L'IDÉE D'HUMANITÉ, PAR-DELÀ L'UNIVERSALISME MÉTAPHYSIQUE ET LE RELATIVISME NIHI
L'IDÉE D'HUMANITÉ, PAR-DELÀ L'UNIVERSALISME MÉTAPHYSIQUE ET LE RELATIVISME NIHILISTE Vincent Citot Association Le Lisible et l'illisible | « Le Philosophoire » 2009/1 n° 31 | pages 89 à 112 ISSN 1283-7091 ISBN 9782353380343 DOI 10.3917/phoir.031.0089 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2009-1-page-89.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Le Lisible et l'illisible. © Association Le Lisible et l'illisible. Tous droits réservés pour tous pays. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 91.164.132.79) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 91.164.132.79) Le philosophoire, n° 31, 2009, p. 89-112 L’idée d’humanité, par-delà l’universalisme métaphysique et le relativisme nihiliste Vincent Citot ue par une certaine idée de la clarté, la pensée a une tendance remarquable à prendre position pour, ou contre, et à se fixer en un lieu déterminé qu’elle tâchera de protéger de toutes les formes d’adversité. Ce qu’elle appelle une thèse ou une doctrine ressemble ainsi à un camp retranché, où elle pourra édifier une forteresse, tenir un siège, canonner les doctrines concurrentes. C’est un grand confort d’être ainsi établi quelque part. Cela donne un point de vue sur le monde et permet, du haut d’un donjon intérieur, de contempler l’horizon déployé par nos idées. Les plus ambitieux nourrissent alors quelque projet de conquérir le monde, armés de ces idées, c’est-à-dire de leur soumettre le réel. Il serait vain de trop critiquer cette tendance de la pensée, qui est comme sa pente naturelle. L’histoire de la philosophie illustre assez bien cette disposition à prendre position, et apparaît ainsi comme un vaste champ de bataille, où s’affrontent des écoles et des théories. Les historiens des idées, et les philosophes eux-mêmes, mettent en évidence des couples de doctrines antagonistes, permettant de définir des alliances plus larges. C’est ainsi qu’on a pu opposer l’idéalisme au matérialisme, et, entre les deux, une armée de philosophes cherchant à les concilier. Cette opposition, que certains qualifieront de scolaire et simplificatrice, n’est pas aussi artificielle qu’il y paraît, car elle semble correspondre à deux tendances fondamentales de la pensée. Ou bien celle-ci tire les conséquences ontologiques de sa prétention à dire le vrai, et alors elle devra reconnaître que cette vérité est de l’ordre de l’idée, du concept, de l’esprit, etc. Ou bien M © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 91.164.132.79) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 91.164.132.79) L’Universel 90 elle cherche à s’effacer devant le réel qu’elle voudrait signifier, et alors c’est lui qui sera la mesure du vrai, dans son objectivité et dans sa matérialité. Cette opposition se décline de mille façons. L’universalisme est un idéalisme, le relativisme un matérialisme Pour ce qui nous intéresse plus précisément ici, il apparaît que l’idéalisme est de près ou de loin un universalisme, et le matérialisme un relativisme. En effet, si la vérité est une loi d’esprit, si elle est quelque chose que l’esprit découvre par ses lois propres et grâce à l’excellence de sa nature (qu’on l’appelle Raison, Intuition ou Révélation), alors cette vérité sera la même pour tout esprit. Les désaccords entre esprits ne s’expliquent que par le fait que certains esprits ne sont pas pleinement spirituels, et trop encombrés de passions, d’affections, de sensations, de matière. Inversement, si la vérité consiste d’abord en un acte de soumission de la pensée au réel qu’il s’agit de penser ; si ce sont ses lois à lui qui définissent la vérité, alors l’esprit ne peut plus se supposer source universelle de la vérité. Cette source, c’est le concret de l’expérience, c’est le particulier, d’où il faudra tirer le général. Ne pouvant faire de recension exhaustive de toutes les expériences possibles, les vérités expérimentales n’auront jamais le caractère d’universalité. L’universalité ne peut être que de principe, c’est-à-dire d’ “esprit”. C’est “l’esprit” qui décide du nécessaire et de l’impossible, du légitime et de l’essentiel, donc de l’universel. Il n’y a pas d’expérience de l’universel, car il n’y a d’expérience que du particulier. La science ne peut prétendre à l’universalité et à la nécessité de ses lois qu’en affirmant plus qu’elle n’expérimente. D’où vient alors cette vérité affirmée, sinon de la Raison, par exemple, confiante en elle-même et en ses lois à elle ? On entend par idéalisme la tendance de la pensée à faire