Composer (avec) des identités culturelles [1986] * IDENTITÉS TI est difficile d
Composer (avec) des identités culturelles [1986] * IDENTITÉS TI est difficile de nier ou même tout simplement d'ignorer qtw les faits sono res élémentaires, qu'ils soient intentionnels ou non, deviennent des signes parce qu'ils rencontrent et stimulent une fondamentale capacité d'identifica tion. Dans bien des cas, d'ailleurs, ils témoignent d'une intention identifiable (fût-elle d'abord non volontairement audible, par exemple :des bruits de pas), et parfois même d'un projet explicitement auto-identificateur. Comme nos autres sens, notre ouïe n'a-t-elle pas été «inventée», mise au point, développée et raffinée (sans doute comme une spécialisation de ce sens origine] qu'est le toucher), en premier lieu pour nous infor""1er, nous renseigner le plus précisé ment possible sur les objets et les êtres 4u.i nous entourent, et sur les événe ments qui surviennent, même à distance, dans cet environnement, susceptibles d'exciter nos craintes ou nos appétits? En outre, n'avons-nous pas appris à émettre des signaux pour infléchir dans un certain sens le cours des choses, tout d'abord en nous faisant connaître, fût-ce sous une certaine image simula trice que nous voulons donner de nous-même ? Tout ce complexe témoigne donc et participe de l'existence d'une «représenta tion (intériorisée) du monde ambiant>•, éventuellement rudimentaù·e mais qui s'efforce par nature, par fonction naturelle, d'être aussi juste, c'est-à-dire tout d'abord aussi efficace que possible par rapport à l'objet qu'elle vise, qu'elle s'ef force de rejoindre ou du moins de ·traduire» avec les moyens et au sein du milieu qui lui sont propres mais qui tendent toujours à une plasticité optimale. Certes, il s'agit là, sous sa forme générale, d'un comportement débordant très largement, dans le sens des réalités biologiques élémentaires, la seule «intelligence» humaine voire animale, et témoignant (comme Claudel l'a si * Parution originale fragmentaire dans inHarrnoniques 2 (1987), p. 174-191 ; vérsion complète sous la forme de livre, Paris, IPM, 1989. Écrit à la dema-nde de Pierre Boulez pour le o"2 d'inHorrnonique.. ce texte a pris une extension telle qu'il n'a pu entièrement trouver place dans cette revue, et que seule sa première moitié y a été publiée (jusqu'avant le paragraphe intitulé •Théorie•), d'aill eura sans les quelques minimes exemples qu'elle devait comporter. 296 Série et hamwnie généralisées éloquemment rappelé dans son Traité de la Co-naissance au monde et de soi même) d'une sensibilité caractéristique de toute matière vivante voire peut être même, à quelque niveau (par exemple au niveau microphysique?) de toute espèce de matière (c'est-à-dire d'énergie ou vibration). On peut naturel lement être tenté de s'interroger, à partir d'un certain échelon (pour certains -mais de moins en moins nombreux- dès l'«échelon>> animal), sur la nature consciente de cette faculté. Ne serait-ce pas plutôt dans le sens inverse que l'inten·ogation devrait porter, c'est-à-dire sur la particularité même, prétendu ment incomparable, de la conscience humaine ?1 Sans doute a-t-il été avancé depuis longtemps que le propre de celle-ci serait sa réflexivité (basée sur un développement original de la mémoire) et la capa cité analytique qui en résulte. Mais cette dernière, à nouveau, est-elle autre chose qu'une spécialisation fonctionnelle, certes considérable, et productrice d'une indéniable efficacité sans précédent; cependant peut-être payée, on l'a dit aussi, de certaines pertes non moins flagrantes ... ? Peut-elle se développer sans s'enraciner dans (. .. se baser sur, se nourrir de ... ) la faculté plus fonda mentale de préhension immédiate ? Comme le suggère cette notion, ce qu'elle désigne est de nature essentiellement intuitive -ce qui ne signifie nullement le «Contraire» d'une opération rationnelle (ni moins encore, ici, une quelcon que faculté mystique ou métaphysique t•n rupture radicale avec l'expérience «naturelle»). C'est au contraire sa condition subordonnée (car comment élabo rer rationnellement ce que l'on ne posséderait pas, au moins symboliquement, ce que l'on n'aurait pas d'abord saisi de quelque manière aussi peu différée que possible ?) en même temps que son dépassement globalisateur et unificateur (lequel, soit-il spontané ou induit, pourrait bien être réservé, précisément, à la seule conscience individualisée et donc individualisante, c'est-à-dire à une faculté identificatrice, à la fois de son «Objet>> et de soi-même, en un perpétuel mouvement de va-et-vient dont aucun des termes ne peut prétendre à une antériorité absolue). Pour ne pas trop tarder à nous rapprocher de notre thème particulier (mais j'ai trouvé nécessaire, pour identifier ma position, de proposer ce petit préam bule général), je saute tout de suite à un exemple typiquement humain et même phonétique, c'est-à-dire donc quasi-musical :j'ai été à plusieurs reprises profondément ému quand, téléphonant après un long silence (parfois de plu sieurs années) à une amie chère et lointaine, elle a immédiatement reconnu ma voix au seul bref énoncé des trois syllabes de son nom. Plus généralement, cette capacité à identifier les voix comme les visages, à saisir à travers elles, je dirais volontiers l'âme d'une personne (cependant sans connotation « spiritua liste»!), et dans certains cas son «état d'âme» plus ou moins momentané, m'a toujours plongé dans un abîme d'étonnement admiratif (même le bruit des pas, d'ailleurs, peut parfois nous rendre étonnamm ent identifiable une pré sence ... ). 