Se former à la grammaire en français langue étrangère. Quelques réflexions Syne

Se former à la grammaire en français langue étrangère. Quelques réflexions Synergies France n° 13 - 2019 p. 31-43 31 Reçu le 06-09-2019 / Évalué le 15-10-2019 / Accepté le 31-10-2019 Résumé Cet article est une réflexion sur la formation de futurs enseignants de français langue étrangère en matière de grammaire française. Nous essayons de développer leur sens critique et leur compétence grammaticale en leur montrant l’évolution de la grammaire, les différentes analyses, et la façon plus ou moins réussie dont la grammaire traditionnelle essaie de dompter son objet d’étude, la langue. Mots-clés : grammaire française, français langue étrangère, terminologie gramma- ticale, contextualisation Reflections on Learning Grammar in French as a Foreign Language Classes Abstract This article is a reflection on French grammar training for future teachers of French as a foreign language. We are working to develop their critical senses and their grammatical competences by showing them the evolution of grammar, the different analysis, and the more or less successful ways in which traditional grammar manages its object of study: the language. Keywords: French grammar, French as a foreign language, grammatical termi- nology, contextualization Introduction La grammaire pourrait être définie comme une description aussi complète que possible de la langue pour en établir les règles du bon usage (pour d’autres définitions, voir Flaux, 1993 : 10-13). Il s’agit là d’une grammaire essentiellement normative, comme l’est l’ouvrage éponyme de Grevisse et Goosse. C’est cette dernière que l’on pratique le plus souvent dans le cadre de l’apprentissage du français, langue maternelle ou langue étrangère. Pour Cuq (1996 : 5), « c’est sans doute la dimension prescriptive de la grammaire qui a engendré au cours du temps les réflexions les plus fécondes : la notion de norme, à partir de laquelle se définit Jan Goes Université d’Artois, Grammatica (EA 4521), France jan.goes@univ-artois.fr GERFLINT ISSN 1766-3059 ISSN en ligne 2260-7846 Synergies France n° 13 - 2019 p. 31-43 celle d’erreur, la notion de variation, qui amène au contraire à s’interroger sur ce qu’il est légitime d’enseigner, de permettre ou de corriger […] ». Ce type de grammaire est le support de l’enseignement scolaire et institutionnel. Dans le cadre du français langue étrangère (désormais FLE), on constate néanmoins qu’il y a beaucoup moins de grammaires que de méthodes. Les méthodes ont leurs rubriques et activités grammaticales, certes, mais ces dernières ne sont pas vraiment comparables à une grammaire. Selon De Salins (2001 : 23-24), c’est « une grammaire édulcorée, parcellaire, au “compte-gouttes”, et qui dicte le plus souvent la progression des apprentissages de la langue […] » ; elle ajoute que « les auteurs de manuels « comptent a priori sur les interventions explicatives qui auront bien sûr lieu dans la classe de langue ». En d’autres termes, l’enseignant sert de médiateur entre le manuel et l’apprenant. C’est sans doute là que le bât blesse : en 2016, nous avons fait une enquête auprès de nos étudiants, futurs enseignants de FLE, natifs et non natifs confondus. Pour les natifs, la langue française est conservatrice (la norme), elle est difficile, comporte de nombreux problèmes d’orthographe ; ils évoquent volontiers la grammaire française1. En général, cette dernière réveille de mauvais souvenirs d’école, ce qui ne les empêche d’ailleurs pas de se replonger dans le Bled (Goes, 2015) lorsqu’il s’agit de préparer un cours. Les non natifs, quant à eux, maîtrisent souvent mieux les « règles » traditionnelles, et s’ils évoquent la complexité de la langue française, ils la trouvent logique et précise. Tous estiment que la langue française est une langue difficile et que sa grammaire comporte de nombreuses exceptions. Il y a fort à parier qu’ils transmettront ces préjugés à leurs apprenants, qui hésiteront à choisir la langue française comme objet d’études. Nous estimons, quant à nous, que l’on devrait bannir autant que possible les mots d’exception, irrégulier et difficile et qu’il serait souhaitable que les futurs enseignants se forgent une compétence d’intervenant / médiateur entre le manuel et l’apprenant. Pour ce faire, il nous paraît très important de « dédramatiser » l’étude de la grammaire (scolaire) française. Tout d’abord, nous essayons de montrer à nos étudiants qu’elle n’est pas immuable et qu’il s’agit d’une approche de la langue qu’on a développée au fil des siècles. Partant de cela, nous les encourageons à chercher des solutions alternatives aux explications traditionnelles et à adopter un métalangage adéquat en accord ou non avec les traditions locales de leurs appre- nants, tâche facilitée par le fait que, d’année en année, le groupe est composé de natifs et de non natifs. De même, nous n’hésitons pas à comparer les langues, ce qui permet d’entrevoir les difficultés des futurs apprenants, car nous ne perdons pas de vue que cette réflexion est destinée à de futurs enseignants en contexte hétéroglotte, non à des apprenants FLE. Dans cet article, nous relèverons quelques éléments importants de cette réflexion. 