confiance dans les lois supposées universelles de la pensée, et par matérialisme la tendance inverse, qui consiste à chercher les dessous de la pensée, les lois impensées de la pensée que celle-ci doit retrouver. L’idéalisme est un universalisme parce qu’il pose l’ “esprit” au-dessus de ses conditions matérielles ; le matérialisme est un relativisme parce qu’il veut soumettre les prétentions spiritualistes et universalistes à une infrastructure (physiologique, physique, sociale, économique, historique, etc.) qu’il s’agit d’exhumer par l’expérience et que l’on ne peut déduire a priori. Pour la pensée matérialiste, les lois de l’ “esprit” sont des lois du corps (du corps physique ou du corps social) qui s’ignorent. Elles ne peuvent se découvrir qu’au contact du réel dans des expériences particulières, et sont donc relatives à l’expérience et à la connaissance de ce réel. Le matérialiste pense le particulier ou le général (qui est la généralisation du particulier), non © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 91.164.132.79) © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 91.164.132.79) L’idée d’humanité, par-delà l’universalisme métaphysique et le relativisme nihiliste 91 l’universel qui ne peut qu’être la prétention d’un “esprit” qui le pose a priori. L’universalisme dogmatique est présomptueux, le relativisme nihiliste irresponsable J’entends par universel ce qui est nécessaire, essentiel, légitime. Ces trois propriétés ont ceci de singulier qu’elles ne sont pas constatables empiriquement. Le nécessaire, par exemple, ne fait jamais l’objet d’un constat. Il n’est pas un fait d’expérience, mais plutôt un archi-fait d’esprit, si cette expression peut avoir un sens. Il est nécessaire que, si Socrate est un homme et que tous les hommes sont mortels, Socrate soit mortel. Que Socrate ait existé ou non, qu’il soit vivant ou non, immortel ou non, cette relation est nécessaire. L’essentiel n’est pas davantage une donnée empirique : il est une décision d’esprit. L’essence s’opposant par principe à l’existence, elle ne saurait être soumise à ses lois. Si je pose que la pensée est ce qui, en l’homme, est l’essentiel, je ne vois pas quelle expérience ou quel spécimen pourrait me donner tort. Qu’on me montre un homme qui ne pense pas, je n’en serais nullement troublé, n’y voyant un homme que par accident, ou un individu qui n’en aurait que l’apparence. Le légitime, enfin, ne peut pas non plus faire l’objet d’une preuve ou d’une réfutation empirique. Antigone estime légitime que son frère soit enterré, et la raison d’État n’y peut rien. Si on lui démontrait que cela provoquerait des révoltes, des indignations, une guerre civile, etc., la terre entière pourrait s’enflammer qu’elle ne trouverait pas moins légitime cette hommage à son frère − ce serait seulement déraisonnable, ce qui est bien autre chose. L’erreur serait de confondre l’universel avec le général ou le commun, qui sont des conjonctions de cas particuliers. Une caractéristique contingente qui se retrouverait à l’identique dans tous les cas recensés n’en constituerait pas pour autant une essence universelle. Si l’on tue tous les cygnes noirs de sorte qu’il ne subsiste plus sur terre que des cygnes blancs, la blancheur n’en deviendra pas l’essence universelle du cygne. Si des droits considérés comme légitimes sont bafoués partout, cela ne prouve rien contre leur prétention à la légitimité. Inversement, la généralisation totale du non- droit ne suffit pas à en faire une essence universelle. Bref, l’universel n’est pas le général, ni la généralisation intégrale d’une caractéristique empirique. Ainsi donc, l’universel doit être posé a priori, avant toute expérience. Il est une prétention de l’esprit à ne pas se faire dicter sa loi par les choses. Qu’il prenne la forme du rationalisme, de l’essentialisme ou du moralisme, l’universalisme est toujours assis sur cette prétention. Il est une autoposition de l’esprit. Je tâcherai de montrer que cette prétention peut prendre la forme d’une présomption, et que l’esprit présomptueux est celui qui, au fond, a quelque chose à craindre, qu’il cherche à exorciser par cet acte même de rejet. La présomption est le fait d’une intelligence mal assurée d’elle-même. © Association Le Lisible et l'illisible | Téléchargé le 06/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 91.164.132.79) © Association Le Lisible et l'illisible uploads/Philosophie/ l-x27-idee-d-x27-humanite.pdf
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- Publié le Oct 16, 2022
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