OCCIDENT : DEMENT, TELLEMENT. A propos du livre de Jean-Clet Martin : Derrida.

OCCIDENT : DEMENT, TELLEMENT. A propos du livre de Jean-Clet Martin : Derrida. Un démantèlement de l’Occident. « On dirait un démontage et un remontage d’éléments qui dessinent une autre carte de l’Occident et de son histoire ». Jean-Clet Martin La force du livre de Jean-Clet Martin, Derrida. Un démantèlement de l’Occident, est d’offrir non pas une interprétation subversive de la déconstruction derridienne. Que serait d’ailleurs une interprétation subversive d’une philosophie qui se veut la subversion même et de la philosophie et de l’Occident ? Une telle interprétation risquerait de finir dans la redondance de la paraphrase et du commentaire scolastique. Son ambition est tout autre et bien plus intéressante. Elle consiste à pratiquer une lecture fidèle du texte, sensible à sa lettre et principalement préoccupée, au fond, par sa littéralité, qui est suffisamment transgressive de toutes les croyances du monde pour faire de cette lecture un événement. Lire peut devenir un événement et peut en produire : telle est l’heureuse nouvelle portée fièrement par ce livre. De plus, cette subversion à l’œuvre dans la déconstruction s’expérimente en se confrontant par la lecture elle-même à cette lettre du texte. Il suffit de se laisser prendre par la lettre derridienne pour vivre la force de subversion et de transformation de soi à l’œuvre. L’ouvrage de Jean-Clet Martin est donc d’abord une belle confrontation entre deux philosophes que rien ne destinait à se rencontrer. Si la rencontre a pu avoir lieu, c’est parce que le premier avait le désir, de plus en plus rare en Occident, de comprendre l’autre et de le lui montrer en nous le disant et en l’écrivant. Mais entrer dans la littéralité d’un texte ne consiste pas non plus à répéter une pensée critique. C’est pourquoi lire un philosophe n’est peut-être pas ce que l’on croit. Cela ne peut pas relever du commentaire comme en trouve trop souvent chez beaucoup de lecteurs, même derridiens, qui se contentent de répéter des idées sans en mesurer et évaluer les enjeux. Il y a incontestablement une bêtise inévitable dans toute lecture et chez tout lecteur de Derrida à partir du moment où l’interprète se contente de formuler sans prise de risque une thèse sans être capable de voir ce qui en elle dérange, subvertit, choque, démantèle, bouleverse, déconstruit. Trop de textes consacrés à la déconstruction sont encore victimes de cette bêtise herméneutique qui neutralise ce qui s’y dit de non neutre, d’engagé, de radical et donc de critique. Le derridien est une langue qui s’apprend dans la patience et l’effort et peu nombreux sont ceux qui aujourd’hui peuvent prétendre la parler et la comprendre. Non, l’ambition du livre de Jean-Clet Martin ne peut donc pas consister à répéter une pensée critique sans prendre en même temps en compte ce qu’elle fait subir au lecteur lui-même. De quelle manière elle le conduit en des lieux où la pensée ne peut que se retourner contre celui qui croyait comprendre et qui, en réalité, n’y comprenait rien, comme c’est souvent le cas des lectures naïves qui gouvernent encore l’espace d’interprétation de la déconstruction. Cependant, son titre pourrait donner l’impression que l’auteur s’est laissé prendre au piège de l’interprétation subversive apparemment contenue et affichée dans le titre de l’ouvrage en question, un démantèlement de l’Occident, mais celui-ci est peut-être trompeur car très loin d’épuiser sa littéralité interprétative. En réalité, nous ne soulignerons jamais assez l’importance historique et critique de cet ouvrage qui est l’un des rares textes à avoir l’ambition de proposer une lecture d’ensemble de la pensée de Derrida. Même si l’auteur, à plusieurs reprises, rejette la possibilité de reconnaître à l’œuvre dans la déconstruction une unité voire une totalité présente, il n’en reste pas moins vrai que c’est ce 1 postulat qui fait l’une des originalités de cet ouvrage. C’est son ambition et aussi son courage intellectuel que de se mettre à l’affût non pas d’une stérile unité de la pensée, mais d’un sens qui fait plus qu’éclairer une philosophie difficile et complexe qui a égaré et perdu plus d’un interprète. Le sens ne veut pas forcément dire que les concepts derridiens ne fermeraient sur eux-mêmes, sa recherche ne conduit pas naïvement à l’identification dogmatique de thèses autarciques et ne communiquant pas avec le réel, même s’il n’y a pas le réel en tant que tel, mais bien chez Derrida des intuitions, des prises de position, des points de vue, des décentrements qui éloignent certes d’une philosophie à thèses et dogmatique, mais qui donnent en même la possibilité de penser cette pensée comme un véritable chantier conceptuel et