la cause du désir n° 104 151 Référence de Jacques Lacan pour formuler son Y a d
la cause du désir n° 104 151 Référence de Jacques Lacan pour formuler son Y a d’l’Un, la métaphysique de l’auteur néoplatonicien se révèle indispensable pour saisir l’Un, à la fois comme exception aux mondes, aux ordres établis, et comme puissance de toutes choses tout en n’étant aucune d’entre elles. 1. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 9 mars 2011, inédit. 2. Cf. ibid., cours du 16 mars 2011, inédit. DÉTOURS MATHIEU SIRIOT PLOTIN ET LA DOCTRINE DE L’UN DANS LE DERNIER LACAN Dans son cours L’orientation lacanienne, Jacques-Alain Miller fait référence à deux reprises à Plotin (205-270 après J.-C.), philosophe gréco-romain et initiateur de la pensée néoplatonicienne. La première fois, c’est dans son cours de 1986-1987, « Ce qui fait insigne », dans lequel il dit avoir réussi à faire entrevoir, peut-être pour la première fois, ce qui fut l’enjeu du dernier enseignement de Lacan. La deuxième fois, c’est dans son célèbre et dernier cours achevé, « L’Un-tout-seul ». Dans ce cours de 2011, J.-A. Miller aborde le dernier Lacan à partir de ce qu’il avait introduit vingt-cinq ans plus tôt. La dichotomie entre l’Un et l’Être, entre deux doctrines, l’hénologie et l’ontologie, devient le fer de lance de ce cours. Les références plotiniennes (et néoplatoniciennes) abondent dans l’effort toujours présent de J.-A. Miller de situer le statut du Un. Je le cite : « En criant Y’a d’l’Un, il [Lacan] s’inscri- vait […] dans la tradition de l’hénologie, de la doctrine de l’Un, celle que les néopla- toniciens ont fait fleurir et qui s’efforçait précisément de penser le Un […] au-delà de l’être et de l’essence, de penser le Un comme supérieur, antérieur, indépendant par rapport à l’être » 1. L’ontologie, soit la doctrine de l’être, s’étend, quant à elle, aussi loin que s’étend le langage, c’est l’être équivoque, qui n’est qu’ombres et reflets, qui n’est que semblant. Dans cette perspective continuiste de 1986, le grand Autre en devient le lieu ontologique par excellence, le lieu où s’inscrivent le discours en tant que semblant et l’abondance des effets de sens. En revanche, le Un-tout-seul en tant qu’il existe, en tant qu’il est un réel hors structure, préside et conditionne toutes les équivoques, tous les semblants d’être dans le discours. L’Autre qui n’existe pas veut dire justement que le Un existe 2. Cet Un-tout-seul, antérieur et indépendant des embrouilles de l’Être, se révèle être le signifiant originel, premier, qui affecte le corps d’un évènement de jouissance, qui le marque d’une jouissance hors savoir. Hors savoir ne veut pas dire hors signifiant, et les termes d’évènement, de marque, font plutôt référence à une écriture, à un bout de langue, hors sens, hors loi subjective (S1 – S2). Si J.-A. Miller insiste autant dans son cours sur les néoplatoniciens, c’est parce que Lacan en fait mention, dans son Séminaire Encore, au moment précis où il interroge le statut de l’Un et où il prononce pour la première fois « qu’il y a de l’Un tout seul » 3. C’est d’ailleurs dans ce même chapitre, « Dieu et la jouissance de La femme », qu’il aborde la jouissance féminine, à savoir une jouissance du corps, supplémentaire, qui va au-delà du phallus 4, et qu’il fait référence aux mystiques 5. Plongeons-nous, comme le faisait Lacan, dans la doctrine néoplatonicienne, en nous centrant plus particulièrement sur Plotin. Plotin et le néoplatonisme Plotin est né à Lycopolis, en Égypte, en 205 après J.-C. Entre 232 et 243, il se forme à Alexandrie à la pensée de Platon et de Pythagore. En 246, il se rend à Rome pour fonder sa propre école. Plotin y propose une interprétation nouvelle du plato- nisme, bien que « lui-même estim[ait] ne faire que ramener à sa pureté première la pensée de Platon, dévoyée par la postérité, mais, en réalité, il inaugur[ait] une façon théologique de lire son œuvre qui caractérise ce que nous appelons le “néoplatonisme” » 6. Selon Émile Bréhier, agrégé de philosophie, « le thème plotinien par excellence, c’est celui qui sera repris par les mystiques contemplatifs de tous les âges, c’est celui de la solitude du sage, “seul à seul” avec le principe suprême auquel il est parvenu parce qu’il a abandonné successivement toutes les réalités limitées et définies » 7. Le contem- platif plotinien est un solitaire qui veut échapper à l’habitude de la réalité et à toute relation particulière qui le fixait à un objet, en décelant la force intérieure, la profon- deur intelligible des choses. La métaphysique de Plotin : L’Un, cause de tout La métaphysique de Plotin est à la fois « une solide construction rationnelle où les diverses formes de la réalité sont liées les unes aux autres selon des lois nécessaires » 8, et « une expérience rare, discontinue, incommunicable, l’expérience mystique de DÉTOURS 152 3. