ÉCRITURES TRANSGRESSIVES ET PENSÉE DE LA TRANSGRESSION. SADE ET BATAILLE LUS PA
ÉCRITURES TRANSGRESSIVES ET PENSÉE DE LA TRANSGRESSION. SADE ET BATAILLE LUS PAR FOUCAULT Philippe Sabot De Boeck Supérieur | « Revue internationale de philosophie » 2020/2 n° 292 | pages 105 à 120 ISSN 0048-8143 ISBN 9782807393509 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-internationale-de-philosophie-2020-2-page-105.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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C’est l’idée, du sens commun, selon laquelle la transgression est de l’ordre du mal, qu’elle nous confronte à quelque chose de répréhensible (par rapport aux valeurs de la morale commune) et même quelque chose de dangereux – qui peut être recherché pour lui-même ou au contraire fui et craint : elle renvoie par là à une dimension de l’existence (personnelle ou sociale) où cette existence elle-même est mise en danger, exposée à la condam nation, à la réprobation ou même à l’exclusion (il faut punir et enfermer ceux qui se livrent à des actes transgressifs). Pour comprendre ce qui apparaît ainsi comme la négativité de la transgression, il faut peut-être commencer par en expliciter la signification ordinaire pour en interroger ensuite la portée à partir de la pensée de Foucault et de deux écrivains qu’il a étudiés à partir de cette question de la transgression : Sade et Bataille. La transgression : du concept à l’expérience Nous engagerons cette réflexion en faisant état d’une double surprise. Afin d’élaborer une sorte de pré-détermination de la transgression pour encadrer les analyses qui vont suivre, nous nous tournons naturellement vers quelques dictionnaires pour en extraire des éléments de définition et les confronter les uns aux autres. Or, première surprise : ni le dictionnaire des faits religieux, ni le dictionnaire de la pensée politique, ni le dictionnaire des sciences humaines, ni le dictionnaire d’esthétique et de philosophie de l’art, ni le dictionnaire du corps, successivement consultés, ne comportent d’entrée spécifique consacrée à la notion de « transgression ». Seul le Littré livre les indications suivantes, assez limitées toutefois. La transgression y est renvoyée, comme on peut s’en douter, à une Document téléchargé depuis www.cairn.info - Ecole Normale Supérieure - Paris - - 129.199.59.249 - 09/04/2020 17:45 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Ecole Normale Supérieure - Paris - - 129.199.59.249 - 09/04/2020 17:45 - © De Boeck Supérieur 106 Philippe Sabot action, l’action de transgresser dont la signification – seconde surprise – est à la fois géologique et anthropologique. Au sens géologique, la transgression signifie en effet un débordement de terrain ou une avancée de la mer qui vient recouvrir une couche inférieure ou un rivage érodé. Ce sens est littéral, il s’appuie sur l’étymologie latine (trans- et gradere) qui implique la dynamique d’une traversée ou d’un passage au-delà d’une limite. Dans le registre spatial des mouvements naturels des couches géologiques, un tel « passage » signifie à la fois donc un déplacement hors de limites préalablement assignées (pour la mer, la délimita tion du rivage, et des terres) et le résultat de ce déplacement (la superposition de couches géologiques, le recouvrement de terres : on parle alors de « stratification transgressive »). Ces éléments empruntés à la géologie ne méritent toutefois d’être rapportés ici que parce qu’ils éclairent le sens proprement anthropologique de la transgression qui, pour être saisi, suppose toutefois quelques déplacements importants. Là encore, il s’agit d’un rapport à la limite, par exemple aux limites que manifeste le système des lois voire l’ordre social, qu’il soit lui-même établi par les hommes (suivant les termes d’un contrat social) ou prescrit en fonction de préceptes divins (formant un corpus d’interdits fondamentaux). Ce rapport transgressif à la limite devient donc rapport à la loi et à l’interdit. Mais nous comprenons aussi ce qui change et l’écart qui se marque entre les deux terrains d’exposition du concept