65 Santé conjuguée - janvier 2007 - n° 39 ET SANTÉ SPIRITUALITE En ces termes,

65 Santé conjuguée - janvier 2007 - n° 39 ET SANTÉ SPIRITUALITE En ces termes, l’astronome Jean Delhaye (in Delumeau) pose une question qui peut sembler déborder le cadre de notre revue centrée sur la santé mais qui pourtant interpelle les soignants que ce soit dans leur rencontre avec les patients, dans leur cheminement personnel ou encore lors de questionnements éthiques. C’est pourquoi, en toute humilité face à l’immensité de la question (et à son insolubilité, mais ceci est une opinion personnelle), nous exposerons ici quelques réflexions contemporaines suscep- tibles de nourrir la réflexion. Science et religion : le calme après la tempête ? Axel Hoffman, médecin généraliste à la maison médicale Norman Bethune. Dans ma jeunesse (...) un jeune catho- lique entreprenant des études supé- rieures scientifiques était considéré par certains professeurs comme en grand risque de perdre la foi. (...) Les scienti- fiques ont depuis lors pris plus claire- ment conscience des limites de leur démarche ; les théologiens ont pour leur part reconnu la nécessité de soumettre les textes sur lesquels ils se fondent à certaines formes de critique tenant compte par exemple du contexte culturel dans lequel ces textes furent écrits. (...) Mais des interrogations subsistent : l’adhésion à un dogme est- elle acceptable pour un esprit scienti- fique ? Mots clefs : religion et santé. Enfin... seul dans l’immensité indifférente Les religions ont de longue date été la cible d’at- taques portées au nom de la raison, et souvent avec virulence. Le livre des trois imposteurs (Moïse, Jésus et Mahomet) circule depuis le Moyen-Age et l’on répète la sentence d’Abu Tahir : « En ce monde, trois individus ont trompé les hommes : un berger, un guérisseur et un chamelier ». De son côté, l’Eglise catholique ne s’est pas montrée accueillante aux affirmations de la raison qui ne l’agréaient pas, l’épisode le plus connu - il fut loin d’être isolé - étant la condamnation de Galilée. Mais à partir de la Renaissance, ce ne sont plus des individus ou des groupes marginalisés qui remettent en cause le rapport à Dieu, ce sont les sociétés elles-même qui se divisent à ce sujet. Ainsi, quand il parle de sortie de la religion, Marcel Gauchet décrit la lente et cahoteuse appropria- tion de leur autonomie par les sociétés démo- cratiques (autonomie non seulement au sens de se donner ses propres lois, mais aussi à celui de « se faire soi-même »). « En tant que croyances, les religions n’ont aucun motif de disparaître. Ce qui disparaît, c’est l’emprise millénaire qu’elles ont exercé sur la vie sociale ». (...) « On en attendait (de la religion) qu’elle livre la clé de l’ordre des choses, on allait y chercher la conformité à la loi commune, on entendait s’y plier à une vérité extérieure et supérieure. On lui demande désormais de répondre à une aspiration intensément personnelle ». Il y a là une lente et profonde mise en question de notre mode d’être occidental, façonné par deux mil- lénaires de pensée judéo-chrétienne. Ainsi, depuis plus d’un siècle, la science se sent en position de force pour poser des questions (ou même des affirmations) qui bousculent les réponses religieuses à la quête de sens. « L’hom- me sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard » écrivait le biochimiste français Jacques Monod, prix Nobel 1965 pour ses travaux sur la régulation génétique au sein de la cellule. Dans Le hasard et la nécessité, un ouvrage qui 66 Santé conjuguée - janvier 2007 - n° 39 C A H I E R connut un succès immense au début des années 70, il portait des attaques franches contre la « religiosité judéo-chrétienne » : « S’il est vrai que le besoin d’une explication entière est inné, que son absence est source de profonde angois- se ; si la seule forme d’explication qui sache apaiser l’angoisse est celle d’une histoire totale qui révèle la signification de l’Homme en lui assignant dans les plans de la nature une place nécessaire ; si pour paraître vraie, signifiante, apaisante, l’« explication » doit se fondre dans la longue tradition animiste, on comprend alors pourquoi il fallut tant de millénaires pour que paraisse dans le royaume des idées celle de la connaissance objective comme seule source de vérité authentique. Cette idée austère et froide, qui ne propose aucune explication mais impose un ascétique renoncement à toute nourriture spirituelle, ne pouvait calmer l’angoisse innée ; elle l’exaspérait au contraire. (...) Les sociétés modernes ont accepté les richesses et les pou- voirs que la science leur découvrait. Mais elles n’ont pas accepté, à peine