FRANÇOIS-XAVIER CHENET KANT Philosophie pratique Métaphysique des mœurs Critiqu

FRANÇOIS-XAVIER CHENET KANT Philosophie pratique Métaphysique des mœurs Critique de la raison pratique KANT – PHILOSOPHIE PRATIQUE – FRANÇOIS-XAVIER CHENET Cours professé par FRANÇOIS-XAVIER CHENET Philopsis éditions numériques http ://www.philopsis.fr Les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. © Françoise Chenet - Philopsis 2008 KANT – PHILOSOPHIE PRATIQUE – FRANÇOIS-XAVIER CHENET I LES FONDEMENTS DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS [GRUNDLEGUNG DER METAPHYSIK DER SITTEN, 1785] La Critique de la raison pratique – y déclare Kant – « suppose [setzt… voraus] à la vérité les Fondements de la métaphysique des mœurs 1, mais seulement dans la mesure où ceux-ci nous font faire préalablement connaissance [vorläufige Bekanntschaft] avec le principe du devoir, en indi- quant une formule déterminée et la justifient ; pour le reste, [ce travail] se suffit à lui-même [besteht durch sich selbst] » (Picavet, p. 6). Cette affirmation autoriserait, en toute rigueur, que nous ne nous arrêtions pas à cet écrit. Les Fondements [1785] et la Critique de la raison pratique [1788] forment néanmoins un tout et l'Analytique de la Critique de la raison pratique pourrait sembler rapide et arbitraire si l'on n'avait présentes à l'esprit les analyses des Fondements auxquels elle emprunte sa substance 2. La préface est essentiellement consacrée à justifier le titre de l'ou- vrage, en marquant la place de la morale dans la philosophie. La philosophie antique divise la philosophie en logique, physique et éthique. La logique est une science formelle, donc une science entièrement rationnelle. La physique et l'éthique sont des sciences matérielles puisqu'elles se rapportent à des objets, elles comportent donc une partie empirique et une partie rationnelle (reposant sur des principes a priori). Une connaissance a priori, c'est ce qu'on appelle une métaphysique. Il existe donc deux métaphysiques : une métaphysique des mœurs et une métaphysique de la nature 3. La partie pure et la partie empirique d'une science doivent être traitées à part, la méta- physique de la nature doit être traitée à part de la physique, la métaphysique des mœurs [ou Morale] doit être traitée à part de l'anthropologie pratique. Une métaphysique des mœurs séparée de l'anthropologie pratique est doublement nécessaire : il est nécessaire d'explorer la source des principes pratiques qui sont a priori dans notre raison et de présenter dans leur pureté les principes moraux afin de les préserver de toute corruption, particulière- ment de celle consistant dans leur confusion avec les mobiles sensibles (il n'est de meilleur moyen de lutter contre la confusion de la morale avec une 1. Nous utilisons l'édition Delbos, Delagrave, 1950, réédité. Le titre allemand – Grundlegung der Metaphysik der Sitten – diffère de cette traduction consacrée : Grundlegung, au singulier ; le terme marque l'activité même par laquelle on fonde, la fondation vs son résultat : Grundlage, cf. trad. Re- naut, coll. « GF ». 2. Une analyse sommaire nous en paraît donc nécessaire. Nous limiterons toutefois ici drastiquement nos notes. 3. Cf. Chapitre De l'architectonique de la raison pure, p. 563. © Françoise Chenet - www.philopsis.fr 3 KANT – PHILOSOPHIE PRATIQUE – FRANÇOIS-XAVIER CHENET éthique « prudentielle » 4, avec l'eudémonisme, etc., que de séparer dans la présentation la morale dans sa partie pure d'avec toute anthropologie pra- tique). Il faut même que cette partie vienne en premier lieu. Une critique de la raison pratique est aussi nécessaire à une méta- physique des mœurs, de la même façon qu'une critique de la raison pure est nécessaire à une métaphysique de la nature, mais elle est cependant moins urgente : en matière morale, même chez l'intelligence la plus commune [der gemeinste Verstand], la raison humaine est foncièrement saine et à même de juger droitement de ce que le devoir commande [la morale n'est pas affaire de science ; le méchant n'est pas un ignorant], alors que dans son usage théorique, elle est tout à fait dialectique. En attendant, Kant livre une simple préface à cette métaphysique, une simple préparation [Vorbereitung] ayant pour objet la recherche et l'établissement du principe suprême de la moralité. PREMIÈRE SECTION Passage de la connaissance rationnelle commune de la moralité à la connaissance philosophique. Kant fait ressortir l'élément moral dans sa pureté. C'est dans la conscience morale commune que Kant cherche délibéré- ment le principe de la moralité. Elle enseigne que la seule chose qui puisse être inconditionnellement tenue pour bonne, ce ne peut être que la bonne vo- lonté [der gute Wille] 5 puisqu'il n'est pas de dons, d'aptitudes, de qualités (même