Erreur et acquisition de l’orthographe L’erreur dans l’acquisition de l’orthogr
Erreur et acquisition de l’orthographe L’erreur dans l’acquisition de l’orthographe Arnaud Rey1, Sébastien Pacton2, et Pierre Perruchet1 1. LEAD-CNRS, Université de Bourgogne, Dijon, France 2. Université René Descartes, Paris, France Adresse pour la correspondance : Arnaud Rey LEAD-CNRS, Université de Bourgogne, Pôle AAFE – Esplanade Erasme BP 26513 21065 Dijon Cedex – France Email : arnaud.rey@u-bourgogne.fr Erreur et acquisition de l’orthographe Rey et al. p.2 Résumé Au niveau pédagogique, même si l’erreur révèle les difficultés de l’enfant dans son apprentissage de l’écrit, elle est généralement abordée positivement puisqu’elle permet de déterminer les procédures ou stratégies déjà acquises et celles qui demeurent encore instables ou en cours d’acquisition. De nombreux travaux indiquent cependant que l’erreur joue également un rôle négatif sur l’apprentissage. Dans la lignée de ces études, nous avons montré récemment, dans un paradigme d’apprentissage de l’orthographe de pseudo-mots, que la production d’une erreur induisait effectivement une interférence sur la mémorisation de l’orthographe correcte. De même, nous avons observé que l’utilisation et le traitement attentionnel de l’erreur dans certains logiciels d’acquisition de l’écrit produisent également une interférence sur la mémoire de l’apprenant. L’ensemble de ces résultats suggèrent, au niveau des pratiques pédagogiques, de neutraliser cette interférence en réduisant l’attention accordée à l’erreur. Erreur et acquisition de l’orthographe Rey et al. p.3 L’erreur dans l’acquisition de l’orthographe Le doute orthographique et la faute d’orthographe jalonnent l’acquisition de l’écrit chez l’enfant et hantent régulièrement la production écrite de l’adulte. Si l’adulte finit par parcourir avec aisance et plaisir les allées de l’écrit, il lui arrive de revivre les errances de l’enfant lorsque son imagination l’invite à écrire, par exemple, les mots : marelle ou marrelle ? Nasselle ou nacelle ? Carrosse ou carosse ? Parure ou parrure ? Rambarde ou rembarde ? Tignasse ou tignace ? Oppulence ou opulence ? Il est ainsi facile de constater que l’apprentissage de l’orthographe lexicale ne rencontre jamais de point final et qu’il nécessite de mémoriser l’orthographe précise de pratiquement tous les mots de notre langue. Face à une telle quantité d’informations à mémoriser, que savons-nous des facteurs qui facilitent ou ralentissent un tel apprentissage ? Les théories de l’apprentissage nous indiquent que l’établissement de nos connaissances dépend à la fois de la fréquence à laquelle nous les rencontrons, mais également du niveau de traitement ou encore de l’attention accordée par l’enfant lors de leur mémorisation (Perruchet, 1988 ; 1997 ; Perruchet & Pacton, 2004 ; Perruchet & Vinter, 2002). Répétition et attention allouée lors du traitement de ces connaissances ne sont toutefois pas les seuls éléments qui déterminent la dynamique de l’apprentissage. Chaque domaine de connaissance comporte un certain nombre de difficultés propres qui occasionnent certaines interférences entre les connaissances à acquérir. Notre système d’écriture alphabétique, très inconsistant lorsqu’on passe du langage oral au langage écrit, crée naturellement la possibilité de confusions entre différentes orthographes phonologiquement plausibles d’un même mot (e.g., le mot « landau » peut, sur le plan des correspondances phono-graphémiques, s’écrire lendo, landeau, lendau, etc.). La présence de telles confusions dans un domaine de connaissance augmente la complexité de son apprentissage et également la probabilité de produire des erreurs. Aussi, les performances de l’enfant oscillent-elles entre réussite et erreur au cours de ces apprentissages. L’erreur cependant, même si elle reflète l’échec de l’enfant et les difficultés qu’il Erreur et acquisition de l’orthographe Rey et al. p.4 rencontre, est généralement considérée positivement puisqu’elle renseigne sur l’état d’avancement de ses connaissances. L’erreur permet en effet de déterminer les procédures ou stratégies déjà acquises et celles qui demeurent encore instables ou en cours d’acquisition. L’erreur est même souvent présentée comme un élément dynamisant dans l’établissement des connaissances (Astolfi, 1997). La réalisation d’une erreur confronte l’enfant avec les contradictions ou les confusions du domaine de connaissances, et les déséquilibres ponctuels engendrés par l’erreur incitent le sujet à dépasser son état actuel pour chercher de nouvelles solutions (Inhelder, Sinclair, & Bovet, 1974). Dans une telle perspective, la confrontation avec l’erreur se révèle être un moment essentiel dans le progrès des connaissances. C’est la raison pour laquelle, sur le plan pédagogique, non seulement on donne - généralement - à l’enfant le droit à l’erreur, mais on saisit l’occasion des erreurs produites pour enrichir la métaconnaissance du domaine à apprendre en en soulignant les confusions possibles. Le développement en parallèle de cette métaconnaissance sur la structure et les propriétés des informations à