1 De la Philosophie : Méthode ou Savoir ? (Descartes, Kant et Hegel) " la métho
1 De la Philosophie : Méthode ou Savoir ? (Descartes, Kant et Hegel) " la méthode n’est rien d’autre que l’édifice du Tout proposé dans sa pure essentialité." (Hegel) Le hasard des anniversaires réunit aujourd’hui trois écrits majeurs de l’histoire de la philosophie : Le Discours de la méthode de Descartes, paru en 1637, la Préface à la seconde édition de la Critique de la Raison pure de Kant (1787) et la Préface au Système de la science, plus connue sous le nom de Préface à la Phénoménologie de l’esprit, de Hegel, publiée en 1807, l’année où le philosophe entreprenait la rédaction de la Science de la Logique, seconde partie de son Système dont la Phénoménologie devait constituer simplement l’introduction ou la première partie. La lecture attentive de ces trois textes1 permet de dépasser le caractère fortuit de cette rencontre et d’établir entre eux une conjonction autre que de simple circonstance, soit un lien conceptuel qui vérifierait l’affirmation hégélienne -déjà anticipée par Descartes et Kant : " la présence d’une seule et unique philosophie à divers degrés d’élaboration "2. Saisissant l’occasion d’une célébration historique, nous voudrions lui conférer un statut purement philosophique. Tout semble pourtant s’opposer à ce projet et démentir l’unité avancée, à commencer par le constat dont partent les deux derniers philosophes susnommés. A l’encontre des sciences et particulièrement des " mathématiques " dont " le(s) résultat(s) " atteste(nt) la validité de la méthode –" route [ou] voie "- suivie et la fermeté ou solidité des "fondements", la philosophie apparaît comme le lieu des désaccords ou de(s) " dispute(s) " et ressemble à une " arène " ou un " champ de bataille ". Elle reposerait donc sur une méthode fort "douteuse" et " des fondements si peu fermes "3, que nul ne saurait lui accorder son crédit et qui justifieraient le " mépris " dont elle est généralement l’objet. Devant un tel constat, on sera tenté par l’" indifférentisme " ou le scepticisme à l’endroit du discours métaphysique. Mais une telle attitude s’avère rapidement impraticable, car la métaphysique n’est pas une science parmi d’autres et dont on pourrait aisément se passer, puisqu’elle est consubstantielle à l’être même de l’homme. " Il est bien vain, en effet, de vouloir affecter de l’indifférence pour des recherches dont l’objet ne saurait être indifférent à la nature humaine." Celui-ci s’y trouve en effet confronté à d’incontournables " questions … imposées à la raison par sa nature même ". 1 Éditions utilisées : Descartes (D), Discours de la méthode suivi des Méditations (10-18) ; Kant (K), Critique de la Raison pure (G.-F.) ; Hegel (H), Préface à la Phén. E., éd. bil. (Aubier-Montaigne) et Introd. à la Science de la Logique (Log.) (Nathan) ; exergue H. 111 2 H. E. § 13 ; pour Descartes cf. Principes II art. 200 et pour Kant cf. K. 627 3 D. 29–30 et K. 37, 41 et 29 2 Quelles questions ? Celles justement que l’homme n’a pas pu ne pas se poser, dès lors qu’il s’est engagé dans le processus du raisonnement, soit dans la recherche des raisons et donc fatalement des raisons premières ou dernières (finales) -" Dieu, la liberté et l’immortalité ". " Ces problèmes inévitables de la raison pure sont Dieu, la liberté et l’immortalité. On appelle métaphysique la science dont le but dernier est la solution de ces problèmes, et dont toutes les dispositions y tendent." Les Méditations métaphysiques porteront sur " l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme " (Titre de l’éd. Soly, Paris 1641). De telles interrogations n’ont cessé de hanter la conscience humaine, l’existence, en-deçà de toute philosophie constituée, de la religion en témoigne. Contrairement aux autres connaissances, mathématique ou physique, tardivement apparues dans l’histoire de l’humanité, la connaissance métaphysique se confond, au moins dans son état virtuel, avec les origines de celle-ci et se révèle ainsi nettement plus fondamentale et pérenne que les autres sciences. " Elle est plus vieille que toutes les autres, et elle subsisterait toujours, alors même que celles-ci disparaîtraient toutes ensemble dans le gouffre d’une barbarie dévastatrice." Dans la philosophie se joue le destin même de l’homme qui n’a jamais pu se limiter à assumer un rôle particulier ou " temporel ", économique, politique ou scientifique, mais ne saurait s’accomplir que dans une " destinée complète "4. En d’autres termes, l’homme a toujours été en quête d’un Sens général ou radical, soit à la Recherche de l’Absolu, car ce dernier seul peut satisfaire véritablement notre raison –" l’absolu seul est vrai "- ou, ce qui revient