de transgression (le terrain géologique et le terrain anthropologique). Dans le premier cas, la transgression est un mouve ment naturel qui vient en quelque sorte déplacer une limite elle aussi naturelle. Nous restons donc dans le registre du nécessaire, des lois de la nature. Dans le second cas au contraire, la transgression relève de l’exercice d’une liberté qui se heurte à l’expression d’une loi et qui lui objecte en quelque sorte sa propre détermination en l’outrepassant, et en s’inscrivant ainsi dans un rapport critique à cette loi (humaine ou divine). En un sens, elle la met en crise en l’interrogeant sur sa propre nécessité et en contrevenant à l’ordre qu’elle impose et que l’ordre des lois tend à naturaliser en se faisant passer pour l’ordre (naturel) des choses. Par conséquent, la transgression entendue en ce second sens, et à partir de cette fonction critique, déploie son sens à partir d’une série de thématiques conver gentes. Chacune de ces thématiques s’articule elle-même à la dimension d’une conflictualité interne qui nourrit au fond l’action, l’acte, le geste transgressif. La première thématique est celle de l’ordre et du désordre, ou plutôt celle de l’ordinaire et de l’extra-ordinaire. La transgression désigne en effet ce mouvement où l’ordre supposé des choses vient à être sinon renversé du moins pris à revers, poussé à sa propre limite et vers son propre dehors, vers la bordure extérieure de l’ordre, à partir de laquelle cet ordre se trouve menacé : Document téléchargé depuis www.cairn.info - Ecole Normale Supérieure - Paris - - 129.199.59.249 - 09/04/2020 17:45 - © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Ecole Normale Supérieure - Paris - - 129.199.59.249 - 09/04/2020 17:45 - © De Boeck Supérieur Écritures transgressives et pensée de la transgression 107 l’extra-ordinaire surprend (il a le statut et la force renversante d’un événement), mais il inquiète aussi en ce qu’il dessine la possibilité d’un désordre. Ce mouve ment transgressif vers un au-delà de l’ordre des choses, vers une rupture de l’ordre des choses et des limites qu’il impose d’ordinaire à nos actions et à nos désirs, rencontre alors une seconde thématique qui est celle de l’expérience. La transgression confère en effet à l’action humaine la forme d’une expé rience, voire d’une expérimentation de la limite qui correspond à son franchis sement. Dans ce mouvement du passage de la limite, c’est en quelque sorte la liberté qui s’éprouve elle-même, qui déploie une expression de son illimitation face aux limites de l’expérience commune (ou ordinaire). Dans la transgression, il n’y a donc pas seulement un rapport (négatif) à l’interdit, mais il y a également la dimension, positive, de la mise à l’épreuve d’une liberté qui trouve ici la possibilité de se prouver qu’elle existe et de poser dans un acte cette puissance qui la porte en avant d’elle-même. Disons alors, pour conclure ce bref décryptage conceptuel, que la transgres sion offre la possibilité, mais présente aussi le risque, le danger (à la fois pour celui qui l’opère et pour ce à quoi elle s’attaque), d’une confrontation entre un ordre, une limite donnée, et une liberté ou une expérience qui, au lieu de butter sur cette limite, se décide à la franchir et à outrepasser ainsi la délimitation prescrite des possibilités d’existence ou des formes de vie – telle qu’elle se donne dans l’ordre des lois mais aussi dans l’ordre du discours où s’énonce la limite de ce que nous sommes et de ce qui nous fait être, penser, agir. Venons-en à présent au point d’application plus précis de cette réflexion. Pourquoi et dans quels termes Michel Foucault a-t-il fait place dans sa pensée à cette opération de la transgression ? Pour répondre à cette question très vaste, nous allons nous concentrer sur deux figures majeures de la uploads/Philosophie/ sabot-philippe-e-critures-transgressives-et-pense-e-de-la-transgression 1 .pdf
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- Publié le Mai 28, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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