critique. Rien ne serait plus faux de faire des concepts derridiens des entités repliées sur elles-mêmes et ne communiquant pas avec le monde. Le livre repose donc sur un rapport nouveau à ces nombreux concepts derridiens qui donnaient l’impression de mal vieillir et d’être devenus impraticables, en leur donnant une nouvelle vie, en leur insufflant une existence nouvelle comme si comprendre devenait une action de survie. Il ne sera pas ici possible d’analyser les nombreux exemples des concepts classiques derridiens que l’auteur ressuscite bien que cette opération constitue très probablement la force première du livre, comme si ce qui animait l’interprète était de montrer que les concepts derridiens aussi sont animés par une force de survie que la lecture, digne de ce nom, est seule en mesure de reconnaître véritablement. C’est en ce sens que cet ouvrage a quelque chose de rare et de puissant qui pourrait bien faire de sa publication un tournant dans la réception de la déconstruction derridienne et, en conséquence, donner vie à des recherches non académiques et non- neutralisantes portant sur la déconstruction, lesquelles manquent terriblement aujourd’hui comme si une chape de plomb interdisait cette liberté intellectuelle qui semble avoir fui les institutions universitaires actuelles et qui expliquent que des pensées critiques ne soient plus étudiées en profondeur comme elles le mériteraient. Cet ouvrage annonce peut-être cette révolution intellectuelle à venir qui pourrait tout bouleverser y compris le conservatisme des institutions. Il est vrai que les livres en langue française sur la déconstruction ne sont pas nombreux par rapport à l’influence de celle-ci au niveau mondial. Les quelques ouvrages qui existent en langue française et qui ont donc tenté de comprendre l’événement déconstruction sont le plus souvent des textes scolaires qui n’osent pas conduire l’interprétation là où Derrida aura conduit ses propres interprétations, comme s’il y avait une loi qui interdisait de rompre trop vite avec les clichés académiques qui alimentent la réception de la déconstruction, lesquels clichés conviennent à tout le monde et particulièrement à ceux qui ne veulent pas qu' une pensée donne lieu à ses potentialités critiques que rien ne pourrait arrêter. Il y a donc une immense censure académique qui s’exerce en permanence sur les pensées critiques et dont la déconstruction est peut-être la première victime. C’est aussi contre cette bêtise de toutes les académies que ce livre lutte. Le projet de Jean-Clet martin est donc de nous faire comprendre que la déconstruction n’est pas ce que l’on croit, à savoir : ni une philosophie d’inspiration littéraire recherchant dans les textes de cette tradition de quoi valider dogmatiquement ses hypothèses de lecture ; ni une herméneutique, même critique, postulant la nécessité de parvenir au sens des textes lus pour en tirer une force critique qui alimenterait à son tour l’interprétation elle-même ; ni, et encore moins, une philosophie du langage qui réduirait le monde à ses expressions linguistiques ; ni une pensée de la politique à la recherche des principes à partir desquels réinvestir la politique par le politique ; ni une éthique à même d’accueillir l’altérité toujours étrange et étrangère de tout vivant ! La déconstruction ne peut se retrouver dans ces mots qui obéissent à une toute autre économie que celle qui obsède cette pensée. Alors, c’est quoi la déconstruction ? Le livre de Martin est un début de réponse à cette immense question à laquelle peu se sont consacrés. L’ouvrage, avouons-le, sans volonté aucune de relativiser son importance, ne nous le dira jamais explicitement probablement, c’est mon hypothèse, car ce n’est pas une réponse que l’on peut donner sans prendre des risques, sans mettre en péril les enjeux mêmes de son écriture, sans fragiliser toute l’entreprise en voie de réalisation, autrement dit, sans se nier elle-même. Il y a comme une crainte assumée qui parcourt ce texte et qui en fait toute sa beauté, crainte d’aller trop loin, crainte 2 de dépasser les bornes de la déconstruction, alors même que c’est elle qui aura passé son temps à le faire. L’idée qui obsède ce livre dense n’est jamais exprimée comme telle, n’est jamais avancée comme hypothèse et n’apparaît que quelques fois, enveloppée dans un discours qui s’avance masqué au meilleur sens du terme. Il y a une prudence touchante qui peut être repérée entre les lignes, mais qui, dès qu’elle a été ressentie, disparaît sur le champ. C’est la pudeur de l’interprète qui le sauve du danger de toute lecture. Voici ce que je crois avoir compris de l’idée qui est donc à uploads/Philosophie/ pour-une-deconstruction-de-la-souveraine.pdf

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