Tracés. Revue de Sciences humaines 24 (2013) Réalité(s) du possible en sciences
Tracés. Revue de Sciences humaines 24 (2013) Réalité(s) du possible en sciences humaines et sociales ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Robert Stalnaker Une conception réaliste des contrefactuels ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Robert Stalnaker, « Une conception réaliste des contrefactuels », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 24 | 2013, mis en ligne le 21 mai 2015, consulté le 22 mai 2013. URL : http://traces.revues.org/5669 ; DOI : 10.4000/traces.5669 Éditeur : ENS Éditions http://traces.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://traces.revues.org/5669 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Cet article a été téléchargé sur le portail Cairn (http://www.cairn.info). Distribution électronique Cairn pour ENS Éditions et pour Revues.org (Centre pour l'édition électronique ouverte) © ENS Éditions Tracés 24 2013/1 pages 179-214 Une conception réaliste des contrefactuels Robert Stalnaker Traduit de l’anglais (américain) par Pierre Saint-Germier Robert Stalnaker fait partie des logiciens philosophes qui dans les années 1960 ont renouvelé l’étude des conditionnels contrefactuels1. Dans un article publié en 1968, resté depuis un classique, Robert Stalnaker développe une logique des conditionnels contre- factuels faisant appel à un ensemble de mondes possibles dont le monde réel ne consti- tue qu’un élément parmi d’autres2. Le propos du texte qui occupe le huitième et dernier chapitre de l’ouvrage Inquiry publié par Stalnaker en 1984, et dont nous proposons ici une traduction inédite en français3, concerne les fondements philosophiques de cette logique des contrefactuels. La volonté, chez son auteur, d’y défendre une conception réaliste des contrefactuels lui confère un intérêt tout particulier du point de vue du projet qui guide ce numéro, à savoir la définition d’une approche réaliste du possible en sciences humaines et sociales. Nous nous proposons dans ce qui suit de donner quelques éléments sur la logique des contrefactuels élaborée par Stalnaker et la conception des mondes possibles qu’il défend, avant de situer la question du réalisme. La théorie de Stalnaker est construite autour de l’idée générale que pour savoir si un contrefactuel de la forme A > C est vrai, il suffit de savoir si son conséquent C est vrai 1 Conformément à un usage établi en philosophie du langage, par « conditionnel » nous désignons un énoncé conditionnel, c’est-à-dire un énoncé de la forme : « si A, alors C ». On appelle A l’an- técédent et C le conséquent. On distingue les conditionnels indicatifs (conjugués à l’indicatif) des conditionnels contrefactuels, dont l’antécédent est tenu pour faux et dont le conséquent est conjugué au conditionnel. Nous exprimons symboliquement la relation de conditionnalité par le connecteur : « A > C » se lit « si A, alors C ». 2 Stalnaker n’est pas le seul à adopter cette approche pour étudier la logique des contrefactuels. David K. Lewis (1973b) en est un autre défenseur. Les deux philosophes ne sont pas d’accord sur les détails, cependant. Voir Stalnaker (1981) pour une réponse à Lewis. 3 Le chapitre original s’intitule « Realism about counterfactuals », Inquiry, Cambridge, the MIT Press, 1984. Nous remercions son auteur ainsi que les Presses du MIT pour leur aimable auto- risation. Nous avons traduit tous les textes originaux cités par Robert Stalnaker. 180 Robert Stalnaker dans le monde possible qui, parmi tous ceux dans lesquels l’antécédent A est vrai, diffère le moins du monde réel. Considérons par exemple le contrefactuel : (1) Si Hitler s’était suicidé en 1908, il n’y aurait pas eu de Seconde Guerre mondiale. Pour évaluer ce contrefactuel, il nous faut d’abord considérer l’ensemble des mondes possibles dans lesquels Hitler se suicide en 1908. Parmi ces mondes, certains ressembleront plus au monde réel que d’autres. Pour savoir si le contrefactuel (1) est vrai, il nous faut nous intéresser à celui dont le cours s’éloigne le moins du cours effective- ment pris par les événements et vérifier que dans ce monde-là, il n’y a pas de Seconde Guerre mondiale. Pour entrer un peu plus dans les rouages de la théorie, le principal outil qu’utilise Stalnaker est une fonction de sélection. Il s’agit d’une fonction au sens