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\ Paul Ricoeur Réflexion faite Autobiographie intellectuelle philosophie 1';1\;'i 2 ()()()21In 70 (O 1-:1 l\TIONS ESPRIT, 1995 1.1/, 111" S:lint-Manin, F,/'íOO.) Paris Ik,llilllllioll dilTlIsion:Le Senil ÉDITIONS ESFm Avertissement S OUS le titre Réflexion faite ont été réunis deux textes d'ori- gine et de destination dif{érentes. L'Autobiographie intellec- tuelle constitue la uersion française originale de l'essai publié en anglais en tête de; l'buorage The Philosophy of Paul Ricreur, édité par Lewis Edwin Hahn dans la série qu'il dirige The Library of Living Philosophers*. L'essai est un texte de commande au titre obligé; mais l'auteur s'est soumis librement aux lois du genre. L'Autobiographie intellectuelle sert d'intro- duction à une série d'essais «ilescriptifs et critiques portant sur Ia philosophie de Paul Ricceur » ; chacun de ces essais est suivi d'une «réponse » de ce demier; une bibliographie «systémati- que, primaire et secondaire », établie par Frans D. Vansina, ter- mine le volume. L'ouvrage est destiné principalement au public informé de langue anglaise. « De Ia métaphysique à Ia moral e » constitue Ia contribu- tion du directeur de Ia Revue de métaphysique et de morale au * Vol. XXII, Chicago and Lasalle, IIlinois, Open Court, 1995. 7 PAUL RIC<EUR / numéro du Centenaire de Ia revue, paru en 1994. Le titre reprend celui donné cent ans plus tôt par Félix Ravaisson à sa contribu- tion au premier numero de Ia revue fondée par Elie Halévy. et Xavier Léon. Le: titre, ici aussi, est imposé, mais três volontiers assume. La place de cette étude à Ia suite de l'Autobiographje intellectuelle a paru justifiée dans la mesure ou réflexion y-~st faite sur quelques catégories de rang supérieur, - le Même et l'Au- tre, Ia Puissance et l'Acte - qui structurent le discours de Soi- même comme un autre. Ce discours de second degré, faisant ré- flexion sur -un parcours antérieur de pensée, se donne pour tâche de montrer qu/une spéculation portant sur le rôle tenu par Ia fonction méta- dons le discours philosophique maintient ouverte Ia voie conduisant « de Ia métaphysique à Ia morale », et telle qu'elle est explorée dans Ia derniêre partie de Soi-même comme un autre, En frayant ainsi Ia voie à d'autres travaux consacrés au rapport entre métaphysique et morale, l'essai donne à entendre que l'expression «réflexion faite », commune à ces deux essais de style difiérenl, ne doit pas être confondue avec Ia sentence « tout compte fait ». La réflexion, même redoublée, ne se referme pas sur un bilan: 8 I ilutolJiogrophie intellectuelle / L E TITRE CHOISI pour cet essai d'autocompréhension sou- ligne les deux sortes de' [imites imposées à cette entreprise. D'abord, l'adjectif intellectuel avertit que l'accent princi- pal sera mis sur le développement de mon travail philosophique et que seuls seront évoqués les événements de ma vie privée susceptibles de l'éclairer. Parlant ensuite d'autobiographie, je prends en compte les piêges et les défauts atlenant au geme. Une autobiographie est d'abord le récit d'une vi ; omme toute oeuvre narrative elle est sélective et, à ce titr , inévitablement biaisée. Une autobiographie est, en outre, au ens précis, une oeuvre littéraire ; à ce titre, elle repose sur l'écart tantôt béné- fique, tantôt nuisible, entre le point de vue rétrospectif de l'acte d'écrire, d'inscrire le vécu, et le déroulement quotidien de Ia vie; cet écart distingue l'autobiographie du journal. Une auto- biographie, enfin, repose sur l'identiLé, eLdonc l'absence de dis- tance entre le personnage principal du récit qui est soi-même et le narrateur qui dit je et écrit à Ia premiere personne du singulier. 11 PAUL RIC<EUR / Conscient de ces limites, j'admets bien volontiers que Ia reconstruction que j'entreprends de mon développement intel- lectuel n'a pas plus d'autorité que telle autre effectuée par un biographe autre que moi-même. Je ferai débuter mon récit par le souvenir que je garde de l'année passée en classe de philosophie. C'était en 1929-1930"; j'avais alors dix-sept ans ; j'étais pour Ia premiere fois confronté avec un enseignement qui différait profondément de tous les précédents, aussi bien en littérature, en histoire ou en science ; il ne différait pas toujours par les auteurs traités : on avait déjà étudié d'un point de vue littéraire les tragiques grecs, les ora- teurs latins, Pascal, Montesquieu et les «philosophes du xyme siêcle »; mais les raisons profondes de leur conception des choses nous avaient été en quelque sorte dissimulées. On s'attaquait enfin en classe de philosophie aux doctrines elles- - mêmes, à