N°2 | 1997 : Communauté et/ou Ensemble populationnel Querelles autour des métho
N°2 | 1997 : Communauté et/ou Ensemble populationnel Querelles autour des méthodes Lionel-H. Groulx , « Querelles autour des méthodes », Socio-anthropologie [En ligne], N°2 | 1997, mis en ligne le 15 janvier 2003, Consulté le 31 janvier 2012. URL : http://socio- anthropologie.revues.org/index30.html Le dualisme paradigmatique 1Quiconque ouvre un livre de méthodologie de recherche publié dans les années 90 ne manquera pas de trouver un chapitre sur la recherche qualitative. L'auteur présente l'opposition entre la recherche qualitative et la recherche quantitative en traçant leur différence ou leur incompatibilité quant à la connaissance de l'objet, du devis mis en oeuvre, des instruments de cueillette de données et des modes d'analyse. On aboutit, dans la plupart des cas, à l'élaboration d'un tableau où sont opposées termes à termes les diverses dimensions de chacune des recherches qui renvoient à des paradigmes méthodologiques incommensurables, pour reprendre la formule de T. Kuhn (1970). 2Cette nouvelle légitimité de la recherche qualitative et sa présentation en opposition à la recherche quantitative se vérifient notamment dans les changements introduits entre les deux versions du principal traité de recherche sociale utilisé au Québec, celui dirigé par B. Gauthier (1984 ;1992). Dans la première version, il est peu fait mention de la recherche qualitative. Celle-ci n'est pas reconnue comme telle bien que l'on y fasse implicitement référence dans la section sur la cueillette des données où l'on retrouve des chapitres différents consacrés à l'observation directe, à l'entretien non directif et aux histoires de vie. Ainsi le troisième chapitre écrit par J Chevrier (1984), sur la spécification de la problématique identifie le processus de recherche au modèle hypothético- déductif qui emprunte le langage des variables, de la mesure et de l'opérationnalisation des concepts. La notion ou l'existence de problématique ou de tradition qualitative de recherche ne sont aucunement mentionnées. 3La situation change dans la deuxième édition. Deux nouveaux chapitres sont ajoutés qui traitent des méthodes de recueil des données dont un sur le « focus groupe » et l'autre sur les données secondaires. Mais le changement le plus important reste la réécriture qu'a fait J. Chevrier de son chapitre sur la problématique de recherche, où sont exposées, côte-à-côte, la problématique dans une recherche quantitative et dans une recherche qualitative. L'espace d'écriture est quasi équivalent : douze pages et demi pour la recherche quantitative et onze pages pour la recherche qualitative. Chaque modalité de recherche, est perçue comme différente renvoyant chacune à des paradigmes divergents : « La première approche, basée sur une démarche hypothético-déductive, relève d'un paradigme quantitatif, alors que la seconde approche basée sur une démarche empirico-inductive, procède davantage d'un paradigme qualitatif ». (souligné dans le texte) (Chevrier, 1992 : 53) 4Cette façon de penser la recherche qualitative en opposition à la recherche quantitative, à la manière de paradigmes différents, a une certaine prégnance dans le milieu académique au Québec puisqu'elle est reprise comme telle dans l'argumentation du Rapport du groupe de travail du Comité de la recherche de l'Université de Montréal (Bernard et al., 1995) qui réunissait plusieurs représentants universitaires de disciplines différentes comme les sciences de la santé, l’économie, la philosophie, le service social, la psychologie, les sciences de l'éducation, l’anthropologie, le droit public et la sociologie. Pour ce comité chaque méthodologie produit un type de représentation de la réalité différent agissant comme un paradigme. 1 « Il convient de plaider en faveur d'une pluralité de méthodologies de recherche : chacune d'entre elles produira un type de représentation de la réalité parmi d'autres possibles. Une approche inductive, respectueuse des dynamiques micro-sociales, le recours à divers types d'analyse qualitative, exprimant des processus à l'oeuvre, l'analyse de discours, sont autant de méthodologies qui permettent de construire des représentations de la réalité tout aussi légitimes et pertinentes que celles associées à la gestion des grands nombres. Elles doivent avoir droit de cité au même titre que les autres ». (Ibid. : 32) 5Ici encore, la recherche qualitative n'est plus limitée aux types de données recueillies ou aux instruments mis en oeuvre mais concerne l'analyse des données voire même l'interprétation posée sur la réalité sociale. Dans les deux cas, le traité de B. Gauthier en 1992 et le Rapport du groupe de travail, on relativise la recherche quantitative comme une des manières de se représenter la réalité et on juge légitime la connaissance produite ou générée par la recherche qualitative qui a sa logique et ses exigences propres. 