le courage, la persévérance) dont il ne puisse être fait mauvais usa- ge ; c'est elle qui constitue seule la valeur morale de l'action. Ce qui fait la bonne volonté, ce n'est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but ni son pouvoir de faire aboutir ses desseins (que l'action n'aboutisse pas, n'ait pas l'effet voulu, cela n'intervient pas dans la qualifica- tion morale de l'action), mais la nature même de son vouloir [la maxime qui est la sienne]. Aucune utilité n'entre en ligne de compte dans l'appréciation de la bonne volonté, elle n'a pas une valeur conditionnelle mais absolue. C'est l'intention [Absicht] qui fait la moralité. Mais qu'est-ce qu'une bonne volonté ? Il nous faut développer le concept d'une volonté souverainement estimable en elle-même, bonne indépendamment de toute intention ulté- rieure. Ce concept ne pourra être adéquatement déterminé que si l'on prend en compte les obstacles et limitations qu'elle rencontre : loin de dissimuler et de défigurer ce concept, les entraves subjectives qu'il rencontre le font au 4. Cette expression n'est pas de Kant Elle sert à désigner une morale dont les impératifs ne seraient que ce que Kant appelle des « règles de prudence », c'est-à-dire des conseils relatifs aux moyens devant réaliser le bonheur. 5. « der gute Wille » : la volonté bonne, la volonté de faire le bien, l'allemand exclut les connotations du français qui tirent l'expression du côté de la velléité ou de la disposition vague, du consentement de principe © Françoise Chenet - www.philopsis.fr 4 KANT – PHILOSOPHIE PRATIQUE – FRANÇOIS-XAVIER CHENET contraire ressortir dans sa pureté 6. C'est celui de la volonté d'agir par devoir. L'action accomplie par devoir [aus Pflicht] est évidemment tout l'op- posé de l'action contraire au devoir [pflichtwidrig], mais elle ne l'est pas moins de l'action conforme au devoir [pflichtmäßig] qui peut être accomplie soit par devoir, soit par quelque maxime intéressée. Procédant très pédagogiquement, Kant envisage des actions diverses, toutes (objectivement) conformes au devoir mais qui ne sont pas nécessaire- ment accomplies strictement par devoir pour distinguer le mobile propre au devoir. Kant distingue le cas (celui de la probité du marchand) d'une action conforme au devoir qui ne résulte pas d'une inclination immédiate ni d'un mobile moral, mais d'un dessein intéressé. Puis ceux, plus ambigus, d'ac- tions conformes au devoir mais auxquelles l'inclination nous pousse, ainsi la conservation de notre propre vie lorsque tout va bien pour nous ; par contre, si nous perdons le goût de la vie, que nous conservons la vie sans l'aimer, sans inclination ni crainte, alors la maxime de notre action a valeur morale. La bienfaisance chez les âmes portées à la sympathie, et qui en éprouvent contentement, a peut-être une valeur morale, mais il manque à la maxime du philanthrope d'agir non par simple inclination mais par devoir. C'est lorsqu'il est assombri par un chagrin personnel et qu'aucune inclination ne l'y pousse plus, que la bienfaisance, accomplie désormais par devoir, a une véritable valeur morale. C'est lorsque les circonstances anéantissent l'inclination im- médiate que l'on voit toute la différence entre la légalité et la moralité. Il faut considérer que des actes [objectivement] conformes au devoir peuvent être accomplis en vertu de maximes qui sont tout sauf morales : l'in- térêt bien compris, la crainte de rétorsion, la passion. Pour bien saisir en quoi consiste l'action accomplie par devoir, l'essence du devoir, il faut pren- dre pour exemples des cas où l'inclination naturelle est en lutte avec le devoir, des cas extrêmes qui constituent une sorte de miroir grossissant, mais aussi certainement, déformant 7. Du choix de ce procédé dont Kant voit les avantages, mais ne soupçonne pas les inconvénients, provient, no- tamment, le jugement si communément porté sur la morale kantienne, d'être sévère, anti-naturelle, etc. L'action morale n'est pas l'action accomplie par inclination (de là des pages sévères sur l'amour qualifié de pathologique, c'est-à-dire ni plus ni moins que « non moral »). Sitôt qu'une action a pour mobile autre chose que le simple respect pour la loi morale, elle n'est plus qualifiable de morale. Ces vues destinées seulement à faire ressortir le mobile moral dans sa pureté accréditent à tort l'idée que l'action ne doit jamais être accomplie avec inclination [mit Neigung] pour être morale [voire qu'elle doit être accomplie avec répugnance [mit Abneigung, Ab- 6. Ce point est essentiel : les Fondements forcent délibérément le trait pour faire ressortir ce qu'est la moralité ; il s'agit d'un procédé pédagogique qui uploads/Philosophie/ pdf-kant-philosophie-pratique-chenet-pdf.pdf

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