ont-elles entendu, le plus profond message de la science : la défini- tion d’une nouvelle et unique source de vérité, l’exigence d’une révision totale des fondements de l’éthique. (...) Pour la première fois dans l’histoire, une civilisation tente de s’édifier en demeurant désespérément attachée, pour justifier ses valeurs, à la tradition animiste, tout en l’abandonnant comme source de connais- sance, de vérité. Les sociétés « libérales » d’Oc- cident enseignent encore, du bout des lèvres, comme base de leur morale, un écœurant mélange de religiosité judéo-chrétienne, de progressisme scientifique, de croyance en des droits « naturels » de l’homme et de pragmatis- me utilitariste. (...) Le mal de l’âme moderne, c’est ce mensonge, à la racine de l’être moral et social (...) ». Cette profession « de foi » brutale en la science comme seule source du vrai ne connaît pas la nuance... D’autres auteurs stigmatisent l’im- prégnation des religions dans nos consciences, comme Michel Onfray dans Féeries anato- miques : « La Torah, la Bible et le Coran qui, et pour cause, ne fournissent aucune réponse directe aux questions posées aujourd’hui par les progrès de la science, regorgent d’interdits, de lois, de règles, de tabous, de codes qui, au nom d’un Dieu qui les inspirerait directement, font régner un ordre mental, spirituel, philo- sophique, ontologique, métaphysique, et pour tout dire politique, dont on ne perçoit même plus le détail ni le fonctionnement tant nous sommes construits par lui. Le monothéisme agit en point aveugle de toute bioéthique post- moderne. Les comités d’éthique, les commissions qui réfléchissent sur ce sujet, les parlementaires actifs dans les travaux préparatoires aux textes de loi, les scientifiques associés, les experts mandatés par les gouvernements de droite et de gauche gravitent tous autour du mono- théisme, leur religion de formation. Rabbins et Juifs, prêtres et Catholiques, pasteurs et Protestants, imams et Musulmans, mais aussi les francs-maçons dans leur Loge, sous l’œil borgne du Grand Ordonnateur de toute chose, pensent d’une manière unidirectionnelle et, sur les sujets bioéthiques, dispensent des avis au mieux prudents, au pire conservateurs. Entre ces acteurs, la différence est de degré, pas de nature. Tous partagent les mêmes objectifs : sauvegarder la dignité de la personne humaine, préserver l’humanité, ne pas attenter à l’espèce. (...) Et qui peut leur donner tort ? Qui veut le contraire ? Mais le travail doit s’effectuer en amont de ces déclarations de principe : où se trouve la dignité ? Qu’est-ce qu’une personne ? Quid de l’humanité ? (...) Le droit et la loi, la vertu et le bien relèvent-ils d’absolus figés, platoniciens, ou de définitions susceptibles d’aménagements nouveaux ? ». Les débats autour de la proposition des Eglises de glisser dans la rédaction du projet de Consti- tution européenne une référence à la transcen- dance, et donc à l’influence dominante du chris- tianisme sur l’identité européenne, ont illustré à leur manière cette prégnance du monothéisme dans notre culture (voir à ce sujet l’excellent dossier de la Revue Nouvelle 2003/1). Cette constance du religieux à occuper les lieux de « sens » a en effet dirigé nos consciences durant tant de siècles que toute notre culture ne peut s’empêcher d’y référer, même quand elle croit s’en évader, par exemple dans la « religion des droits de l’homme ». Ecoutons Edouard Del- ruelle : « ... un certain humanisme philoso- phique qui ne fait rien d’autre qu’ériger l’Homme en substitut métaphysique de Dieu... Mettre l’homme à la place de Dieu, n’est-ce pas reconduire le dispositif idéologique dont on prétend se libérer et risquer de faire des Science et religion : le calme après la tempête ? 67 Santé conjuguée - janvier 2007 - n° 39 ET SANTÉ SPIRITUALITE droits de l’homme une sorte de religion sécu- lière ? ». « ... nos valeurs et nos certitudes n’ont rien de transcendant, mais sont toujours des montages historiques particuliers ». « ... faire de la fondation du sens un lieu vi- de... l’absence radicale de transcendance ne signifie pas l’absence de sens mais la possibilité d’une exploration illimitée du monde et de soi... ». Delruelle décrit une triple dimension carac- téristique de toute culture : dimension horizon- tale des échanges sociaux, dimension verticale des rapports de pouvoir, et enfin dimension transversale du symbolique et du religieux... Avec l’invention de la démocratie, l’instance symbolique transversale est vidée, - ici Del- ruelle rejoint Gauchet, ou encore Claude Lefort pour qui uploads/Philosophie/ sc39-c-hoffman-science.pdf

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