32 Se former à la grammaire en français langue étrangère. Quelques réflexions 1. Une grammaire philosophique devenue « orthographique » La transition entre ce que Chervel (1977) appelle la première grammaire scolaire (philosophique et logique2, vers 1800) et la deuxième grammaire scolaire (une grammaire en fonction de l’orthographe grammaticale, vers 1870) constitue notre point de départ pour montrer que la grammaire n’est pas immuable. En effet, étant donné que leurs principes d’accord sont différents, l’adaptation de la grammaire de Port-Royal à l’école entraînera une distinction entre le substantif et l’adjectif3. Ceci aura également un impact sur le statut des verbes être et avoir et nécessitera l’introduction de la notion d’attribut. Pour les grammairiens de Port-Royal, le verbe être était unique, le seul verbe substantif, sous-jacent (sub-stare) à tous les verbes. On décomposait donc Pierre mange en Pierre (sujet) + est + mangeant (attribut). La première grammaire scolaire adopte ce cadre et insiste sur le fait qu’il ne saurait y avoir de confusion entre l’attribut et le complément étant donné que être « ne peut avoir aucune espèce de complément parce qu’il a par lui-même une signification complète » (Noël et Chapsal, Nouvelle grammaire française, 1823, cités par Chervel, 1977 : 125). Or, tout comme le complément d’objet direct, l’attribut répond à la question qui, quoi ? Un certain désarroi s’installe dans les grammaires du XIXe siècle autour de la question de être et de l’attribut/complément :  Le verbe être n’ayant pas de complément direct, on appelle attribut le mot qui paraît en être le complément direct (Saint-Germain, Principes élémentaires de grammaire et d’analyse grammaticale, 1862 ; cité par Chervel, 1977 : 193). En fait, deux problèmes se posent : non seulement, le verbe être ne peut avoir de complément, mais ce « complément » s’accorde avec le sujet, ce qui rend l’expli- cation de l’accord du participe avec avoir très difficile (Jeanne est ayant *mangée la pomme ?). On proposera donc l’introduction de la fonction de complément d’objet direct pour expliquer les règles avec avoir, et la notion d’attribut pour expliquer la règle avec être. Fait marquant : les instituteurs refusent cette réforme et demandent la suppression du terme attribut : [...] cet hiver des instituteurs réunis en conférence pédagogique ont demandé que fût supprimé le terme attribut, déclarant qu’il était bien plus simple de dire que dans : je suis malade, malade est le complément direct du verbe je suis. Quoi de plus simple en effet ? Phrase à analyser : j’écris une lettre ; posons la question quoi : j’écris quoi ? une lettre ; lettre est complément direct de j’écris. Autre phrase : je suis malade ; posons encore la question quoi : je suis quoi ? malade. Malade est complément direct de je suis. Nous n’avons pas su si quelqu’un s’est trouvé pour inviter les partisans de cette merveilleuse simplification à observer, si 33 Synergies France n° 13 - 2019 p. 31-43 peu que ce fût, ces deux courtes phrases : ce garçon est grand et fort, cette fillette est grande et forte, et à se demander pourquoi les adjectifs sont masculins dans un cas, féminins dans l’autre : ils auraient remarqué, n’en doutons pas, que grand et fort sont masculins parce qu’ils se rapportent à garçon, grande et forte féminins parce qu’ils se rapportent à fillette, et ils en auraient conclu que l’attribut, qui exprime les qualités d’une personne ou d’une chose, n’est certainement pas un complément du verbe (Lanusse, Yvon, 1929 : 30). Cette remarque montre que la grammaire de l’accord a pris le dessus sur la grammaire philosophico-logique. Afin de mieux expliquer l’accord (adjectifs attributs, participes avec avoir et être), un binôme être-avoir remplace le verbe substantif être. Or, on « découvre » très vite que d’autres « compléments » s’accordent avec le sujet, notamment ceux de paraître, sembler […]. Il faudra bien les appeler attributs, et certains grammairiens s’efforceront de distinguer être (copule vide selon Martinet (1979 : 854) des autres verbes copules (copules pleines (Martinet, id.) ou verbes d’état (Riegel e.a., 2009 : 422))5. Le terme verbe attributif serait peut-être le plus adéquat, car il permet d’introduire les verbes occasionnel- lement attributifs (Elle est partie uploads/Philosophie/ se-former-a-la-grammaire-en-francais-langue-etrangere-quelques-reflexions.pdf

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