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 63-64. 4. Cf. ibid., p. 69. 5. Cf. ibid.., p. 70. 6. Morlet S., « Introduction », in Porphyre, Vie de Plotin, Paris, Les Belles Lettres, 2013, p. IX. 7. Bréhier É., La Philosophie de Plotin, Paris, Vrin, 2008, p. 11. 8. Ibid., p. 158. MATHIEU SIRIOT, PLOTIN ET LA DOCTRINE DE L’UN DANS LE DERNIER LACAN la cause du désir n° 104 153 <9. Ibid. 10. Plotin., Traités 7-21, Paris, Flammarion, 2003, p. 75. 11. Ibid., p. 79. 12. Cf. ibid., p. 81. 13. Cf. ibid. 14. Cf. ibid. 15. Cf. ibid. p. 82. 16. Cf. ibid., p. 84. 17. Cf. ibid., p. 85. 18. Cf. ibid., p. 86. 19. Cf. ibid., p. 87. 20. Cf. ibid. 21. Cf. Narbonne J.-M., Hénologie, Ontologie et Ereignis (Plotin – Proclus – Heidegger), Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. 82. 22. Ibid., p. 161. communion avec l’Un » 9. Elle repose sur un système à trois hypostases : l’Un, l’Intel- ligence et l’Âme. La réalité plotinienne est une vie spirituelle qui part de l’Un pour arriver au monde intelligible et enfin au monde sensible. Sa particularité réside dans le fait que l’Un fait exception aux mondes, aux ordres établis, et c’est à ce titre qu’il est puissance de toutes choses tout en étant aucune d’entre elles. Dans son traité IX, consacré à l’Un, Plotin explique cela avec une grande clarté. Tout d’abord, « C’est en vertu de l’unité que tous les êtres sont des êtres […] dépourvus de l’unité […] les choses que voici ne sont pas : assurément, il n’y a pas d’armée, si elle n’est pas une, pas de chœur ou de troupeau, s’ils ne sont pas uns » 10. Si les choses fuient leur unité, elles se fragmentent alors dans une multiplicité, perdant la réalité qui était la leur. L’unité, c’est par conséquent ce qui est premier, tandis que l’Intellect ne l’est pas, car il est multiforme. L’unité d’un ordre est ainsi une réalité supérieure et antérieure à cet ordre lui-même. De plus, « L’unité ne sera donc pas toutes choses, car, en ce cas, elle ne serait plus une ; ni elle ne sera l’Intellect, car, dans ce cas aussi, elle serait toutes choses, puisque l’Intellect est toutes choses ; ni elle ne sera l’être non plus, car l’être est toutes choses » 11. Dans ce même traité, Plotin énumère le statut de cet Un, séparé de l’ordre intelligible, disjoint donc du registre de l’Être : il est privé de figure de ce qui est 12 ; il précède toute forme, le mouvement, et le repos 13 ; il est une cause 14 ; il est supérieur à la science, qui est un discours, et le discours est multiple 15 ; aucun nom ne lui convient 16 ; il est connu uniquement à partir de ce qu’il engendre, à savoir la réalité 17 ; il n’est pas en rapport à autre chose, il est autarcique 18 ; il n’occupe aucun lieu, car ce sont les choses qui s’établissent dans un lieu 19 ; et il n’a en lui aucune altérité 20. Jean-Marc Narbonne, spécialiste de philosophie ancienne, commente et agrémente ce traité IX. Sans l’Un, dit-il, l’Être, pensé sur fond d’infini, serait éparpillement, fuite, multiplicité incontrôlable 21, et donc destruction. L’Un est ainsi la condition absolue d’un système ordonné de l’Être, multiple et limité à la fois. Il est cause de tout, soute- nant tout, ordonnant tout, une sorte de tout absolu avant le tout. Contrairement à tous les êtres qui forment ensemble « un réseau, un tissu, un entrelacement » 22, la cause ne DÉTOURS peut être mise en communauté avec rien, se dispensant de toute association. Son absence entraînerait l’impossibilité pure et simple de la pensée. L’Un est ainsi le levier de la parole et de la pensée comme de l’Être, et il leur présubsiste. De cet Un, qui ne peut être atteint par voie discursive, on ne parle jamais de lui, mais toujours et seule- ment à propos de lui. Il est présent sans être présent. Il n’a aucun lieu, et en uploads/Philosophie/ siriot-mathieu-plotin-et-la-doctrine-de-l-x27-un-dans-le-dernier-lacan 1 .pdf
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- Publié le Jul 12, 2021
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