Les Cahiers philosophiques de Strasbourg 30 | 2011 Michel Henry : une phénoméno

Les Cahiers philosophiques de Strasbourg 30 | 2011 Michel Henry : une phénoménologie radicale Michel Henry Notes inédites sur la méthode phénoménologique Grégori Jean et Jean Leclercq Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cps/2396 DOI : 10.4000/cps.2396 ISSN : 2648-6334 Éditeur Presses universitaires de Strasbourg Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2011 Pagination : 15-29 ISBN : 978-2-354100-40-7 ISSN : 1254-5740 Référence électronique Grégori Jean et Jean Leclercq, « Michel Henry », Les Cahiers philosophiques de Strasbourg [En ligne], 30 | 2011, mis en ligne le 15 mai 2019, consulté le 09 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/ cps/2396 ; DOI : 10.4000/cps.2396 Cahiers philosophiques de Strasbourg Les cahiers philosophiques de strasbourg, ii / 2011 Michel Henry. Notes inédites sur la méthode phénoménologique Grégori Jean et Jean Leclercq Présentation Dans la lignée du travail qui, mené au Fonds Michel Henry de l’Université Catholique de Louvain, nous a conduits à publier en janvier 2011 de très nombreux textes de jeunesse inédits sur l’expérience d’autrui1, nous proposons ici au lecteur une série de notes préparatoires à L’Essence de la manifestation toutes consacrées à la critique de la « méthode phénoménologique ». S’il est impossible de déterminer exactement l’époque de leur rédaction – Michel Henry ne datait jamais ses notes de travail2 – il est fort probable qu’elle se situe relativement tôt dans son itinéraire philosophique. En témoignent l’émergence timide de certains thèmes-clé de L’Essence, mais aussi certains fragments de ce qui constitue manifestement une première lecture suivie des Ideen I de Husserl. Du reste – et en dépit du jugement rétrospectif qu’il portera, dans Phénoménologie matérielle, sur la genèse de sa propre pensée3 – c’est 1 Voir Revue internationale Michel Henry, n°2 : « Michel Henry. Textes inédits sur l’expérience d’autrui », Presses Universitaires de Louvain, janvier 2011. 2 Pour une présentation générale du fonds Michel Henry et des méthodes de classification et de numérotation des manuscrits, voir J. Leclercq, « Editorial », Revue Internationale Michel Henry, n°2 : Inédits sur l’expérience d’autrui, op. cit., p. 9-14, et G. Jean, « De l’expérience métaphysique d’autrui à l’intersubjectivité en première personne », ibid., p. 18 sqq. 3 Cf. M. Henry, Phénoménologie matérielle, Paris, PUF, « Epiméthée », 1990, p. 58 : « La phénoménologie matérielle – titre sous lequel on peut ranger les acquis de L’essence de la manifestation ainsi que des recherches ultérieures michel henry 16 bien Husserl qui, dans deux fardes distinctes mais toutes deux classées par M. Henry lui-même sous la rubrique « méthode phénoménologique », fait figure d’interlocuteur privilégié. Plus précisément, dans les quelques extraits que nous en publions ici, c’est aux deux traits caractéristiques de la méthode husserlienne – réduction phénoménologique et réduction eidétique –, mais aussi à ce qu’il diagnostique comme constituant leur lien intrinsèque, que le « jeune » Henry oppose ce qu’il nomme alors « [sa] philosophie du Wie originaire », comme épreuve de l’auto- phénoménalisation de l’apparaître immanent en et comme ego : 1. C’est d’abord le caractère « méthodologique » de la réduction qui se trouve contesté : parce que « [l’] objet de la phénoménologie [est] indépendant de celle-ci », le Wie, le « comment » originaire de l’apparaître situé au fondement de toute manifestation ne requiert ni ne tolère aucun procédé destiné à ménager à la subjectivité un quelconque accès à ce dont elle serait d’abord et « toujours déjà séparé ». D’où la mise en question – dans une anticipation de la distinction, cruciale dans L’Essence de la manifestation, de « l’ontologique » et de « l’existentiel »4 – du caractère déterminant de l’opposition d’un moi transcendantal et d’un moi mondain et, corrélativement, de celle de l’attitude phénoménologique et de l’attitude naturelle, mais aussi une certaine apologie de cette dernière, pour autant que dans son humilité comme dans l’humilité de son « langage », elle exprime déjà, à l’égal de toute autre Einstellung, l’immanence de l’auto- apparaître qui la fonde. D’où également l’épineuse question d’un néanmoins « oubli » de la vie qui, s’il ne saurait être ni provoqué par une quelconque attitude, ni neutralisé par une posture méthodique, n’en constitue pourtant pas moins l’un des traits essentiels de sa phénoménalisation – épineuse question qui émerge clairement ici, et que Michel Henry sera contraint de retravailler jusqu’à Incarnation et son fameux § 36. – n’est pas née d’une réflexion sur les insuffisances de la phénoménologie hylétique et finalement sur sa faillite. Bien plutôt est-elle la condition d’une aperception claire de ces insuffisances. » 4 Voir L’Essence de la manifestation, Paris, PUF, « Épiméthée », 1990 (1963), § 17-21. 