ÉTUDES DE PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE Directeur : Étienne GILSON LA STRUCTURE MÉTAPHY

ÉTUDES DE PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE Directeur : Étienne GILSON LA STRUCTURE MÉTAPHYSIQUE DU CONCRET SELON SAINT THOMAS D’AQUIN PAR AIMÉ FOREST PROFESSE17R A L’UNTVERSITÉ DE MONTPELLIER Avant-Propos d’Êtienne Gilson, de 1’Académie française Deuxième édition, conforme à la première BlBU-.JÍCÃjÇ FSTUPANTAPQ. B EUOTECA PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VII IN 6, Place de la Sorbonne, ▼" 1956 ) ) ) ) ) ) ) .) ) ) ) ) AVANT-PROPOS ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) ) Publiée en 1931, la thèse de M. Aimé Forest est depuis longtemps devenue introuvable. Elle n’a pourtant jamais cessé d’être citée, à tel point qu’on peut aujourd’hui la tenir pour une sorte de classique dans 1’histoire des études thomistes en France. Par sa méthode même, indifférente à 1’érudition que ne requiert pas directement 1’explica- tion philosophique, ce livre semble à 1’abri des injures du temps. Nous avons souvent pressé son auteur d’en donner au public une nouvelle édition, mais nos demandes étaient jusqu’à présent demeu- rées sans effet. Lui-même se trouvait aux prises avec deux sentiments contraíres, son désir de refondre 1’ceuvre avant de la rendre au public, et son regret de ne pas jouir du loisir intellectuel nécessaire pour mener à bien pareille entreprise. Les nombreux lecteurs qui ont suivi son activité philosopbique au cours des vingt dernières années ne seront pas surpris de 1’apprendre. La thèse de 1931, sur La structure méta- physique du concret selon saint Thomas, avait exigé de son auteur un effort d’interprétation et de construction très considérable. On ne se met pas à volonté en état d’écrire un tel livre. II n’est même pas certain qu’on puisse, fút-ce au prix d’un nouvel effort, se replacer vingt-cinq ans plus tard au point de vue privilégié d’oú une certaine oeuvre apparaissait alors possible. La vraie raison pour laquelle M. A. Fo­ rest n’a jamais trouvé le temps de refondre son premier livre est peut- être simplement que, s’il entreprenait de le faire, il en écrirait proba- blement un autre qui, sans rien renier de celui-ci, en serait sans doute plus ou moins différent. L’unité de structure du livre de 1931 est trop rigoureuse pour qu’on puisse en modifier sérieusement une partie sans s’engager à remanier le tout. Nous sommes donc très reconnaissant à M. A. Forest de nous avoir tiré d’embarras en nous autorisant à reproduire aujourd’hui sa thèse telle qu’elle fut d’abord publiée, à quelques détails matériels près. Nous éprouvons d’autant moins de scrupules à le décharger de toute responsabilité à cet égard, que notre désir personnel est de préserver ce livre tel qu’il est. Les formes futures que son auteur reste libre de X AV ANT-PROPOS AVANT-PROPOS XI lui donner, même si elles sont plus que des futuribles abstraits, ne remplaceront jamais pour nous celle-ci, dont nous avons besoin. Puis- que voici notre auteur libre de toute responsabilité dans cette réédi- tion, nous y engageons nécessairement la nôtre. Qu’il nous soit donc permis de dire en quelques mots pourquoi, à cause des nuances mêmes qui distinguent nos interprétations du thomisme, il nous parait néces- saire de maintenir la sienne sous les yeux des lecteurs de saint Thomas d’Aquin. La synthèse menée à bien par M. Aimé Forest s’organise autour de la notion de « concret », ou d’existence concrète, conçue à la fois comme « position pure d’un être » et comme « être d’une nature » comportant les éléments constitutifs que 1’analyse doctrinale a précisément pour objet de dégager. C’est là qu’est le cceur même du réel, dans cette unité complexe dont notre historien poursuit inlassablement 1’étude : « Voilà ce qu’exprime pour saint Thomas le mot concret, qu’il faut sans doute prendre en ce sens premier : ce qui est assemblé, uni, sous un même principe ou sous un même acte. » (p. 39). Appuyé sur cette certitude, M. Aimé Forest oppose discrètement, mais avec force, 1’être structuré du vrai thomisme à 1’image déformante que Pierre Duhem en avait donnée. Cet être n’a rien d’une mosaíque de fragments isolés et de concepts abstraits pris pour des choses. Au contraire, « le concret nous apparait comme une perfection, et non seulement comme une réalité d’emprunt, ou comme un reflet : hoc quod dico esse est inter omnia perfectissimum. Le thomisme est un réalisme mystique. Le concret suppose en outre une composition métaphysique, soumise à cette con- dition de ne jamais détruire l’unité, qui se convertit avec l’être. Le thomisme est une métaphysique de 1’unité. » (pp. 44-45). Ce thomisme de 1’ « existence concrète » absorbe donc d’avance