Revue d'histoire de la pharmacie Homéopathie et philosophie Patrice Pinet Citer
Revue d'histoire de la pharmacie Homéopathie et philosophie Patrice Pinet Citer ce document / Cite this document : Pinet Patrice. Homéopathie et philosophie. In: Revue d'histoire de la pharmacie, 94ᵉ année, n°351, 2006. pp. 349-367. doi : 10.3406/pharm.2006.6024 http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2006_num_94_351_6024 Document généré le 29/09/2015 Résumé Nous étudions ici le parcours philosophique du créateur de l'homéopathie, Hahnemann, et l'impact de la philosophie sur la fondation de sa doctrine. Dès ses études de médecine en 1775 il fut immergé dans la doctrine animiste, par l'intermédiaire de deux disciples critiques de Stahl, Platner et Whytt, et dans la doctrine des vitalistes de la faculté de Montpellier. Pour fonder sa théorie il s'est appuyé sur le concept de « réaction » du corps vivant à l'action d'un autre corps, qu'on peut trouver aussi bien dans la théorie nerveuse des animistes, que chez des vitalistes comme Hufeland, et même chez des penseurs plus mécanistes comme Haller et Cullen, cette réaction constituant autant de représentations différentes de l'action de la nature médicatrice. Dès 1801, Hahnemann conçoit certaines causes morbides et actions médicamenteuses comme dynamiques et immatérielles. Il concevra finalement l'être vivant à la manière des vitalistes de l'École de Montpellier, et adopte, à partir de la 2e édition de L'Organon (1819), une conception immatérielle de la force vitale. Il s'en distingue cependant en affirmant en même temps le caractère dynamique et immatériel de toute cause morbide. Sa doctrine devient alors de plus en plus spiritualiste et quelque peu incohérente puisqu'il place, au sein de toute matière, même celle des corps bruts non vivants, l'immatériel et le spirituel, ce qui fait soupçonner aussi des sources, ou des influences, ésotériques ou théosophiques, à sa doctrine. Abstract Homeopathy and Philosophy . We are studying here the philosophical evolution of the homeopathy's inventor, Hahnemann, and the impact of philosophy on the foundation of his doctrine. As far back as 1777 he was, by studying medicine, introduced to animism through two critical Stahl's followers, Platner et Whytt, and to the vitalism of Montpellier's faculty. To found his theory he used the concept of "reaction" of living body on the body acting on it, that we can find as well in the nervous theory of animists as by vitalists like Hufeland, or by more mecanists thinkers like Haller and Cullen, and that corresponds to different representations of Nature medicatrix. As far back as 1801 Hahnemann imagined some morbid causes and medicinal actions as dynamic and immatériel. He will finally conceive the living being in the same way than the vitalists of Montpellier's school, and will adopt, from the Organon's second edition (1819), an immaterial conception of vital force. Nevertheless he distinguishs himself of this school by supporting from the same time the dynamic and immatériel nature of every morbid cause. His doctrine then became more and more spiritualistic and incoherent enough because his recognizing of something immatériel and sprirituel into the matter itself, even out of a living being, which makes us also suppose any esoteric or theosophical sources or influences on his doctrine. 349 Homéopathie et philosophie par Patrice Pinet * , E T U D Même si l'homéopathie n'avait aucun intérêt scientifique, elle aurait au g moins un intérêt psychologique et sociologique par le succès qu'elle a eu dans certains pays depuis sa fondation il y a deux siècles. Pour nous, ce succès ne prouve pas, ni ne mesure, sa valeur scientifique ou médicale. Bien des erreurs médicales patentes ont subsisté pendant des siècles, comme la saignée. Nous croyons que l'homéopathie doit s'envisager comme un des compléments de l'hygiène et de l'écologie et que, par celles-ci, on peut faire plus que par l'homéopathie seule, même si le remède homéopathique a peut-être un effet spécifique. Pour l'instant, nous n'étudierons que les relations de l'homéopathie, pseudoscience pour certains *, avec la philosophie et les doctrines et philosophies médicales. En 1775, à Pâques, Hahnemann (1755-1843), à la fin de ses huit années d'études au collège de Saint Afra de Meissen, écrivit et soutint une dissertation latine intitulée La Merveilleuse Conception de la main humaine. Il y cite déjà Hippocrate et Galien, mais aussi des philosophes, Platon, Aristote, ainsi que Socrate, selon lui le plus sage des philosophes. Bien que Socrate n'ait rien écrit, il en rapporte un propos tiré de Xenophon. Ce même printemps, il part pour Leipzig où il entreprend ses études de médecine. À cette époque, la philosophie médicale était dominée par l'animisme ou le vitalisme. À Leipzig, Hahnemann aurait eu comme professeur Ernest Platner (1744-1818). Selon Sprengel (1766- 1833), historien de la médecine de l'époque d'Hahnemann 