Lecture linéaire 6 – Olympe de Gouges, La Déclaration des droits de la femme et
Lecture linéaire 6 – Olympe de Gouges, La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire (1) d’opprimer (2) mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.* Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration (3) de la nature. Partout tu les trouveras confondus (4), partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel. L’homme seul s’est fagoté (5) un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé (6) de sciences et dégénéré (7), dans ce siècle de lumières et de sagacité (8), dans l’ignorance la plus crasse (9), il veut commander en despote (10) sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il (11) prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus. (1) le souverain empire : le pouvoir absolu (2) opprimer : soumettre quelqu’un à une autorité injuste * [Note d’Olympe de Gouges] : « De Paris au Pérou, du Japon jusqu’à Rome, / Le plus sot animal à mon avis, c’est l’homme. » Extrait d’une satire de Boileau, moquant la prétention des hommes à se croire supérieurs aux animaux. (3) l’administration : l’organisation (4) confondus : réunis, mêlés (5) s’est fagoté : arranger rapidement et grossièrement, comme des fagots(familier) (6) boursoufler : gonfler artificiellement (7) dégénéré : qui a perdu ses capacités d’origines, qui est devenu idiot (8) sagacité : finesse d’esprit, sagesse, intelligence (9) crasse : adj : grossier (10) despote : tyran (11) Ici, Olympe de Gouges reprend, par le pronom « il » ; le sexe féminin désignant les femmes. O. de GOUGES, « Homme es-tu capable d’être juste ? » Introduction : 2e unité qui fait suite à la dédicace à la reine + changement de destinataire (adresse à l’ « Homme ») + changement de ton (diatribe polémique et provocatrice). Ici, O. de Gouges cherche à défendre la thèse suivante : il n’y a pas de hiérarchie des sexes dans la Nature ; seul l’Homme prétend s’arracher à sa condition naturelle pour instaurer un ordre inégalitaire et injuste. Cette thèse s’appuie donc sur l’héritage des Lumières (le respect du droit naturel et de la Nature déiste, c’est-à-dire une Nature qui serait le reflet de la volonté d’un Créateur indépendamment des religions et des dogmes) pour justifier la position défendue dans tout l’ouvrage : atteindre l’égalité des droits entre les sexes. Pbmatique : Comment O. de G. utilise-t-elle le modèle de la nature pour combattre l’inégalité des sexes ? Plan : Propos logiquement structuré malgré le ton vindicatif : I. L’adresse polémique à l’Homme tyrannique permet d’amorcer la thèse II. La thèse, qui consiste à se réclamer du modèle naturel, est ensuite développée III. Enfin, l’autrice en fait une déduction logique : l’ordre naturel sain est un ordre égalitaire. 1er mvt : Remise en cause de la 1 domination masculine tyrannique par une adresse directe Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis- moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique. 2e mvt : Justification de la thèse par les exemples naturels Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et 1er mvt : Remise en cause de la domination masculine tyrannique par une adresse directe ●Une adresse directe à l’ « Homme » : De G. s’adresse directement à l’ « Homme » (l.1) qui est tout à la fois son potentiel lecteur de sexe masculin et la catégorie universelle du sexe dominant (ce que souligne la majuscule), par opposition à son statut de « femme » (l.1). Cette adresse a pour but d’interpeller avec véhémence et provocation, grâce à l’apostrophe (l.1), les verbes à l’impératif et l’énumération de questions rhétoriques (l.1-3). Le tutoiement peut révéler une volonté d’égalitarisme /de proximité ou relever de la tonalité polémique. Pas de recherche de la bienveillance : l’autrice n’est pas dans la conciliation mais dans l’accusation. ●Une attaque polémique de la tyrannie des hommes : Cette interprétation peut être confirmée par les attaques successives adressées à l’Homme qu’elle défie : d’emblée, l’autrice met en doute la moralité de l’Homme (« es-tu capable d’être juste ? »). Puis, elle le soupçonne de vouloir lui retirer le « droit » d’interroger et d’exercer sa liberté d’expression (l.2). Ensuite, elle interroge la légitimité du sexisme en énumérant les causes possibles de cette supériorité que s’est arrogée l’Homme : « Qui t’a donné ? », « Ta force ? Tes talents ? » L’ironie sur la supériorité physique ou intellectuelle de l’Homme est palpable... D’ailleurs, le lexique dominant est celui de la contrainte, soulignant l’injustice d’un pouvoir abusif et tyrannique. Enfin, elle met l’Homme au défi (« si tu l’oses ») de prouver la légitimité de son statut dominant. ●L’amorce de la thèse : Cette adresse brutale sert à amener la thèse : la nature ne propose pas d’exemples de tyrannie d’un sexe sur l’autre. On constate qu’O. De G. a recours à une Nature déiste (la Nature incarne la Volonté d’un « créateur », de l’Être Suprême, dont la perfection est valorisée par les termes élogieux), en mettant les révolutionnaires face à leur contradiction : ils ont utilisé l’argument de la nature (« dont tu sembles vouloir te rapprocher ») pour restreindre le pouvoir des femmes aux sphères domestiques, familiales et nourricières. CCL : L’amorce, frontale et polémique, oblige l’Homme à justifier sa hiérarchie des sexes, révélant que celle-ci pose désormais question. L’autrice condamne la tyrannie de l’Homme et amorce sa comparaison avec la Nature pour invalider la prétendue légitimité de l’inégalité des sexes. 2e mvt : Justification de la thèse par les exemples naturels ●La poursuite du ton polémique : procédés déjà aperçus (énumération de verbes à l’impératif signalant l’autorité et la véhémence de l’autrice, tutoiements) et qui se mêlent à une provocation ironique sur l’incapacité supposée des hommes à se remettre en question et à accepter « l’évidence » (l.8) rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel. 3e mvt: Déduction de la thèse : L’Homme se croit supérieur à la nature L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus. ●La nature comme modèle d’égalité : L’autrice invite l’Homme à un examen scientifique de la nature : tous les verbes sont associés à l’action intellectuelle d’observation, d’analyse et de déduction. Le lexique naturel comprend aussi bien les éléments naturels visibles (animaux, végétaux) qu’invisible (« matière organisée », « éléments »), ce qui implique que la thèse de l’autrice s’applique à toutes les échelles. D’ailleurs, elle souligne de nouveau la perfection de l’organisation naturelle, en insistant sur son ordre (« organisée », « administration »), son harmonie, son unité et sa perfection (« coopèrent », « un ensemble harmonieux », « chef-d’œuvre immortel »). L’anaphore de l’adverbe « partout » montre que son argument est universel, et a valeur d’argument d’autorité : dans la nature, les sexes ne sont pas distingués, ils sont « confondus » et « coopèrent ». CCL : Toujours ironique et polémique, l’autrice poursuit son raisonnement en proposant la nature comme modèle de perfection, d’harmonie et de collaboration égalitaire entre les sexes, modèle qu’elle invite l’Homme à suivre. 3e mvt: Déduction de la thèse : L’Homme se croit supérieur à la nature ●Une déduction logique accusatrice : Ce recours au modèle de la nature lui permet d’en faire une déduction logique (sur le modèle du syllogisme) : l’Homme s’étant soustrait à l’ordre naturel en se croyant dans son orgueil une « exception », il a fait triompher un ordre anti-naturel, donc anormal, arbitraire et absurde. ●Une attaque de uploads/Philosophie/ texte-5.pdf
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- Publié le Mar 21, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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