Socrate était-il un ironiste ? Author(s): Michel Gourinat Reviewed work(s): Sou
Socrate était-il un ironiste ? Author(s): Michel Gourinat Reviewed work(s): Source: Revue de Métaphysique et de Morale, 91e Année, No. 3, Philosophie antique (Juillet- Septembre 1986), pp. 339-353 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40902783 . Accessed: 08/06/2012 14:55 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Métaphysique et de Morale. http://www.jstor.org Socrate était-il un ironiste ? Socrate était-il un ironiste ? - Le mot grec ironie signifiait primitivement dissimulation, et plus précisément imposture comprise comme dissimulation de V incompétence et prétention au savoir. Appliquée à Socrate, l'ironie en est venue à désigner une dissimulation du savoir destinée à triompher plus facilement du prétendu savoir d'un adversaire. Ce retournement dans la signification du mot est un contresens - dont nous suivons l'évolution de l'Apologie au Lucullus - sur la maïeutique, qui résulte de l'usage fait par Socrate de cette méthode dans sa première rivalité avec les Sophistes. Was Socrates an ironist ? - The Greek word irony primarily meant dissi- mulation, and more precisely imposture as dissimulation of ignorance and pretence to knowledge. Applied to Socrates, irony came to signify feigned ignorance as a mean of confuting the alleged science of an adversary. This upturning in the meaning of the word - which we tried to track from the Apology down to the Lucullus - is a misunderstanding of the maieutic which comes from the use made by Socrates of this method as a way of dispute in his early rivalry with the Sophists. Il est impossible de disserter aujourd'hui de l'ironie sans rendre d'abord hommage à Vladimir Jankélévitch, qui a su rendre à cette notion sa dignité philosophique. Aussi bien ne chercherons-nous pas à rivaliser avec lui, mais nous tenterons plus modestement, de façon simplement historique, la démarche inverse de la sienne, en cherchant à savoir comment l'ironie, d'abord considérée comme caractéristique de la méthode socratique, a pu déchoir au rang d'un simple procédé oratoire. Il est vrai qu'on peut trancher la question en évitant de s'embarrasser de difficultés. C'est ainsi que le Dictionnaire de Littré, tout en défi- nissant l'ironie comme « la raillerie particulière par laquelle on dit le contraire de ce qu'on veut faire entendre », la rattache d'abord à « l'ironie socratique, méthode de discussion qu'employait Socrate », caractérisée elle-même comme « l'ignorance simulée, afin de faire ressor- tir l'ignorance réelle de celui avec qui on discute ». Supposer que l'ignorance de Socrate était feinte est une façon de rendre hommage 339 Michel Gourinat à sa sagesse. Mais est-ce pour autant rendre justice à un philosophe, que de lui attribuer une raillerie et une feinte qui relèvent plus des procédés de la rhétorique et de la sophistique que de l'amitié pour les hommes et la vérité, et n'est-ce pas plutôt se ranger du côté des adver- saires de Socrate ? Dans les dialogues de Platon, lorsque le terme d'ironie est appliqué à la méthode ou aux procédés de Socrate, ce n'est en effet jamais par Socrate lui-même, mais par ses juges prévenus contre lui ' ou par ses adversaires déclarés, Thrasy maque 2 ou Calliclès 3, à moins que ce ne soit par le disciple aimant mais égaré qu'est Alcibiade 4. Thrasymaque est celui qui explique de la façon la plus détaillée en quoi, selon lui, l'ironie consiste : « J'avais bien prédit que tu n'accepterais pas de répondre, mais que tu ironiserais et que tu ferais tout plutôt que de répondre, si on te pose une question » 5. L'ironie ainsi décrite paraît essentiellement consister dans le procédé par lequel Socrate, dans la discussion, se tient obstinément au rôle du questionneur et refuse toujours celui du répondant. Un possible jeu de mots, ou même une étymologie incertaine qui renverrait elisia, ironie, à tlonpiu. ? j'interroge, peuvent conduire à rapprocher l'ironie de Socrate de sa constante inter- rogation, de la mise en question et de la mise à la question de ses interlocuteurs. Le côté agressif de l'ironie socratique apparaît ainsi : par ses incessantes questions, Socrate tourmente ses adversaires et ses rivaux, « s'empare de leur discours et le réfute » 6 et ainsi menace ou ruine leur autorité. Mais Socrate rejette l'interprétation de Thrasymaque. S'il interroge, c'est parce qu'il ne sait