2, et Tischner, l'historien le plus important de l'homéopathie 3, Platner fut le principal disciple de Stahl dans la seconde moitié du XVIIP siècle, bien qu'il semble à ses débuts plus proche d' Haller. Il fut surtout célèbre comme philosophe, notamment pas ses Aphorismes philosophiques (1793-1800). Selon Sprengel, il a développé ses idées sur l'influence que l'âme exerce sur le corps dans un petit ouvrage De principio vitali (1777) et surtout dans son grand traité d'anthropologie (1790). Schelling (1775-1854), le créateur de la philosophie de la Nature, aussitôt arrivé à Leipzig en 1796 comme précepteur, se présentera à lui et assistera à * 3 A avenue Georges-Clemenceau, 51 100 Reims REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE, LIV, N° 351, 3e TRIM. 2006, 349-367. 350 REVUE D'HISTOIRE DE LA PHARMACIE ses cours 4. De principio vitali est un des trois ouvrages que citera Hahnemann dans sa thèse de 1779 5. Précisons donc d'abord ce qu'est l'animisme. L'animisme Georg Ernst Stahl (1660-1734) est le fondateur de la chimie phlogistique et de la doctrine médicale nommée animisme. Pressentant les spécificités de la médecine et la biologie comme science spéciale, il met au cur de son système une particularité des corps vivants : leur corruptibilité. En effet, il insiste sur le fait que les corps vivants, à la différence des mixtes qui composent les corps non vivants, sont tous éminemment corruptibles et ont une grande tendance à la pourriture et à la dissolution 6. Il croit que cette qualité, apanage des êtres vivants, est une disposition naturelle, intrinsèque et intimement inhérente, de la constitution matérielle particulière des êtres vivants, du mixte spécifique des vivants 7. Il semble donc qu'il néglige largement les causes extrinsèques de cette dissolution, qui résulte simplement, selon lui, de ce que tous les corps vivants consistent en agrégats de parties hétérogènes peu adhérentes ou peu cohérentes. Corps muci- do-adipeux, ils se décomposent facilement parce qu'ils sont formés d'un assemblage de terre subtile, de graisse et d'eau, corps qui s'unissent mal, et se dissolvent entièrement par la putréfaction 8. Stahl croit donc que, par leurs éléments matériels seuls, les corps vivants se dissoudraient, contrairement aux mixtes non vivants. Mais puisque les êtres vivants durent assez longtemps, bien que beaucoup moins longtemps que les autres corps mixtes, il existe nécessairement, selon lui, une force conservatrice et durable, incorporelle et immatérielle, qui s'oppose à leur corruptibilité 9. Il appelle cette force « âme » et elle agit principalement par le système nerveux qu'elle remplit, et non par les esprits que certains modernes (comme Descartes) ont inventés 10. Contrairement donc à Descartes et aux mécaniciens, il réintroduit l'âme comme être actif sur le corps vivant, qui n'est pas pour lui une simple machine mais un organisme qui agit selon une fin propre. Un autre argument de Stahl pour l'existence de l'âme est la capacité du corps vivant, non seulement à se conserver mais à se guérir parfois de lui-même. C'est donc l'âme qui, pour lui, est la Nature médicatrice n. Cette âme est rationnelle et intelligente, et dirige de façon absolue tous les mouvements du corps, par exemple leur croissance. Pour ceux qui objectent que cette âme ne peut rien gouverner puisqu'elle n'en a ni conscience ni mémoire (Stahl se réfère aux anciens partisans de l'âme végétative et à Van Helmont qui, dit-il, reprend celle-ci sous le nom d'archée, mais sans doute répond-il aussi aux objections d'Hoffmann), il distingue la raison, l'intelligence ou conception des choses les plus simples, du raisonnement formel, de la comparaison et de l'entendement, qui ne concernent que les choses externes, matérielles, connues par l'in- HOMÉOPATHIE ET PHILOSOPHIE 35 1 termédiaire des organes des sens 12. Cette distinction nous rappelle celle entre raison et entendement de Kant (1724-1804). Stahl exprime déjà des idées positivistes, et Kant approuve, en 1766, l'animisme de Stahl bien qu'il trouve plus philosophique (parce qu'empirique) la méthode de Boerhaave et d'Hoffmann 13. Stahl distingue la raison du raisonnement. La pensée, due à l'âme rationnelle, est, selon lui, une activité de l'âme qui n'est pas accessible à notre raisonnement, notre conscience et notre mémoire 14. L'âme agit en quelque sorte inconsciemment et n'est intelligence que si un objet externe lui est présenté de façon sensible et matérielle. Les actes volontaires ne s'effectuent pas non plus consciemment (dans leur processus). Stahl oppose l'âme, être actif et moteur, à la matière, substance passive 15, ce qui est étonnant après la mise en évidence, de Galilée à Newton, de la force matérielle d'inertie 16. L'âme est uploads/Philosophie/ pharm-0035-2349-2006-num-94-351-6024.pdf
Documents similaires










-
41
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 06, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 1.7751MB