au même, sa recherche a toujours été totale et universelle –" le vrai est le tout "5-, et donc impartiale, par opposition aux recherches uniquement partielles et/ou partiales des disciplines scientifiques. Demeure néanmoins et s’amplifie même l’objection de l’irrecevabilité du savoir métaphysique, liée aux " diverses opinions "6 qu’on semble y professer. Ce dernier n’outrepasserait-il point finalement nos possibilités (humaines) et ne serions-nous pas victimes d’un "leurre" perpétuel qui nous inciterait à poursuivre une chose hors de notre portée ? " Or, d’où vient qu’ici la science n’a pu ouvrir encore un chemin sûr ? Cela serait-il par hasard impossible ? Pourquoi donc la nature aurait-elle inspiré à notre raison cette infatigable ardeur à en rechercher la trace, comme s’il s’agissait d’un de ses intérêts les plus importants ?"7 Pourtant, à y regarder de plus près, c’est cette objection elle-même qui s’avère irrecevable. Car, outre l’absurdité de l’hypothèse d’un leurre universel qu’elle présuppose –si tout le monde se trompait, qui serait en mesure de déceler l’erreur- cette réplique repose sur une mécompréhension totale de l’essence véritable des "Spéculations métaphysiques"8, c’est-à-dire de la nature " rationnelle spéculative " ou " a priori " de la connaissance métaphysique. 4 K. 29-30, 48, 61et 50 5 H. Introd. Phén. E. p. 67 (éd. Hyppolite) et 51 6 D. 30 7 K. 41 8 D. 120 3 Des objets comme Dieu, la liberté etc. ne sont pas en effet des objets que l’on puisse rencontrer ou manquer mais " de simples concepts " ou idées produits par la raison elle-même et partant de plein droit transparents à elle. " Rien ne saurait donc nous échapper ici, puisque les idées que la raison tire d’elle-même ne peuvent se dérober à nos yeux, mais elles sont mises en lumière par la raison même ". "Réponse … et question"9 bien comprises ne font ici qu’un. Si l’on ne s’avise pas généralement de ce point, s’interdisant ainsi tout progrès en philosophie, c’est uniquement à cause de la fâcheuse habitude que nous avons contractée de confondre le sensible avec l’" intelligible " et de juger de tout à l’aune des " choses matérielles " ou " corporelles ". Si l’on veut faire face conséquemment à l’exigence métaphysique, force est donc de s’appuyer sur "une méthode"10 correcte ou, puisque l’ancienne méthode a conduit dans une impasse, force est d’opérer " un changement de méthode " en vue " d’établir sur une base solide les travaux de la raison "11. Dans la mesure où cette nouvelle méthode devra donner accès au savoir philosophique, id est, nous l’avons dit, au savoir total, cette reformulation méthodologique prendra nécessairement la forme d’un réexamen de la connaissance en général. " Mais pour n’être pas toujours incertain sur ce que peut notre esprit et pour éviter qu’il ne travaille à tort et sans réflexion, avant d’aborder la connaissance des choses en particulier, il faut avoir examiné soigneusement, une fois dans la vie, quelles connaissances la raison humaine est capable d’acquérir." Une telle tâche incombera à ce que l’on appellera indifféremment un Discours de la méthode (Dissertatio de methodo) dont le but précis sera de " chercher la vraie méthode "12, ou une Critique de la Raison pure, elle-même qualifiée de " traité de la méthode " et chargée de délimiter le "pouvoir de la raison en général". Avant de chercher quelque chose (que ou quoi) ne faudrait-il pas savoir comment le chercher, voire s’il est possible de le trouver ? Cette démarche préalable ou "propédeutique" nous permettra de " raser un édifice en ruines " et de construire ensuite " une métaphysique solide et fondée comme science "13 ; ou, de "rebâtir le logis", soit de "rejeter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc ou l’argile" et partant d’" établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences "14. Semblable projet mériterait aussi bien le titre de Projet d’une science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection (1er titre envisagé pour le Discours) ou de Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science (Résumé ou Synthèse de la Critique). Tel ne fut-il pas le projet de tout philosophe authentique ? Depuis Platon qui exhortait déjà le sujet philosophant à " une conversion de l’âme " qui lui indiquerait le chemin de la " philosophie véritable ", jusqu’à Hegel qui souhaite " rapprocher la philosophie de la forme de la science "15, en passant par Fichte et sa Doctrine uploads/Philosophie/ de-la-philosophie-methode-ou-savoir-descartes-kant-et-hegel.pdf
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- Publié le Sep 03, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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