Réponse à Patrick Tort Cette réponse fait suite à la demande amicale de Patrick
Réponse à Patrick Tort Cette réponse fait suite à la demande amicale de Patrick Tort, étonné et sans doute un peu déçu de mon commentaire - par ailleurs élogieux - de son dernier livre « Du totalitarisme en Amérique », lui faisant part de mes « sévères critiques » sur le chapitre 9 de ce livre, intitulé : « Redéfinir le totalitarisme » et qui figure en annexe de cette réponse. Patrick m’a donc aimablement prié de bien vouloir lui expliquer en quoi ce chapitre était à mes yeux inconsistant, au point de lui dire qu’il eut mieux valu qu’il s’abstienne de le conserver dans sa version fi nalement publiée. C’est ce à quoi je me suis efforcé, aussi clairement et distincte ment qu’il m’était possible de le faire. 1 Redéfinir le « totalitarisme » ? « Le « noyau sémantique commun » à tous les usages du terme de « tota litarisme » peut désormais apparaître à la lumière de ce qui a vraiment constitué l’ensemble globalement homogène des « totalitarismes » historiquement identi fiables. Le totalitarisme est l’ensemble des stratégies et des pratiques qui effectuent par l’imprégnation idéologique et/ou par la contrainte l’assujettissement de toute une société à un arbitraire politique unique ne tolérant aucune dissidence. Cette défi nition s’applique intégralement au fascisme italien et au nazisme allemand, dont la caractéristique commune est qu’ils ont effectivement établi une cohérence entre leur « discours » (leurs principes ou leur corps doctrinal) et leur « pratique » – et cela s’appelle très justement une « mise en oeuvre » ou une « application ». Cette dernière notion est essentielle. Un régime totalitaire est un système de gouvernement qui ap plique intégralement et en vertu de sa seule autorité ses principes doctrinaux à une société en excluant et en réprimant toute conception alternative et toute autonomie, même relative, de pensée ou d’action de ses membres. Mussolini a appliqué à la na tion italienne les principes du fascisme, tout comme Hitler a appliqué à la nation al lemande la doctrine monstrueuse du Führerprinzip (défini dans Mein Kampf comme inspiré de l’organisation militaire, et réduisant le fonctionnement de la société à la bonne exécution des ordres issus d’une autorité considérée comme infaillible à travers tous les paliers d’une hiérarchie de chefs responsables), sur fond d’aryanisme triom phant. 1 » Patrick Tort : Introduction du chapitre 9 de « Du totalitarisme en Amérique » Cher Patrick, S’agissant de « redéfinir le totalitarisme dans le cadre d’une analyse critique du « concept » et qui partirait de son noyau « sémantique », j’observe d’emblée une « impasse » de ta part, à la lecture de cette introduction. La notion de « totalité » elle-même n’est pas considérée, que ce soit d’un point de vue scientifique ou philosophique et pas même philologique. De quoi cette totalité pourrait-elle être le nom, dont le totalitarisme serait le « sujet » et avec quel objet ? Certes les concepteurs « modernes » de la notion et de son usage contemporain (Brzezinski et Arendt) s’en sont également abstenus, pour d’évidente raisons idéologiques, mais on s’y attend moins de la part d’un marxiste aussi éminent que toi. Bien que je n’ai, comme tu t’en doutes, aucune dilection pour ton défunt collègue Lefebvre et ses fumeuses élucubrations, même un fieffé libéral-libertaire comme lui mesurait bien l’importance de ce « point de vue ». Il commençait même ainsi son pensum sur la « Notion de totalité dans les sciences sociales » : « La notion de totalité est une notion philosophique. Peut-être même doit-on la considérer comme une « catégorie » de la philosophie ». NB : tu apprécieras le « Peut-être même » … typique des sophistes d’époque. 1 Du totalitarisme en Amérique P. 118 2 Tu te doutes bien de ce que je pense des péroraisons de Lefebvre, visant à légitimer sa condamnation du « système », y compris philosophique, en tant que « totalitaire » - comme tu t’en souviens à l’Époque il était déjà de bon ton2, de se déclarer avec Lefebvre : farouchement « contre le système » (sans plus déterminer ce que cela recouvrait) et se poser comme « en marge » dudit système, pour passer pour « subversif et/donc révolutionnaire »3. Et je t’épargne les innombrables gloses fumeuses des théologiens « antitotalitaires » comme celles des exégètes de la « totalité concrète » - i.e . les nouveaux adeptes de « l’Humain d’abord » et autres sectes druidiques célébrant « l’Homme total » à la serpette révisionniste ! Je m’en tiens donc à ce qui distingue fondamentalement l’approche idéaliste (« mystique » disait Marx) de Hegel, de celle de Marx . Et d’abord en soulignant que ce dernier se démarquait de Hegel par sa conception matérialiste du « concept » de totalité comme résultat de « l’agrégat » comme tu dis souvent, de l’activité humaine. 