17 michel henry. notes inédites sur la méthode phénoménologique 2. Or c’est justement comme la tentative de conjurer la distanciation ontologique du Wie originaire que la réduction phénoménologique opère dans le mouvement même par lequel elle tente de s’y ménager un « accès », que le jeune Henry comprend ici son lien intrinsèque avec la réduction eidétique. Car si « la problématique de l’essence, de l’intuition de l’essence du vécu fausse complètement [le] problème du Wie originaire », c’est justement parce que, s’en trouvant séparé par sa propre posture méthodique, le phénoménologue se voit contrait de lui substituer ce qui n’en est qu’un simple « squelette » – toute mise à distance équivalant à une mise à mort. On notera toutefois que cette double critique – que Michel Henry, de L’Essence de la manifestation à Incarnation, ne cessera d’approfondir – n’est nullement formulée ici à l’encontre, mais en quelque sorte en complément du projet husserlien, tant à l’égard de la réduction phénoménologique – critique de la méthode phénoménologique « qui la légitime cependant » – que du problème de l’intuition eidétique : « ne pas nier sa possibilité, mais reconnaître celle-ci », écrit Henry, un fois dit que ce qu’elle perd est justement ce qui la rend « possible » – possibilité qui n’est rien d’autre que celle du Wie originaire lui-même auquel, dans ces notes « contre-méthodologiques », il tente de rendre la parole. Aussi est-ce déjà une certaine manière pour Henry de se situer par rapport à la phénoménologie historique – la phénoménologie n’étant pas tant « inachevée » que « non originaire », complète et réalisée par conséquent dans son ordre – qu’on lira en filigrane dans ces notes, situation qu’il résumera encore, en 2000, de manière claire et tranchante : Ma phénoménologie de la vie n’a pas vocation à se substituer aux phénoménologies du monde. La phénoménologie du monde a son droit propre. Il y a chez Husserl et chez Heidegger d’extraordinaires descriptions de ce monde, mais leur phénoménologie est unilatérale. (…) J’ai travaillé en amont, dans une autre région. Mon progrès a été de découvrir une phénoménalité qui n’est pas de l’ordre de l’extériorité mais qui nous habite bien qu’on ne puisse pas la voir, une phénoménalité invisible5. 5 M. Henry, « Entretien avec Thierry Galibert », paru dans Autre Sud, n° II, décembre 2000, repris dans Entretiens, Arles, Sulliver, 2005, p. 130. michel henry 18 Michel Henry. Notes inédites sur la méthode phénoménologique6 Ms A 7-8-5268 Tâche de la phénoménologie Pourquoi dans ma philosophie du Wie originaire existe-t-il encore [un] besoin d’un problème phénoménologique, pourquoi faut-il « élucider » ? Chez Heidegger, cela s’explique parce que [l’]être est caché (à cause [du] lien finitude-transcendance). Chez moi aussi ; mais caché, il l’est tout autrement. Ms A 7-8-5267 Phénoménologie J’ai aussi à mettre en lumière quelque chose qui se cache (l’Invisible, l’immanence). → Révélation. Ms A 7-8-5272 Le paradoxe de la phénoménologie (telle que je la comprends), c’est qu’il faille quand même chercher l’essence de l’homme, poser des problèmes, alors que tout ce qui est essentiel apparaît immédiatement. Mais on aurait tort d’ironiser sur ce fait. N’est-il pas ce qui caractérise notre vie de tous les jours ? J’aime, je vis à tel endroit, je conçois ma vie de telle ou telle façon, etc., je la choisis – si [je suis un] bourgeois – ou ne la choisis pas – si [je suis un] prolétaire –, et pourquoi fais-je cela ? : je n’en sais rien. Mon plus grand savoir (ce que je suis) coïncide avec ma plus grande ignorance*. Voilà le seul sens que je peux donner à la Geworfenheit de Heidegger. Mais peut-être faut-il encore répondre que si la question : « que suis- je ? » débouche pour moi sur un gouffre, sur rien, c’est précisément parce 6 Nota bene : pour l’édition de ces notes, les ajouts entre crochets ([ ]) indiquent une intervention ou une indication des éditeurs, les points de suspension entre crochets ([…]) une coupe des éditeurs. Conformément à notre méthode d’archivage, les feuillets ont été numérotés « en continu », tels qu’ils se présentaient dans les dossiers confiés au Fonds par Anne Henry. Cette numérotation ne reflète donc dans son principe aucune chronologie ou progression. Et de fait, les feuillets contenus dans les fardes A 7-8 et A 8-5, classées par M. Henry sous la rubrique « méthode phénoménologique », n’obéissaient à aucun principe d’organisation interne. Afin d’en accentuer l’unité uploads/Philosophie/ cps-2396.pdf

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