OCTOBRE 2019 La pensée stratégique de John Boyd Joseph Henrotin NOTE DE RECHERC
OCTOBRE 2019 La pensée stratégique de John Boyd Joseph Henrotin NOTE DE RECHERCHE Pensée stratégique Une mise en perspective épistémologique Photographie : « F-22 Raptor », 21.08.2017 L’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD) est une structure de recherche universitaire créée en 2018 et spécialisée dans le domaine des études stratégiques. Soutenu par l’Université de Lyon (UdL), l’IESD appartient à la faculté de droit de l’université Jean Moulin – Lyon III. L’institut accueille une équipe multidisciplinaire (droit, science politique, gestion, économie, histoire) de chercheurs lyonnais et extérieurs, et fédère autour d’elle un réseau d’experts, de chercheurs, de doctorants et d’étudiants spécialisés dans le domaine des études stratégiques. L’IESD est actuellement partie prenante de la candidature à la labellisation « Centres nationaux d’excellence défense » de la DGRIS (Ministère des Armées), dans le cadre d’un programme de recherche intitulé « L’interconnexion des fonctions stratégiques hautes (puissance aérienne, espace, nucléaire, défense anti-missiles) : conséquences politiques et opérationnelles des couplages capacitaires de haute intensité dans les espaces homogènes et les Contested Commons ». Directeur de l’IESD : Olivier Zajec, maître de conférences en science politique, Université Jean Moulin – Lyon III (EA 4586) Site web : https://iesd.univ-lyon3.fr/ Contact : iesd.contact@gmail.com IESD – Faculté de droit Université Jean Moulin – Lyon III 1C avenue des Frères Lumière – CS 78242 69372 LYON CEDEX 08 Joseph Henrotin, « La pensée stratégique de John Boyd, Une mise en perspective épistémologique », Note de recherche de l’IESD, coll. « Pensée stratégique », n°1, octobre 2019. Résumé Si l’œuvre de John Boyd est souvent résumée à la « boucle OODA », ses apports à la pensée stratégique sont bien plus larges. Ils comprennent notamment la théorisation du combat aérien moderne ainsi qu’une réflexion approfondie sur la manœuvre ou les modes de commandement. Derrière la complexité apparente de ses conceptions, sa réflexion, très cohérente, met en avant la recherche permanente d’adaptation. Abstract While John Boyd's work is often summed up in the "OODA loop", his contributions to the strategic thought are much broader. They include the modern air combat theorization or a thorough reflection on maneuver and command modes. Behind the apparent complexity of his conceptions, his perfectly coherent thinking highlights the permanent search for adaptation. A propos de l’auteur Joseph Henrotin est docteur en science politique de l’université libre de Bruxelles (ULB)1 et chargé de recherches au Centre d'analyse et de prévision des risques internationaux (CAPRI, Paris), à l’Institut de stratégie et des conflits (ISC, Paris). Il est également chercheur associé à l'Institut d'études stratégiques et de défense (IESD) de l'Université Jean Moulin Lyon-3. Il intervient à l’École supérieure de guerre (Paris), à l'Ecole supérieure internationale de guerre (Yaoundé) et à l'Institut royal supérieur de Défense (Bruxelles). Il est aussi diplômé de l'école hôtelière de Libramont. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de son auteur, et non celle de l’IESD. Table des matières La pensée stratégique de John Boyd, une mise en perspective épistémologique ........................................ 5 Un homme, de multiples vies.................................................................................................................... 5 Le pilote ................................................................................................................................................ 5 La théorie E-M ...................................................................................................................................... 7 Le stratège des moyens ........................................................................................................................ 9 Le stratégiste ...................................................................................................................................... 13 Boyd, les Marines et la manœuvre ...................................................................................................... 17 L’ascension vers la stratégie ................................................................................................................... 19 La théorie E-M, porte ouverte sur la manœuvre ................................................................................. 20 Le statut du savoir .............................................................................................................................. 22 Incertitude, chaos et manœuvre .......................................................................................................... 23 La boucle OODA .................................................................................................................................. 24 Manœuvre et commandement ............................................................................................................ 26 Boyd et la stratégie opérationnelle ...................................................................................................... 28 Conclusion : une épistémologie de la stratégie ....................................................................................... 31 Bibliographie ............................................................................................................................................... 