, un jour, être blessés, corporellement ou moralement. Le mot vient du latin vulnus, la plaie. Celle-ci est moins le fait d’un accident que d’un ennemi, parfois un animal dans la Rome antique. On est dans le registre du combat, d’autant plus que vulnus désigne aussi ce qui cause la blessure : l’arme ou la flèche et, plus tardivement, la blessure morale, le coup du sort, la douleur, par exemple la mort d’un être jeune dans les tragédies. La liberté de mouvement et d’ini- tiative peut se trouver atteinte jusqu’à l’assujettissement durable, par le fait du destin ou de la volonté malfaisante d’autrui, le plus souvent par sa négligence coupable. En tout état de cause, la vulnérabilité renvoie au corporel : corps propre et corps symbolique, corps social et corps politique. En abordant l’éthique de la santé par le biais de la vulnérabilité, on se laisse guider par la corporéité. On prête attention aux rapports qu’elle entre- tient avec le psychique et le spirituel, le social et le politique⁶. L A Q U Ê T E S U B J E C T I V E D E S A N T É Avant qu’elle ne soit érigée en valeur de référence pour l’éthique de la santé, la vulnérabilité apparaît comme la condition commune à l’âge de la biomédecine. L’évolution des savoirs 6. Didier Fassin a montré que la santé doit être interprétée dans uploads/Philosophie/ retm-239-0045.pdf
Documents similaires










-
107
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.3888MB