toutes les perfections que revendiqueront bientôt pour 1’être les tho- mismes de 1’ « existant » et de 1’ « acte de 1’être », et il le fait avec la certitude de prolonger par là, la justifiant aussi pleinement que pos- sible, une des interprétations classiques de la doctrine. Le point de départ s’en trouve dans la description et 1’explication du devenir pro- posée par Aristote (p. 14), car « 1’être de saint Thomas est celui d’Aris- tote » (p. 36). Dans cette vue, ce qu’il y a de propre au thomisme est moins la découverte de nouveaux príncipes que « la rigueur avec la- quelle il se tient » à ceux de 1’aristotélisme « et les applications diverses qu’il en fait » (p. 88). Interprétation parfaitement cohérente avec celle qui voit dans Fesse thomiste 1’être d’une nature existant par soi, et faisant à 1’égard de cette nature « le rôle d’une forme, d’un acte, d’un complément, d’une perfection » (p. 38). En appuyant la doctrine de saint Thomas sur cette notion de 1’être concret, dont 1’origine est authentiquement aristotélicienne, M. Aimé Forest posait en termes particulièrement difficiles le problème de 1’originalité du thomisme et, en un sens, celui de son existence même. On conçoit donc qu’il se soit attaché avec soin à marquer le genre d’originalité qu’il reste possible d’attribuer au thomisme ainsi entendu. Sur ce point, deux remarques nous semblent utiles. La première est que Finterprétation de saint Thomas proposée par M. A. Forest reste profondément traditionnelle en son refus de le séparer d’Aristote. Saint Thomas lui-même n’a jamais revendiqué aucune originalité philosophique ; il s’est toujours retranché, en méta­ physique, derrière 1’autorité du Philosophe et nul de ses grands com- mentateurs n’a jamais prétendu faire de lui le fondateur d’une phi- losophie nouvelle. Les innovations qu’on lui a jadis attribuées, pour 1’en louer ou l’en blâmer, étaient théologiques beaucoup plus que phi- losophiques. En un temps comme le nôtre, oü les différences indivi- duelles sont mises à si haut prix, il est bon qu’un livre comme celui-ci rappelle la primauté de la Vérité sur 1’originalité à ceux d’entre nous qui sont tentés de 1’oublier. Notre deuxième remarque touchera les attaches de la notion de « concret », qui caractérise ici 1’être thomiste, avec cet être auquel, dans ses ceuvres ultérieures, M. A. Forest lui-même nous invite à con­ sentir. Ce n’est pas ici le lieu d’examiner la philosophie de notre auteur lui-même. Nous voulons seulement faire observer à quel point ce tho­ misme de 1’être concret, favorable comme il 1’est à une synthèse d’Aris­ tote et de saint Thomas, prépare d’avance le généreux accueil réservé plus tard par son auteur à certaines aspirations philosophiques de notre temps. Et en cela, une fois de plus’, il se montre fidèle à l’un des traits authentiques de la doctrine qu’il se propose d’interpréter. Par- lant de 1’individuation telle que saint Thomas 1’a conçue, notre histo- rien n’hésite pas à dire : « C’est en particulier parce qu’elle est aristoté­ licienne que cette théorie peut être intégrée à une philosophie chré- tienne. » (p. 257). En effet, cet apparent paradoxe trouvera, chez saint Thomas lui-même, autant de confirmations qu’on en pourra désirer. Rien n’est plus authentiquement thomiste que 1’affirmation de cet accord profond entre FEcriture et Aristote. On ne s’étonnera donc pas que ces concordances entre philosophie et religion s’accompagne de nombreuses autres entre philosophies différentes. Une ontologie de 1’être concret, surtout lorsqu’elle est aussi ennemie du vague que l’est celle-ci, est comme destinée par son essence même à trouver une place pour chaque vérité. On se tromperait grandement en pensant que, certain de cette conti- nuité profonde entre les doctrines, notre historien méconnaisse leurs différences, mais il semble souvent les voir à la fois semblables et dis- semblables en ce qu’elles laissent « subsister les mêmes vérités selon des príncipes différents ». Peu de pages de ce livre sont plus sugges- tives à cet égard que celles oü, reconnaissant la diversité qui se ren- XII AVANT-PROPOS contre dans les notions fondamentales dont usent saint Bonaventure et saint Thomas, M. Aimé Forest maintient que, si les príncipes d’expli- cation diffèrent, la vision du monde est la même. « L’univers thomiste demeure 1 univers Bonaventurien, ou si l’on veut augustinien, c’est-à- dire un univers hiérarchique, dans lequel aucune perfection donnée ne vient épuiser les virtualités de la matière. » A quoi il ajoute aussi- tôt : « Au reste, n’est-ce uploads/Philosophie/ aime-forest-intro-cap-1-4-la-structure-metaphysique-du-concret-selon-saint-thoamsa-d-x27-aquin.pdf

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