FRANCE-ALLEMAGNE. LA FIN LIRE ADORNO ERYCK DE RUBERCY. U n 11 septembre sera pr

FRANCE-ALLEMAGNE. LA FIN LIRE ADORNO ERYCK DE RUBERCY. U n 11 septembre sera presque passé inaperçu en France : celui en 2003 du centenaire de la naissance du philosophe alle- mand Adorno. N'était-ce pas encore le moment de le décou- vrir, ou d'approfondir son œuvre qui ne semble pas s'être vraiment intégrée au paysage intellectuel français, malgré la publication de nombreuses traductions (1) ? Alors qu'on entend tant de propos sur les années soixante, si résolument simplistes qu'il est bien difficile de n'y pas voir des clichés, le souvenir de la mort du philosophe de l'École de Francfort impose. Les étudiants lui reprochaient - à lui qui s'était essentiellement interrogé sur le cré- puscule de l'Aufklàrung (des Lumières) - une attitude de compro- mis avec l'ordre établi, en tout cas un comportement attentiste, parce qu'il préconisait une praxis qui fût sans violence. Et lui- même avait pris cela très au sérieux. C'était le temps où il dictait et corrigeait sa Théorie esthétique. Mais la mort le guettait. Ce fut un accident cardiaque qui le retira du débat éternel, du mouvement dans la pensée, un 8 août 1969. Adorno, le subtil ! On le citait à côté de Marcuse, d'Horkheimer et surtout de Benjamin, dont il LA FIN ? Lire Âdorno avait été l'ami si proche. C'était l'École de Francfort. Curieusement, ils étaient partis du marxisme sans toutefois adhérer aux théories officielles et sans approuver les réalisations concrètes du Parti, car ils se défiaient également de tous les systèmes totalitaires. À la vérité, nous n'avions rien d'équivalent en France, et ce genre de « nuances », ni Aragon, ni Sartre, ni Althusser ne les ressentaient. Mais surtout l'art ne donnait pas lieu dans notre pays à une réflexion menée en profondeur sur la société, et nous n'avions devant nous aucun exemple d'un philosophe parlant de l'art à ce point de l'intérieur. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui encore l'apport de Theodor Wiesengrund Adorno mérite d'être médité. Bien que la situation ait changé, observer, analyser et méditer l'art dans son rapport à la société ne serait-il pas effectivement l'une des voies d'un possible éclaircissement ? Et pour commencer, pourquoi ne relirait-on les œuvres de celui qui rechercha cette « chose identique », à savoir le rôle de l'art et de la culture dans une société dominée par l'extrême rationalisation ? Tandis que tout ce qui nous environne nous montre à l'évidence que la possible reproductibilité technique de l'art occupe désormais le premier plan, et conditionne la perception que nous avons de l'œuvre d'art elle-même, sa contemplation, dont il a dit : « Devant la contem- plation patiente, les œuvres d'art acquièrent leur dynamique » - pourquoi n'étayerions-nous pas notre réflexion sur celle de ce penseur qui s'attristait de voir que la rationalisation du monde moderne avait de fait entraîné ces deux maux que sont l'aliénation de l'individu et la réification de l'œuvre d'art, réduite au rang d'objet de consommation, dont on se contente d'apprécier sèche- ment les qualités techniques tout en prétendant en jouir. L'art ne serait-il qu'un délicieux objet, composé de divers ingrédients qu'il suffirait de distinguer avec finesse ? On ne sait que trop que parmi toutes les « valeurs » que beaucoup aimeraient voir coter en Bourse, il demeure la valeur suspecte, remuante, qu'il s'agit de contrôler en l'adaptant sous la forme de produits d'appel destinés à être consommés comme autant de « divertissements » - on devrait plutôt dire (ce mot étant trop profond) comme autant d'« amusements ». C'est donc bien à propos qu'on peut lire ce petit ouvrage (2) rassemblant quatre textes extraits du livre d'Adorno intitulé Ohne fEANÇ^ALLEMAGNL LAFIN Lire Àdorno Leitbild, qu'il faut traduire par Sans paradigme (I960), ce qui est essentiellement plus abstrait qu'en allemand, où ce mot de Leitbild, qui n'est « vraisemblablement devenu populaire en Allemagne qu'après la Seconde Guerre mondiale », comporte une légère tonalité militaire. Quatre textes {Sansparadigme, l'An et les arts, le Fonctionnalisme aujourd'hui, Du mauvais usage du baroque) qui, mis bout à bout, permettent de se familiariser avec toutes les subtilités d'une pensée trop souvent caricaturée, et qui peuvent préparer à la difficile lecture de cette Théorie esthétique (1970) conçue par le penseur au soir de sa vie. Une difficulté qui tient à plusieurs raisons qu'il est peut-être néanmoins possible de cerner. Et d'abord en ceci que le philosophe et compositeur Adorno intervient dans