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Association pour la Création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement de Philosophie HISTOIRE DE LA DISSERTATION DE PHILOSOPHIE DANS L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE1 Bruno POUCET (Article paru dans Côté-Philo n° 9) Réfléchir sur la dissertation, c’est réfléchir sur l’exercice central de la pratique pédagogique actuelle de l’enseignement de la philosophie. Il est central à plusieurs titres : c’est l’un des trois exercices imposés aux candidats au baccalauréat de l’enseignement général et technologique ; c’est aussi l’un des exercices qui fait périodiquement objet de polémiques entre les professeurs et l’opinion publique, en particulier lorsqu’il est question des résultats, jugés inférieurs à ceux des autres disciplines scolaires ; c’est enfin l’exercice qui divise les professeurs de philosophie. Certains d’entre eux estiment que c’est le seul exercice réellement formateur, apte à instruire le jugement philosophique des adolescents ; d’autres, au contraire, sans en remettre en cause l’existence, estiment qu’il n’est qu’un exercice scolaire parmi d’autres. Si le débat se focalise ainsi sur la dissertation, c’est bien parce que, par delà cet exercice, est posée la question de la pratique pédagogique de l’enseignement de la philosophie dans les classes terminales du second degré2. Or, les termes mêmes du débat ne permettent pas d’en saisir les enjeux réels : ceux-ci ne sont pas d’ordre philosophique, mais d’ordre social, politique et didactique3. Un détour par l’histoire des disciplines scolaires4 peut permettre de comprendre ces enjeux et offrir l’occasion d’une véritable libération de la pratique de l’enseignement philosophique. On évitera ainsi de faire de la dissertation une sorte de lieu de mémoire5, qu’année après année les professeurs seraient chargés de faire visiter en y conduisant tant bien que mal des élèves qui n’en peuvent mais : on la ramènera à sa véritable dimension, celle d’être un exercice scolaire parmi d’autres, objet d’un apprentissage possible. Il faut, me semble-t-il, passer de la mémoire à l’histoire, condition nécessaire pour continuer à rendre possible en France un enseignement crédible de la philosophie, c’est-à-dire accessible au plus grand nombre puisque désormais – inutile de le regretter ou de le déplorer- il en va ainsi6. 1 Une présentation orale de ce texte a eu lieu lors du 4è congrès international "Actualité de la recherche en Éducation et Formation" à Lille, le 7 septembre 2001. Elle reprenait, développait et actualisait la communication au colloque de l'ACIREPH du 28 octobre 2000. Pour la présente publication, il a été procédé à des ajustements tenant compte des développements de l’actualité de la discipline.. 2 La question de la dissertation dans les classes préparatoires des lycées se situe dans une autre perspective puisqu’il s’agit d’élèves sélectionnés parmi les meilleurs dont certains se destinent d’ailleurs à être, à leur tour, professeurs de philosophie. 3 La question didactique ne sera pas ici directement abordée : d’autres auteurs, tels Michel Tozzi, Françoise Raffin (INRP) ou les membres du secteur philosophie du GFEN ont largement commencé à s’acquitter de cette tâche. Pour une histoire de la question, on peut se reporter à Philippe SARREMEJANE, Histoire des didactiques disciplinaires, Paris, L’Harmattan, coll. « Savoir et formation », 2001 : l’auteur date l’apparition de la didactique en philosophie de 1993 (op. cit., p. 245-246). 4 André CHERVEL, La culture scolaire, une approche historique, Paris, Belin, coll. « Histoire de l’éducation », 2000. Pour une approche d’ensemble de la question en ce qui concerne l’enseignement de la philosophie, cf. Bruno POUCET, Enseigner la philosophie, histoire d’une discipline scolaire, 1860-1990, Paris, CNRS éditions, 1999. Une bibliographie détaillée permet de faire le point. 5 Au sens où l’entend Pierre Nora, c’est-à-dire une manière de lien entre un passé révolu et une histoire qui se poursuit dans une autre direction (cf. Pierre NORA, Les lieux de mémoires, Paris, NRF, 1984-1992). 6 Il est possible que l’enseignement de la philosophie soit étendu un jour aux classes de l’enseignement professionnel, des Association pour la Création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement de Philosophie Poser ce principe, c’est, bien entendu, faire un choix : l’enseignement de la philosophie est une discipline scolaire dont la place et la fonction ont évolué. Au cœur même de cette évolution, se situe la dissertation. La quête de l’origine étant une opération vaine en ce qu’elle engage un processus généalogique difficilement contrôlable, on se bornera à engager notre réflexion à partir du moment où la dissertation est devenue une épreuve écrite à l’examen du baccalauréat, en 1866 pour ne plus cesser de l’être. On montrera ainsi, en prenant principalement appui sur les manuels de dissertation7, comment elle s’est distinguée de la rédaction et l’a, de fait, progressivement