mathématique du terme, qui à un monde possible w et une phrase P associe le monde possible qui, parmi tous ceux où P est vrai, diffère le moins de w. Le contrefactuel A > C est vrai dans un monde w si et seulement si C est vrai dans f (w, A). Ainsi (1) est vrai (dans le monde réel) si et seulement s’il n’y a pas de Seconde Guerre mondiale dans le monde désigné par la fonction de sélection comme étant le moins éloigné du monde réel, parmi tous les mondes où Hitler se suicide en 1908. Une conséquence indirecte du fait que Stalnaker caractérise les relations de proxi- mité et d’éloignement relatifs entre les mondes possibles à l’aide d’une fonction de sélec- tion est que pour tout monde w et toute phrase P, il existe au plus un monde possible qui est le moins éloigné de w parmi tous les mondes possibles où P est vrai. Stalnaker exclut, en d’autres termes, que deux mondes w1 et w2 puissent être « à égale distance » d’un même monde4. C’est ainsi sur cette fonction de sélection que repose tout le travail. Il pourrait sembler, toutefois, que l’on n’a fait que repousser le problème d’un cran, sans l’avoir véritablement résolu : comment spécifier concrètement le mécanisme de cette sélec- tion ? Comment savoir, étant donné un monde w et une phrase P, quel est le monde qui s’éloigne le moins de w, parmi tous ceux où P est vrai ? On peut certes donner des conditions formelles sur la fonction de sélection, pour garantir qu’elle correspond bien à l’interprétation intuitive que nous venons de décrire. Stalnaker en donne trois : (i) A est vrai dans f (w, A)5. (ii) Si A est vrai dans w, alors f (w, A) = w 6. (iii) Si B est vrai dans f (w, A) et A est vrai dans f (w, B), alors f (w, B) = f (w, A)7. 4 Cette caractéristique distingue par exemple la théorie de Stalnaker de celle de Lewis (1973b). Nous aurons l’occasion d’en observer les conséquences plus loin, en particulier dans l’exemple de Bizet et Verdi. 5 Cette condition revient à exiger que f ne sélectionne que des mondes dans lesquels l’antécédent est vrai. 6 Cette condition revient à dire qu’aucun monde dans lequel A est vrai ne ressemble plus à w que w lui-même, dans le cas où A est vrai dans w. 7 Le sens de cette condition est plus difficile à saisir intuitivement. Pour mieux la comprendre, on peut dissocier deux aspects de la fonction de sélection. Un premier aspect consiste à déterminer l’ensemble des mondes éligibles (ceux dans lesquels l’antécédent est vrai). Le second aspect consiste à ordonner implicitement les différents mondes éligibles, suivant leur « éloignement » 181 Une conception réaliste des contrefactuels Mais ces conditions confèrent simplement une certaine structure abstraite à la fonction de sélection sans nous expliquer précisément par quel mécanisme elle sélectionne le monde qu’elle sélectionne. Il est également possible d’interpréter ces conditions comme définissant implicite- ment une relation de ressemblance comparative sur l’ensemble des mondes possibles : x ≤ w y où w, x et y sont des mondes possibles (ce qui se lit « x ressemble plus à w que y ne ressemble à w »). On peut alors essayer d’expliquer le mécanisme de sélection en détaillant aussi précisément que possible des critères de ressemblance. Mais la tâche est loin d’être évidente. Stalnaker reconnaît l’existence de cette difficulté, mais estime qu’elle n’est pas réd- hibitoire. Le but de sa théorie n’est pas de résoudre une bonne fois pour toutes le pro- blème des contrefactuels (c’est-à-dire de prédire systématiquement les conditions de vérité de A > C à partir des conditions de vérité de A et de C), mais plutôt de progresser dans l’analyse de la relation logique qui existe entre les propositions qui entrent dans la composition d’un contrefactuel. De ce point de vue, conférer une structure, même abstraite, à une fonction de sélection peut être considéré comme un progrès, même si une part du mystère reste entier. Cette théorie fait référence à un ensemble de mondes possibles. Stalnaker n’est-il pas forcé de reconnaître l’existence d’autres mondes possibles que le monde réel ? Il répond à cette difficulté en développant un réalisme modéré à propos des mondes uploads/Philosophie/ robert-stalnaker-une-conception-realiste-des-contrefactuels.pdf
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- Publié le Jui 05, 2022
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