6Ce dualisme et l'argumentation correspondante sont fortement présents dans la littérature sociologique américaine. C'est peut-être E. Guba et Y. Lincoln (1989) qui ont été le plus loin pour affirmer l'irréductibilité entre la recherche qualitative et quantitative en démontrant leur appartenance à des paradigmes, styles de pensée opposés et ce, au triple niveau ontologique, épistémologique et méthodologique. Dans ce raisonnement, la division est consommée. On peut identifier cette vision à celle du « grand partage ». • 1 Ce dualisme renvoie à des manières différentes de penser le social, la vérité et la connaissance. L(...) 7Sans entrer dans l'ensemble du raisonnement de E. Guba et Y. Lincoln, signalons que, pour ces auteurs, la recherche quantitative et qualitative diffèrent au triple plan ontologique, c’est-à-dire sur la définition de la nature de la réalité sociale ; épistémologique : sur la relation entre le sujet et l'objet ; et méthodologique : sur la conduite ou les règles à suivre pour connaître ou découvrir l'objet. Cette opposition tient à des positions axiomatiques différentes concernant la nature de la réalité, la relation entre le sujet connaissant et l'objet à connaître, la généralisation, la définition de la causalité et le rôle des valeurs. La recherche quantitative défend, selon ces auteurs, une ontologie réaliste, une épistémologie dualiste et une méthodologie objectiviste contrairement à la recherche qualitative qui développe une ontologie relativiste, une épistémologie subjectiviste et une méthodologie herméneutique1. 8Bien que cette manière dualiste de penser la recherche sociale apparaisse dominante dans la littérature méthodologique, elle ne fait cependant pas l'unanimité. C'est surtout à l'intérieur de la sociologie que le débat est le plus présent. Il met en présence deux logiques d'argumentation qualifiées respectivement de moniste et de pluraliste. Celles-ci refusent de dualiser la recherche, de tenir comme inséparables les niveaux épistémologiques et méthodologiques ou d'en déduire des paradigmes inconciliables. La première position qualifiée de moniste plaide pour l'unité épistémologique des sciences sociales tout en affirmant l'équivalence ou l'identité méthodologique entre la recherche qualitative et quantitative. La deuxième position qualifiée de pluraliste récuse l'argumentation épistémologique et défend plutôt une diversité et un pluralisme méthodologiques. La convergence, la complémentarité ou l'intégration sont jugées plus aptes à permettre le développement des connaissances que la thèse du « grand partage » épistémologique ou méthodologique. On trouve cependant une nette différence, bien qu'elle ne soit pas absolue, entre les auteurs français et américains pour débattre de cette question, les premiers étant plus proches d'une position moniste et les seconds d'une position pluraliste. 2 9Notre propos vise à exposer le raisonnement au fondement de chacune des positions moniste et pluraliste qui questionnent toutes deux, à partir d'arguments différents, la validité du dualisme paradigmatique en recherche. La prise en compte de chacune de ces logiques d'argumentation laisse cependant entrevoir des rationalités méthodologiques spécifiques, chacune traversée par des positions duales ou contradictoires. Ceci nous oblige à questionner la lecture substantialiste de la recherche, définie à partir d'attributs invariants ou présentée à partir de traits distinctifs et à y substituer une lecture davantage constructiviste où la recherche se conçoit comme un espace argumentatif, qualifié de dialectique et de polyphonique. Le monisme épistémologique 10En France, P. Bourdieu et J.-C. Passeron (1968), auteurs d'un manuel de méthodologie, Le métier de sociologue, largement diffusé et considéré comme un classique, ont été, parmi les sociologues français, les plus ardents à remettre en question ce dualisme surtout dans leurs écrits postérieurs au manuel. Pour ces auteurs, le dualisme n'est pas fondé en raison et tient plutôt sa force et sa prégnance de son utilité sociale. 11Le projet de constituer deux paradigmes méthodologiques posés comme incommensurables tient, selon P. Bourdieu (1992a), du fétichisme méthodologique où la méthodologie est prise en elle- même indépendamment des questions posées et de l'objet à connaître. Ce méthodologisme agit comme « obstacle au progrès de la connaissance ». Les dualismes posés et réaffirmés clôturent la connaissance et tiennent leur force de la mobilisation d'oppositions simples qui renvoient à des oppositions typiquement scolaires, utiles dans le travail pédagogique mais nuisibles pour le travail de recherche. Cette « pédagogie ordinaire des professeurs ordinaires » (Bourdieu, 1992a : 219) renforce, selon lui, les « dispositions au conformisme » en perpétuant et canonisant les oppositions plus ou moins fictives entre des auteurs, des méthodes et des concepts. « Il y a un certain nombre de faux débats morts et enterrés (interne/externe en est un, qualitatif/quantitatif un autre) qui n'existent que parce que les professeurs ont besoin de cela pour vivre, parce que cela permet de faire des plans de cours et de dissertations » (ibid. : 157) 12Transposer une technique de collecte de données en paradigme, mode d'analyse ou tradition théorique tient, selon le même auteur, uploads/Philosophie/ querelles-autour-des-methodes.pdf
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- Publié le Oct 22, 2022
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