34 JOSEPH HENROTIN Coll. Pensée stratégique 5 La pensée stratégique de John Boyd, une mise en perspective épistémologique ohn Boyd n’est pas un inconnu pour qui s’intéresse aux études stratégiques, aux études techno-capacitaires ou aux applications de la pensée opérationnelle aux sciences de gestion. Souvent associé à la fameuse « boucle OODA », Boyd est surtout célèbre en tant que pionnier conceptuel de l’US Air Force doté d’un caractère extrêmement original, et parfois incompris (au point que ses pairs le surnommeront le « ghetto colonel »). On le connaît moins comme l’un des pères des programmes d’avions de combat F-15 et F-16, animateur de la « Fighter mafia » des pilotes de chasse américains, inspirateur du Reform movement doctrinal des années 1970, ou encore comme l’une des chevilles ouvrières de l’évolution de la doctrine des Marines dans les années 1980. Rares sont également ceux qui le citent comme théoricien du combat aérien moderne, voir comme un acteur de premier plan dès qu’il devient question de lister les principaux penseurs de la théorie de la stratégie. Tenant compte de ce déséquilibre, le but de cette note est de revenir dans un premier temps sur la carrière et les apports opérationnels de Boyd, pour mieux contextualiser – et donc réévaluer – ses apports conceptuels décisifs à la théorie stratégique. Un homme, de multiples vies Né le 23 janvier 1927 en Pennsylvanie, John Boyd entame sa carrière militaire en tant que jeune conscrit arrivé au Japon en 1946. Voulant d’abord s’engager comme pilote, il n’a pas décroché ses ailes – ses évaluateurs soulignaient ses « faibles 1 Robert Coram, Boyd. The fighter pilot who changed the art of war, Little, Brown and Company, New York, 2002 ; Grant T. Hammond, The Mind of War. John Boyd and American Security, Smithsonian Books, Washington, 2001 ; Jeffrey L. Cowan, From Air Force Fighter Pilot to Marine Corps Warfighting: Colonel John Boyd, His Theories on War, and their Unexpected Legacy, Master aptitudes » au pilotage. Il est affecté comme assistant maître-nageur sur une base aérienne japonaise occupée par les forces américaines. Mais l’hiver est particulièrement rigoureux et les soldats du rang n’ont pas accès aux quartiers chauffés des officiers, qui bénéficient de lits et de repas chauds. L’engagé en tire les conséquences. Il abat deux hangars en bois, les utilise comme réserve de bois de chauffage et, une fois en cour martiale, indique au juge que le premier devoir des officiers est de prendre soin de leurs hommes et qu’en l’absence de cette préoccupation, il a pris les devants. Il sera relaxé1. Les détails de cette anecdote restent discutés, mais elle témoigne du caractère bien trempé d’un homme qui, en dépit de sa carrière hors du commun, ne deviendra jamais général, choisissant, selon ses propres termes « de faire, plutôt que d’être ». Le pilote Rendu à la vie civile en janvier 1947, Boyd entame des études d’économie à l’université de l’Iowa, où il peut s’adonner à la natation – il y excelle – et surtout où il intègre la réserve étudiante, la ROTC (Reserve Officer Training Corp), au titre de l’US Air Force. Au sortir de ses études, il sait qu’il veut être pilote et s’engage. En juin 1951, il est officiellement deuxième lieutenant et le 1er août, il entame sa formation de pilote à Colombus. Outre les fondamentaux théorique du pilotage, il va y voler sur T-6 Texan et montre à ses camarades comme à ses instructeurs une prédisposition à la tactique théorique. En vol, son comportement est à la fois instinctif et agressif, poussant largement ses machines hors des limites de leur enveloppe. C’est typiquement le genre de pilote de chasse que l’US Air Force recherche alors. Boyd va d’abord piloter des F-80 Shooting Star – non sans modifier abruptement et à plusieurs reprises ses plans de Thesis, United States Marine Corps Command and Staff College, 2000 (http://www.dnipogo.org/fcs/boyd_thesis.htm, consulté le 22 décembre 2018). Pour une approche plus distante : David R. Mets, « Boydmania, Review Essay », Air & Space Power Journal, September 2004. J NOTE DE RECHERCHE OCTOBRE 2019 6 vol afin de combattre des camarades de promotion s’entraînant sur F-84. À partir de 1952, il va s’entraîner à Nellis, sur F- 86 Sabre. Il y montre déjà une prédilection pour des combats aériens centrés sur des virages serrés et de forts facteurs de charge. L’entraînement est risqué et, à l’époque, la base enregistrait au moins un crash par semaine. Au terme de 80 heures de vols dédiés à la tactique appliquée, il devient premier lieutenant et, le 27 mars 1953, il débarque à Suwon, en Corée du Sud, pour sa première affectation de combat. Il vole d’abord en tant qu’ailier – une position ne permettant pas de tirer – et le 30 juin, aurait endommagé un MiG-15 au cours d’un vol mené avec un officier d’échange britannique, durant lequel les deux hommes ont passé le fleuve Yalu – ce qui était rigoureusement interdit. Jamais promu leader pendant la guerre, Boyd ne pourra abattre de MiG. Par contre, il excelle dans les combats simulés avec ses camarades et ses monologues sur la tactique, au mess, attirent l’attention de ses supérieurs et d’instructeurs qui lui demandent de formaliser ses vues dans des schémas. L’évaluation de ses supérieurs à la fin de la guerre de Corée est très positive, le proposant pour l’école des chefs d’escadron et le recommandant pour passer au grade de capitaine. Il a alors 27 ans et est envoyé à Nellis, ou il sera basé de 1954 à uploads/Philosophie/ pp-joseph-henrotin-la-pensee-de-john-boyd-une-mise-en-perspective-epistemologique.pdf
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- Publié le Jul 29, 2021
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