SCIENCE ET RELIGION CHEZ AUGUSTE COMTE Résumé. – La pensée du fondateur du « po
SCIENCE ET RELIGION CHEZ AUGUSTE COMTE Résumé. – La pensée du fondateur du « positivisme » et de la « sociologie » se trouve au cœur d’un conflit qui est encore le nôtre aujourd’hui : celui de la science et de la religion. Du point de vue de l’évolution des sociétés, les hommes parcourent une longue trajectoire qui les mène de l’égoïsme brutal vers une sociabilité élargie où l’altruisme doit l’emporter dans une véritable « religion de l’Humanité ». Du point de vue strictement intellectuel en revanche, cette même histoire positiviste n’est autre que celle de l’érosion des interprétations fétichistes, théologiques et métaphysiques, interprétations absolues désormais dépassées et qui doivent laisser la place à une conception scientifique de l’univers, relative et rationnelle. Comment ces deux points de vues sont-ils pensables ensemble ? Peut-on en même temps condamner la théologie et inventer une nouvelle forme de religion ? Le pari d’Auguste Comte consiste à tenter de mettre en place un lien social original conservant des anciennes religions leur pouvoir fédérateur et qui, en même temps, soit compatible avec les sciences qui progressent à pas de géants en ce début de XIXe siècle. Loin du « scientisme » qu’on lui reproche, c’est à l’idée de rendre un culte à l’Humanité elle-même, non à la science essentiellement relativiste, que renvoie le fondateur de la « religion positive. » Abstract. – Far from being scientistic, the theory of the founder of “positivism” and “sociology” has been the focus of an important question in philosophy for three centuries : the difficult problem of the conflict between Science and Religion. Ac- cording to the sociology of Auguste Comte, the evolution of human society, as a whole, leads men towards more peace and “altruism” that could be défined as the “religion of Humanity”. On the other hand, the epistemological theory of Comte asserts that religion, monotheism as well as polytheism,is now inadequate to account for natural or social events. Scientific theory must superside fetichist practices and metaphysical explanations. There are, therefore, in this theory two conflicting asser- tions that may pose a real problem : is it possible to condemn theology and meta- physics and, at the same time, to base an original religion on the notion of “Humanity”,conceived as as a new God? How Auguste Comte manages to reconcile these two view points ? This is the topic of this short essay. a philosophie du fondateur du positivisme, telle qu’elle se dessine tout au long de son œuvre, semble dominée par un conflit majeur qui n’est autre que celui qui a déchiré son siècle commençant, le siècle suivant, et qui semble menacer directement le nôtre. C’est celui de la rencontre explo- sive entre deux grands modèles d’interprétation du monde : d’une part, le modèle religieux, mystique par essence puisqu’il prétend rendre compte du L Bernard Jolibert 106 caché et de l’incompréhensible, affectif dans ses racines dans la mesure où il demande de croire là où précisément l’entendement échoue, transcendant quant à l’objet essentiel sur lequel il repose ; de l’autre, le modèle scientifi- que qui cherche à s’en tenir à l’examen des faits constatables, rationnel dans la construction des lois à partir de régularités observables, immanent dans la mesure où il s’en tient à l’ici-bas. Ces courants confinent dans deux positions extrêmes d’où sort parfois l’intolérance : le mysticisme, qui aboutit en bonne logique au silence, comme l’indique assez l’étymologie, et le scientisme, caricature contradictoire de l’esprit scientifique, interdisant tout dépassement hors des strictes limites du réel. Suivant sa formation, ses goûts personnels, son métier de mathématicien, Auguste Comte appartient de toute évidence au second courant. Il se définit lui-même comme « positiviste », le positivisme étant un mouvement com- plexe mais qu’on peut grossièrement ramener à deux traits essentiels : - Du point de vue des mœurs, l’histoire morale et politique des hommes est celle d’un long parcours qui les mène progressivement du particularisme brutal des sociétés primitives affectives et agricoles à la sociabilité complexe des sociétés industrielles modernes, au travers d’un certain nombre d’étapes nécessaires. Suivant cette évolution, « l’altruisme », notion que forge Au- guste Comte, doit finir par remplacer dans le cœur des hommes, l’égoïsme et la violence. En fondateur conséquent de la sociologie, Comte pense que la société elle-même deviendra rapidement l’objet de la science nouvelle qu’il annonce. L’humanité, enfin capable de régler les difficultés sociales qui la traversent, enfin réconciliée avec elle-même, est au bout de l’histoire. - Du point de vue de l’évolution intellectuelle, l’histoire de la connais- sance et des idées est celle d’une lente érosion des interprétations magiques, théologiques et métaphysiques du