reléguée à n’être plus qu’un exercice dont le souvenir s’est progressivement estompé. À partir de là, il sera ainsi possible de montrer comment la dissertation s’est progressivement transformée et adaptée pour devenir l’exercice essentiel des classes terminales, ce qui n’est pas sans poser certaines difficultés, au moment où l’enseignement secondaire cesse d’être un enseignement réservé à une élite pour devenir un enseignement de masse et devenir le second degré du parcours de l’élève. De la rédaction à la dissertation Contrairement à ce que l’on peut penser, la dissertation n’est pas, en 1860, l’exercice le plus fréquemment pratiqué par les professeurs et leurs élèves des quelques classes de philosophie et de sciences existantes à l’époque (un peu moins de 2008). L’exercice le plus fréquent est la rédaction9. Il s’agissait pour les élèves de restituer le contenu transmis et souvent dicté par le professeur et d’en rédiger un résumé détaillé. Les élèves pouvaient, éventuellement, s’aider d’un manuel, rédigé bien souvent par le professeur lui-même ou publié sous forme de feuilles autographiées. Le contenu philosophique des cahiers des élèves pouvait, de cette manière, être contrôlé très étroitement. La fin de la rédaction L’exercice est largement pratiqué par les professeurs, encouragé par les inspecteurs généraux. Seuls quelques collègues osent remettre en cause le bien fondé de cet exercice, dans les années 1850-1860. Ils estiment que c’est, au mieux un exercice de mémoire, au pire, de « sténographie10 ». Toutefois, il est nécessaire de reconnaître qu’ils ne sont qu’une poignée à souhaiter une évolution des pratiques pédagogiques : la plupart de leurs collègues, les enquêtes ministérielles en font foi, préfèrent maintenir un exercice qui a fait ses preuves. Il faudra une circulaire ministérielle11- en 1881- pour demander que la longueur des rédactions soit réduite. À partir de là, elle s’effacera dès 1885 de la liste des exercices exigibles, même si expériences sont d’ailleurs en cours dans certaines académies : la question de la place de la dissertation se posera inévitablement, comme elle s’est posée dans l’enseignement technologique ou dans l’enseignement agricole, cf. Bruno POUCET, « La difficile mutation d’un programme : la démocratisation de l’enseignement de la philosophie en France dans l’enseignement secondaire » dans Claude CARPENTIER (dir.), Contenus d’enseignement dans un monde en mutation : permanences et ruptures, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 271-289 ; cet article a été repris et actualisé sous le titre « Massification ou démocratisation de l’enseignement de la philosophie en France dans l’enseignement secondaire », Pratiques de la philosophie, secteur philosophie du GFEN, n° 8, juillet 2001, p. 4-12. 7 Pour une mise en perspective historique de la question des manuels scolaires et des précautions à prendre pour leur étude, cf. Alain CHOPPIN, Manuels scolaires : histoire et actualité, Paris, Hachette éducation, 1992. 8 En 1865, il y a 75 chaires de philosophie dans les lycées classiques, 113 dans les collèges municipaux, Statistiques de l’enseignement secondaire en 1865, Paris, Imprimerie nationale, 1868. 9 Une analyse détaillée de cet exercice et de son rapport à la dissertation est donnée par nous-même dans « De la rédaction à la dissertation : évolution de l’enseignement de la philosophie dans le secondaire en France dans la seconde moitié du XIXè siècle », Histoire de l’éducation, n° 89, janvier 2001. 10 Charles BÉNARD, L’enseignement actuel de la philosophie, Paris, Ladrange, 1862, p. 81. 11 13 octobre 1881, BA, octobre 1881. Association pour la Création d’Instituts de Recherche sur l’Enseignement de Philosophie la pratique se poursuivra des années encore : on en trouve trace au siècle suivant dans certaines classes. Il est vrai qu’entre temps, en 1863, Victor Duruy avait décidé de réorganiser le baccalauréat et d’en modifier sensiblement l’économie interne en généralisant la pratique de la dissertation, imposée désormais comme une des épreuves écrites de l’examen12 . Certes, la nouveauté n’est pas aussi grande qu’on pourrait le penser puisque l’exercice même de la composition en français sur un sujet de philosophie est déjà pratiqué. Toutefois, à la différence de la rédaction, cet exercice est, de fait, réservé à un nombre très restreint d’élèves, candidats au concours général, à l’École Normale Supérieure, candidats à la licence ès lettres, à l’agrégation de philosophie (de 1825 à 185113), au doctorat. C’est un exercice quasiment réservé à de futurs professionnels de l’enseignement de la philosophie. Il est donc un exercice effectivement pratiqué dans quelques établissements et peut, d’ailleurs, être rédigé en français ou en latin, pour les élèves de la section des lettres14. Ainsi au concours général sont donnés les sujets suivants : «Distinguer le devoir et l’obligation absolue des conseils uploads/Philosophie/ poucet-histoire-dissertation.pdf
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