apprendre fournit un support ou un ensemble d’indices explicites qui permettent ultérieurement de lever certaines ambiguïtés. Noter par exemple que la séquence phonologique /or/ s’écrit « ORT » dans FORT et « ORD » dans NORD permet dans un premier temps d’alerter l’enfant sur ces confusions possibles pour, dans un deuxième temps, l’inciter à utiliser des indices morphologiques (comme le féminin, e.g., FORTE, ou la forme adjectivale, e.g., NORDIQUE) de manière à résoudre ces conflits orthographiques. C’est ainsi que de nombreuses méthodes utilisent les erreurs dans le cadre même de l’apprentissage (e.g., Blumberg, 1976 ; Simon & Simon, 1973). Trouver les fautes d’orthographe dissimulées dans un texte, choisir la bonne orthographe parmi d’autres orthographes possibles, générer soi-même d’autres façons d’écrire un mot, sont autant de méthodes qui s’appuient sur le rôle constructeur et dynamisant de l’erreur. L’erreur participe de cette manière pleinement au développement des connaissances. Pour autant, tout en reconnaissant son rôle dynamisant et structurant, l’erreur et son utilisation ne Erreur et acquisition de l’orthographe Rey et al. p.5 présentent-elles pas également des aspects négatifs du point de vue de la dynamique des apprentissages ? Un ensemble de travaux récents indique en effet une influence négative de l’erreur sur l’apprentissage. Le rôle négatif de l’erreur sur l’apprentissage La question du rôle négatif de l’erreur sur la dynamique des apprentissages a initialement été abordée chez l’adulte dans le cadre de situations expérimentales (e.g., Baddeley & Wilson, 1994; Maxwell, Masters, Kerr & Weedon, 2001 ; Nisbet, 1939). Ces études montrent que l’exposition de l’apprenant à l’erreur a des répercussions négatives sur ses performances ultérieures. Par exemple, Baddeley et Wilson (1994) réalisent une expérience dans laquelle les participants doivent tenter de retrouver un mot cible (e.g., TABLE) à partir d’un indice correspondant à une partie de ce mot (e.g., TA). La moitié des mots utilisés est présentée dans une condition « avec erreur », l’autre moitié est vue dans une condition « sans erreur ». Dans la condition « avec erreur », l’expérimentateur attend que les participants aient proposé quatre mots possibles (e.g., TAPIS, TALON, TARTE, TAROT) pour leur indiquer quel était le mot cible. Dans la condition « sans erreur », le mot cible est donné immédiatement après l’indice. Dans les deux conditions, les participants doivent mémoriser le mot cible qui est relié à l’indice. Après cette phase d’apprentissage, un test final est réalisé dans lequel on présente l’indice (e.g., TA) et les participants doivent retrouver le mot qui lui est associé. Ces auteurs observent de meilleures performances de rappel dans la condition « sans erreur » par rapport à la condition « avec erreur », soulignant le rôle délétère de l’erreur sur la mémorisation. De façon similaire, dans le cadre d’apprentissages moteurs, Maxwell et al. (2001) montrent également un avantage d’un apprentissage minimisant la production d’erreurs. Ces auteurs réalisent une expérience portant sur l’apprentissage du golf et comparent deux situations dans lesquelles sont placés des joueurs novices. La tâche des sujets consiste simplement à apprendre à rentrer une balle de golf dans un trou situé jusqu’à une distance de deux mètres. Un Erreur et acquisition de l’orthographe Rey et al. p.6 groupe de participants commence son apprentissage à des distances très courtes puis, progressivement, réalise des essais de plus en plus éloignés du trou (i.e., 50 essais à 25, 50, 75, 100, 125, 150, 175 et enfin 200 cm). Cet apprentissage permet de limiter la production d’erreurs (condition « peu d’erreurs »). Un autre groupe réalise l’apprentissage inverse : il commence par la distance la plus éloignée et se rapproche progressivement du trou (i.e., 50 essais à 200, 175, 150, 125, 100, 75, 50 et enfin 25 cm). Les participants de ce groupe produisent beaucoup plus d ‘erreurs (condition « beaucoup d’erreurs »). Il faut noter que, dans les deux conditions, les participants réalisent le même nombre d’essais à chacune des distances d’entraînement. Lors d’un test final, on mesure le nombre de balles rentrées pour les deux groupes avec la distance la plus importante (200 cm). On constate ainsi de meilleures performances pour le groupe qui a appris en condition « peu d’erreurs ». En limitant le nombre d’erreurs produites, on constate ainsi un meilleur apprentissage de cette habilité motrice. Le rôle de l’erreur a également été abordé dans le domaine de la production écrite et de l’orthographe. Nisbet (1939) réalise notamment une expérience dans laquelle des adultes commencent par une dictée de mots et réalisent ensuite trois types de tests dans lesquels apparaissent des mots mal orthographiés. Dans l’un de ces tests, on donne aux participants des mots mal orthographiés issus de la dictée initiale et leur tâche est de repérer et corriger les fautes rencontrées. uploads/Philosophie/ rpp-ro2005.pdf
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- Publié le Sep 17, 2022
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