rien, mais cherche à savoir en s'informant auprès de ceux qui prétendent à la compétence : « Comment répondrait-il, celui qui ne sait pas et n'affirme pas à tout instant qu'il sait ? » 5. Socrate ne prétend donc rien savoir, il est en général sans prétention, et c'est donc plutôt à Thrasymaque « qu'il incombe de répondre » puisqu'il ne cesse de répéter qu'il sait et qu'il a de quoi dire 7. Thrasymaque peut bien en effet insinuer qu'il est plus facile d'interroger que de répondre, il n'en reste pas moins qu'il justifie sa profession et « l'argent » qu'elle lui procure, et qu'il exige 8, par sa prétention au savoir et à la compé- tence. Il lui incombe donc de fonder ses revendications en montrant qu'il est capable de répondre à l'examen auquel le soumet Socrate. Ainsi se trouve complétée la définition de l'ironie socratique. Elle 1. Apologie de Socrate. 38 a. 2. République L 337 a. 3. Gorgias, 489 d. 4. Banauet, 216 e. 5. République I, 337 a. 6. Ibid., I, 337 e. 7. Ibid.. 338 a. 8. Ibid., 337 d. 340 Socrate était-il un ironiste P apparaît comme l'interrogation par laquelle Socrate réfute le prétendu savoir de son interlocuteur et, comme on ne peut triompher d'un adversaire ni refuser un candidat à un examen sans en savoir plus que lui, il faut bien conclure que Socrate sait ce qu'il prétend ignorer. Son ironie ne paraît donc renverser la prétention de son interlocuteur à savoir que par une affectation inverse : celle qui prétend ne rien savoir. La touche finale à une telle description sera apportée par Alcibiade dans le Banquet 9. C'est, selon Léon Robin 10, la référence essentielle, celle où se trouve achevée la définition de l'ironie socratique : « Socrate pense que tout ce que nous possédons ne vaut rien et que nous ne sommes rien - je vous le dis - et c'est en ironisant et en se jouant qu'il passe toute sa vie avec les hommes » n. Ici l'ironie se fait jeu, et parce qu'elle se joue de tous ces hochets de la vanité humaine que sont la gloire, le pouvoir, la richesse, la compétence et la science et qu'elle les tourne en dérision, elle n'est pas exempte de cette agressivité mordante que dénonçaient Thrasymaque ou Calliclès, et elle apparaît ainsi comme une espèce de raillerie nihiliste. Mais si elle réduit ainsi à rien la condition humaine, c'est seulement dans ses biens extérieurs, ses acquisitions surajoutées, et comme l'attaque qui s'en prend à l'extérieur reste elle-même superficielle, l'ironie n'est que l'enveloppe d'un « sérieux » 12 plus profond. Il ne faut donc pas s'en tenir à la surface de l'ironie, mais, comme l'a fait Alcibiade, « l'ouvrir » pour « voir le trésor intérieur » 13 de la sagesse socratique. Ainsi l'ironie comme raillerie se présente-t-elle à tous égards comme une feinte et une dissimulation. Si elle se moque de ce que Jean Beaufret appelait « la grande frivolité des gens sérieux », c'est parce que le « jeu labo- rieux » u du philosophe est en lui-même l'occupation la plus sérieuse. Et si elle attaque l'adversaire en feignant de le prendre pour compétent, c'est parce qu'elle sait d'avance que cette compétence est toujours illusoire et cette certitude, qui fait sa force, est le vrai contenu de son affectation d'ignorance. Cette interprétation de l'ironie socratique est sans doute cohérente, et elle peut se recommander d'un accord séculaire dans la reconstruction erudite à partir des textes. Elle n'en est pas moins régulièrement rejetée par Socrate quand elle lui est présentée par l'un de ses adversaires. Sans doute Socrate ne réfute-t-il pas l'interprétation d'Alcibiade. Mais c'est que celle-ci, même inspirée par un équivoque amour, témoigne d'une véritable pénétration intellectuelle, qui, sous l'ironie, a su décou- 9. Banquet, 216 e. 10. Leon Robin in Platon, Œuvres complètes. Pléiade, t. I. d. 1261 et 1321. 11. Banquet, 216 e. 12. Ibid. 13. Ibid. 14. Parménide, 137 b. 341 Michel Gourinat vrir le sérieux philosophique. Mais, avec tout son brillant, Alcibiade ne s'en révèle pas moins superficiel, en ce qu'il oppose, en Socrate, la surface ironique et le fond philosophique comme on peut distinguer la boîte de l'objet qu'elle contient, ce qui est bien la façon la plus plate d'exprimer les rapports de la forme et du uploads/Philosophie/ socrate-etait-il-un-ironiste-par-michel-gourinat.pdf
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- Publié le Mar 16, 2022
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