monde, interprétations rassurantes, certes, mais dépassées, au profit du savoir scientifique, rationnel et relatif. Science et religion s’enracinent dans un besoin identique : comprendre, mettre de l’ordre dans les phénomènes de l’univers, se rassurer sur la vie et agir en retour sur le monde. Elles se séparent quant à l’extension de leur application. La prétention de la religion reste holiste ; elle prétend tout expliquer, y com- pris ce qui dépasse nos outils de connaissance. La science positive en reste, en revanche, aux constats réguliers, reproductibles, comparables, vérifiables ; les lois, qu’elles soient de succession ou de simultanéité, se contentant d’établir des régularités. On comprend que le conflit paraisse inévitable. La difficulté n’a pas échappé à Comte. Elle est en effet au cœur de son système : science et reli- gion sont-elles définitivement incompatibles et inconciliables ? N’est-il pas possible de concevoir une forme de religion qui soit compatible avec la Science et religion chez Auguste Comte 107 science ? À ce questionnement crucial, la première réponse que va proposer Auguste Comte semble radicalement négative. La loi des trois états Pour l’auteur du Cours de philosophie positive, le progrès des idées scientifi- ques conduit irrévocablement à la perte de crédit des discours aussi bien théologiques que métaphysiques. Ces dernières représentations, dont les rameaux survivent dans beaucoup de nos comportements, correspondent à des contenus désormais obsolètes. C’est le constat que Comte tire de ce qu’il appelle lui-même la « loi des trois états », découverte fondatrice de son sys- tème. Que dit-elle ? L’histoire des hommes a traversé trois étapes majeures qui sont comme autant de manières successives de penser, de sentir et d’agir. Ces modes mar- quent les grandes époques de l’évolution de l’humanité. Cette dernière est d’abord passée par le stade théologique qui consiste en la croyance à l’existence d’agents divers doués de volonté intentionnelle et de puissance. Immanents ou transcendants, ces agents permettent d’expliquer le cours des événements aussi bien naturels qu’humains. Auguste Comte prend soin de subdiviser cette première époque en trois sous-périodes. Durant la première, purement fétichiste, les conduites magi- ques s’expliquent par le fait que les hommes croient en l’existence de princi- pes intentionnels habitant toutes les choses et tous les êtres de l’univers. Les objets sont doués de vie, de volonté, d’intentions plus ou moins favorables. Le fétichisme se combine à l’animisme pour inviter à des pratiques où l’invocation et l’incantation tiennent lieu de pensée technicienne. À la période suivante, polythéiste, la nature se voit peuplée de dieux divers, doués de personnalité, individualisés, véritables fictions anthropo- morphes qui entretiennent avec les hommes des relations complexes d’échange, de concurrence ou de lutte. Agricole, comme le panthéon païen peuplé de nymphes, de sylvains, de naïades, ou plus politique, comme celui de la mythologie grecque, il tend à expliquer le cours des événements par la présence, cachée et néanmoins efficace, d’êtres aux pouvoirs supérieurs. Le monothéisme, enfin, concentre l’intégralité du pouvoir entre les mains d’un seul être. Un Dieu unique, caché, tout-puissant, qui explique tout et ne laisse deviner aucune de ses intentions, devient le créateur et maître de l’univers. Conduites magiques et offrandes ne servent plus à rien à ce niveau puisque son pouvoir est tel qu’il permet de concevoir, sans pour autant la Bernard Jolibert 108 comprendre, l’intégralité des phénomènes présents, passés et futurs. L’inexplicable tient lieu d’acceptation intégrale de l’univers. Le second état fondamental correspond à la promotion de la métaphysi- que. Plutôt que d’expliquer le cours des événements par l’existence d’êtres divins, on cherche au cœur des choses elles-mêmes des « essences », des « vertus », « des qualités intrinsèques » qui, sous le nom d’idées, de causes ou de principes vont permettre de comprendre pourquoi les phénomènes suivent tel cours plutôt que tel autre. Ainsi la « vertu dormitive » de l’opium, si chère à Molière, qualité tellement cachée que personne ne saurait l’isoler afin de la mettre en évidence ; ainsi la Raison, la Nature, la Liberté, la Na- tion, poncifs des discours politiques de la Révolution française. Ce second état intellectuel de l’évolution n’est, au dire de Comte, qu’une altération transitoire de l’esprit théologique ; celui durant lequel on prend des abstrac- tions pour des réalités. Enfin, l’état positif, c’est-à-dire scientifique de la connaissance, apparaît comme état final et non plus passager. Il est dit état « normal », au double sens de normatif et de définitif. Au lieu d’aller au delà des phénomènes uploads/Philosophie/ science-et-religion.pdf
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- Publié le Sep 27, 2021
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