2 C’était même un des « marqueurs » du conformisme de nos petit-bourgeois-rebelles depuis le fin des années 60. 3 Cf. Foucault à qui on doit cette équation « révolutionnaire », légitimant son « concept » de la marginalité. 3 Une conception matérialiste notoirement explicitée par Marx dans ses fameuses « thèses sur Feuerbach » et singulièrement celle-ci : « Feuerbach, que ne satisfait pas la pensée abstraite, en appelle à l'intui tion sensible; mais il ne considère pas le monde sensible en tant qu'activité pratique concrète de l'homme. » Ou cette autre, où Marx précise sa critique de la critique matérialiste de Hegel par Feuerbach : « Le principal défaut, jusqu'ici, du matérialisme de tous les philosophes – y compris celui de Feuerbach est que l'objet, la réalité, le monde sensible n'y sont saisis que sous la forme d'objet ou d'intuition, mais non en tant qu'activité humaine concrète, en tant que pratique, de façon non subjective. C'est ce qui explique pourquoi l'aspect actif fut développé par l'idéalisme, en opposition au matérialisme, — mais seulement abstraitement, car l'idéalisme ne connaît naturellement pas l'activité réelle, concrète, comme telle. Feuerbach veut des objets concrets, réellement distincts des objets de la pen sée; mais il ne considère pas l'activité humaine elle-même en tant qu'activité objective. » Si le totalitarisme est le totalitarisme, quoi qu’on veuille mettre sous cette dénomination, elle suggère bien la totalisation de quelque chose … C’est pourquoi, avant de passer aux « minuties » comme disait Marx, et selon sa méthode dialectique ( voir plus loin la section « à propos du Logos de Marx ») il convient d’exposer d’abord de quoi on va parler, autrement de quoi la totalité totalitaire est-elle le nom ? Détour « esthétique » : l’expression de la totalité. Considérant ton souci très légitime des attendus linguistiques de la question (y compris ceux des « complexes discursifs » qu’elle sollicite), je pense utile de faire le petit détour qui suit pour illustrer mon propos « totalitaire » par une analogie tirée d’une de mes vies professionnelles antérieures. Elle sollicite la « lingua franca », d’usage spontané par tous ses locuteurs de par le vaste monde et spontanément comprise par tous : le langage cinémato-graphique. C’est ainsi que je faisais observer à mes petits camarades qu’en matière de langage ci nématographique, l’unité syntaxique du plan pouvait déjà être décrite comme totalité 4 – au sens de Marx et non comme élément ni comme ensemble au sens des représentations abstraites coutumières (y compris de Hegel), notamment mathématiques. À toutes fins utiles, tu trouveras l’intégrale de ce petit « topo » sur le site5. J’en extrais ici un bref passage qui me semble pertinent à ce stade de ma recension critique de ton « chapitre 9 », en référence à la manière dont tu soulignes un point que tu distingues comme « commun » à deux « totalitarismes historiquement identifiables ». Ce point que tu distingue donc comme leur pratique – comme « mise en oeuvre » ou application. Donc, sur cet aspect pratique du « totalitarisme » mis en œuvre, c’est à dire en actes, il est bon de se demander ce qu’on entend par totalité ainsi « appliquée » avant même de nous dire ce dont ce totalitarisme serait le nom. 4 Une totalité elle-même inscrite comme élément de syntaxe dans une opération de totalisation plus large – un « complexe discursif » comme tu dis - qu’est l’oeuvre (opera) où s’opère la totalité discrète mise en œuvre comme « discours symbolique » qu’est une production cinémato-graphique. 5 https://www.librairie-tropiques.fr/2022/11/la-totalite.html 4 Bref préciser et qualifier ce à quoi renvoie tout totalitarisme tant par sa nature que par la forme sous la laquelle il tend à s’imposer « sans dissidence », comme tu dis, recou vrant donc la totalité « en pratique » et par conséquent la pratique de la totalité … de la société. J’ai développé lors de notre brève conversation, sur la base de mon petit montage « résumant » la prisonnière du désert, le point selon moi important, qui fait référence aux commentaires de Xavier Kieft dans la vidéo de sa communication sur « l’image mouvement uploads/Philosophie/ reponses-a-patrick-tort 1 .pdf
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- Publié le Dec 04, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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