1 Comment ne pas songer aussi dans ce contexte aux écrits de Maeterlinck sur L'Intelligence des fleurs, Paris, Eugène Fasquelle Editeur, 1907. Composer (avec) des identités culturelles 297 Toutes les formes de mesure et d'analyse, qui nous fournissent incontesta blement de précieuses informations sur ce phénomène ou du moins sur certai nes de ses conditions, restent cependant impuissantes (et, j'en suis convaincu, définitivement) à restituer ou si on préfère à remplacer la globalisation hyper synthétique, la «Simpli:fication-(non-appauvrissante c'est-à-dire préservatrice) du-complexe » que réalise cette perception la plus (sinon la seule) véritablement informative et donc finalement désirable, qui relève essentiellement de l'ordre de la <<Gestalt». Les méthodes rationnelles de description (soit d'abord d'investigation et d'observation)- dont on me ferait grande injustice de croire que je les méprise ou les récuse - me semblent cependant avoir par rapport à elle une vertu exclusivement instrumentale: de circonscription et de dévoilement, d'ajuste ment (de notre appareil perceptif et mental) voire de déblayage et débrous saillage (de nos a priori référenciels inadéquats). Elles agissent à la fois en amont et en aval de cette saisie immédiate, définissant d'une part des «consti tuants>> éventuels de l'objet considéré (qu'il faut donc bien saisir eux-mêmes de manière immédiate et intuitive, du moins à quelque niveau élémentaire, irré ductible en tout cas pour cette opération précise) y compris les relations par tielles qu'ils entretiennent entre eux ; et d'autre part comparant cet objet à d'autres du même ordre (donc aussi appréhendés, «reconnus» globalement) afin de dégager sa fonction propre et caractéristique dans un ensemble ou contexte plus vaste; s'efforçant finalement de cerner ainsi de tous côtés et d'approcher au plus près (possibilité qui sans elle resterait souvent illusoire, d'où sa nécessité) une spécificité figurai tlont la propriété la plus forte est sans doute son indivisibilité, génératrice d'Ull inconfondable, d'un inaltérable (sauf par destruction pure et simple, ce que peut perpétrer, faut-il le rappeler, une dissection inconsidérée) et par conséquent d'un irremplaçable rayonnement. Il faut donc se garder de cacher l'objet, de l'enfouir sous un luxe analytique exces sif et surtout inadéquat ; au contraire, il faut parfois et finalement trouver le geste ou le trait synthétique qui, comme certains graphismes extrême-orien taux, résume son identité essentielle avec un minimum de dépense, la fait proprement surgir de la façon la plus parlante et la plus évidente. Or, ce que peut réaliser un dessin, ou un énoncé poétique, ne peut-il pas aussi (éventuel lement dans la visée d'un autre t y p e d'objet) être le fait d'une phrase musicale, par exemple d'une formule mélodico-rythmique? Faisons un pas de plus, un pas complémentaire vers l'objet principal de notre réflexion, que nous ne tarderons plus à rejoindre ; la recherche hypertro phique, souvent crispée, de l'originalité individuelle à tout prix, dont témoi gnent ou ont témoigné certaines productions artistiques plus ou moins récentes, est d'autant plus dérisoire qu'elle ne pourra jamais remplacer un phénomène bien plus profond qui justement se manifeste avec une force et une beauté particulières lorsqu'il n'est pas recherché; c'est la «griffe» qu'un auteur ne peut pratiquement pas s'empêcher d'imprimer à son travail et aux fruits de celui-ci, même et peut-être surtout lorsqu'il est habité et mû par des intentions entièrement tournées vers l'objet, par des préoccupations purement structu- 298 Sfne et harmonie géneralisc1·. relies et fonctionnelles- voire même ludiques et illusionnistes! Jusque dans )e mensonge et la simulation, les mobiles profonds du sujet agissant, c'est-à dire certaines constantes de son comportement, finissent par remonter à la surface. Et si un «crime parfait» de travestissement, sans être totalement impossible, reste cependant bien difficile en face des capacités extraordinaire ment affûtées d'un «flair perceptif» inné, fût-il na1f, combien plus éclatante sera la révélation d'une personnalité, surtout fortement affirmée (et même appliquée à des cas très divers), pourvu qu'elle se contente de ne pas chercher cette dissimulation, de ne pas y penser davantage qu'à une intention subjecti vement expressive, étant entièrement absorbée par sa volonté et par son atten tion artisanales ! CULTURES ORIENTS En est-il autrement des groupes uploads/Philosophie/ pousseur-composer-avec-des-identite-s-culturelles.pdf
Documents similaires










-
30
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 09, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 4.9170MB