leurs principes, à leurs raisons, à leurs conflits. Notre professeur, Roland Dalbiez, était de formation néo-thomiste : il argumentait à Ia façon des scolastiques du XIye siecle, plutôt qu'à ceIle de Thomas d'Aquin lui-même. L'art de Ia question disputée m'enchantait. L'adversaire principal était l'idéalisme, suspecté de laisser Ia pensée refermer sa prise sur le vide; privée de réel, Ia pensée était contrainte de É'~ replier narcis- siquement sur elle-même. Un audacieux rapprochement était ainsi opéré entre tout un courant de Ia pensée philosophique modeme et l'attitude déréalisante observée dans le délire des psychotiques. II faut dire que notre maítre fut le premier phi- losophe français à écrire sur Freud et Ia psychanalyse ; Freud était principalement loué pour son réalisme naturaliste, qui le plaçait d'emblée du côté d'Aristote, plutôt que de celui de Des- cartes ou de Kant. Je suis persuade aujourd'hui que je dois à mon premier maítre de philosophie Ia résistance que j'opposai à Ia préLention à I'immédiateté, à I'udéquation et à I'apodicticité du cogito cartésien, et du « Je pense » kantien, lorsque Ia suite de mes études universitaires m'eut conduit dans Ia mouvance 12 Réflexion faite des héritiers français de ces deux fondateurs de Ia pensée moderne. Je pense aussi que je dois à Roland Dalbiez mon souci ultérieur d'intégrer Ia dimension de l'inconscient, et en général le point de vue psychanalytique, à une maniêre de penser pourtant for- , tement marquée par Ia tradition de Ia philosophie réflexive fran- çaise, ,~omme c~la apparait dans le traitement que je propose de «I involontaire absolu» (caractere, inconscient, vie) dans mon premier grand travail philosophique, le Volontaire et l'in- volontaire (1950). Mais je ne veux pas m'éloigner de Roland Dalbiez sans avoir rendu hommage aux corrseils d'intrépidité et d'~ntégrité qu'il .prodiguait à ceux d'entre nous qui s'étaient pro- mJ~, dês Ia sortie de sa classe, de vouer Íeur vie à Ia philoso- phie : quand un problême vous trouble, vous angoisse, vous fait peur, nous disait-il, ne tentez pas de contourner l'obstacle, abor- dez-le de front. Je ne sais jusqu'à quel point j'ai été fidêle à ce précepte ; je puis seulement dire que je ne l'ai jamais oublié. A vrai dire, cette rêgle de pensée tombait dans une oreille particulierement bien disposée . à dix-sept ans, j'étais ce qu'on appelIe un bon élêve, mais surtout un esprit curieux et inquiet. Ma curiosité intellectuelle résultait d'une culture livresque pré- coce. Orphelin de pêre et de mêre (ma mere était morte peu apres ma naissance et mon pere, professeur d'anglais au Iycée de Valence, avait été tué en 1915 au début de Ia Premiere Guerre mondiale), j'avais été élevé à Rennes, ave c ma sceur un peu plus âgée que moi, par mes grands-parents paternels et par une tante, soeur cadette de onze ans de mon pêre et restée cé- libataire. Le deuil de mon pêre, s'ajoutant à une austérité sans doute antérieure à Ia guerre et à ses désastres, faisait que le cercle de notre famille ne fut jamais pénétré par l'euphorie gé- nérale de l'apres-guerre. C'est ainsi que I'enlant, classé admi- nistrativement parrni les «pupilles de Ia nation », se trouvait livré ali dessin, à Ia lecture, en un ternps 011 les loisirs collect irs él~ient encore peu développés eL ou les médias n'avaient pas pns en charge les distractions de Ia jeunesse. C'est ainsi que PA I. 111(;(1<:1111 I'j' 1'11111 1.14 111 I (,,,I ns, 'est passé 1'1111.111 111111 11I1 I I I, I I I I d. "1"011 tI(, I{('nn , à l'enseigne- /111pOllll de cl vorer, dês avant Ja 1\"0111111 md s par les professeurs. qllt' ful La découverte des « grands 11111" pr dant« l'année de philo- », 11111 111' Ic,ltllC IlIl ri ures n'aurait pu m'épargner le "Ir," qll' I CIII111111 111I111" m i Ia rencontre avec Ia « vraie » phi- 10 41plllCqllc I {)I I an doute, je n'avais pas su identifier chez MOIII".',111. I' I ('tU, Voltaire, Rousseau, ceux qu'on appelait p4l1ll1/l"I Ic' • philosophes ». .J' li PHrI' d'un esprit curieux et inquiet. Je viens de dire ('C '1"1 n tout à Ia fois nourri et aiguisé ma curiosité jusqu'au ('1111 d ' la classe de philosophie. Quant à l'inquiétude, je tends IlIjourd'hui à Ia rattacher à Ia sorte de concurrence que se fai- sai nl en moi mon éducation protestante et ma formation int l- i tuelle. La premiêre, acceptée sans réticence, m'orientait v r un sentiment que j'ai identifié beaucoup plus tard, à Ia lecture de Schleiermacher, comme sentiment de «dépendance abso- lue » ; les uploads/Philosophie/ re-flexion-faite-autobiographie-intellectuelle-by-paul-ricoeur.pdf

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