l'esthétique afin d'équilibrer ce qu'il y a d'inconciliable entre l'œuvre d'art et le concept, comme pour répondre à cette phrase si juste de Friedrich Schlegel : « Dans ce qu'on appelle philosophie de l'art, il manque souvent l'un de ces deux éléments, ou la philosophie ou l'art. » Car autant qu'en philo- sophe, pourrait-on presque se permettre de dire, Adorno parle en « homme de l'art ». En accordant en effet le primat à la singularité de l'œuvre, il entend d'abord affirmer que l'art est le lieu du parti- culier et de la mimesis qui s'opposent au caractère abstrait du concept, tout en soulignant sans cesse que l'art est également lié au fait social et aux contraintes de la raison. Les normes de 1'art Et sans doute est-ce pourquoi il privilégie l'expérience que lui-même vit au sein de l'art qui lui est contemporain pour tenter d'élucider l'art du passé : « La phrase de Valéry, écrit-il dans le texte Sans paradigme, selon laquelle le meilleur du nouveau en art correspond toujours à un besoin ancien est d'une portée incommensurable.» C'est que « le nouveau est la réponse obligée à des questions irrésolues » qui se posent à l'extérieur de la « clôture bienheureuse » des normes générales tenues pour acquises et des invariants prétendus éternels. Bref, en dehors de ce monde de « valeurs » dans lequel on se tiendrait bien au chaud alors qu'entre FIN ire dorno en lui de partout le froid d'une douleur nouvelle. Et à ce point, l'on ne peut s'empêcher de penser que l'élève de Schônberg, l'ami de Berg et de Webern sait de quoi il nous parle quand il écrit : « En art, il n'y a pas d'autres normes que celles qui prennent forme dans la logique de leur mouvement propre, et auxquelles est capable de satisfaire une conscience qui les respecte, qui les pro- duit, et qui derechef les transforme aussi. » Ainsi, en réduisant l'écart séparant l'évaluation esthétique de l'œuvre d'art de son approche en termes purement techniques, Adorno encourage-t-il l'« analyse immanente », la mise en évidence de la « logique interne », de cette « cohérence » qui conduit à ce « contenu de vérité » que cette œuvre contient. Une démarche qui lui permet notamment de nous montrer en quoi le matériau est le degré zéro du langage musical et, en partant du « moment technique » de l'art, de nous aider à comprendre en quoi l'artiste marque son œuvre de l'empreinte de sa subjectivité sans en être quitte pour autant avec ce qui fut ou ce qui est la société. Car cette pratique philoso- phique sur la musique lui permet simultanément de penser l'his- toire et la rationalité, porteur qu'il est de cette certitude : « La senti- mentalité et la débilité de presque toute la tradition de la pensée esthétique proviennent de ce qu'elle a escamoté la dialectique de la rationalité et du mimétisme immanent à l'art. » On le voit : tant de raffinements dans l'explication, mais éga- lement une telle vitalité au sein de la chose esthétique vécue, dou- blée de ce recours critique au concept peuvent déconcerter, voire décourager, d'autant qu'il remarque enfin que la négativité du concept d'art a trait au contenu de l'art, sans perdre jamais de vue que son principe le plus intime se trouve en révolte constante contre toute définition. Aussi n'y a-t-il d'autre voie possible que de se fami- liariser avec ce style étrange qui est le sien, ce style (peut-être moins style que méthode au sens étymologique), ce style « paratactique » si malaisé à définir, qui consiste en fragments disposés telles des cons- tellations autour d'un même thème, afin de ne pas défigurer les choses, mais de leur offrir un accès au langage - attendu que ce qu'elles comportent d'insigne et d'unique se heurte indéfiniment à l'abstraction indispensable à toute théorie. Et c'est pourquoi il est indispensable de suivre les moindres méandres de sa pensée pour en retenir surtout que l'art est d'abord à partir de ce qu'il n'est pas, FRANC EiALLEMAML LA FIN Lire Àdorno que « les arts ne convergent que là où chacun suit son principe immanent », qu'il leur est donc néfaste de s'imiter les uns les autres, et qu'ils ne sont pas nécessairement aussi simultanés dans chaque époque que voudrait le laisser entendre une lecture sché- matique basée sur la découpe de strates temporelles. Si l'on n'oublie rien de ces grands traits de sa pensée, on comprendra aisément les intéressantes pages contenues au cœur de l'ouvrage, où Adorno remarque que Stefan George et Hugo von Hofmannsthal ont commis par « obnubilation littéraire » l'erreur de uploads/Philosophie/lire-adorno-france-allemagne-la-fin.pdf

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