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PAGE 1/9 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE Tome XLV - N° 405, 189-195 L'ancrage dans les études sur les représentations sociales Willem DOISE Université de Genève Une étape importante de toute étude sur les représentations sociales (RS) est la détermination de leur contenu. Différents types d'analyses de données servent à repérer l'univers sémantique constitutif d'une RS et à en définir les liens structurants. A ce titre les études actuelles sur le noyau central des RS peuvent être considérées comme exemplaires (voir par exemple Abric, 1984, Flament, 1987, Guimelli, 1990, Moliner, 1987-1988). Elles permettent de réduire considérablement les incertitudes concernant les frontières entre éléments constitutifs et non-constitutifs des représentations sociales. Mais limiter l'étude des RS à leur contenu pourrait les faire apparaître comme des réalités en soi, dotées d'une existence autonome. Ce serait privilégier une démarche descriptive aux dépens d'une démarche explicative. Toute étude exhaustive des RS doit en même temps les décrire comme réalités objectives et considérer leur ancrage dans des dynamiques relationnelles. Etudier l'ancrage des RS c'est chercher un sens pour la combinaison particulière de notions qui forment leur contenu. Ce sens ne peut pas être défini par la seule analyse interne des contenus sémantiques d'une représentation, il se réfère nécessairement à d'autres significations régissant les relations symboliques entre acteurs sociaux. Autrement dit, la signification d'une RS est toujours imbriquée ou ancrée dans des significations plus générales intervenant dans les rapports symboliques propres à un champ social donné. Dans cette contribution je décrirai trois sortes d'imbrications ou d'ancrages. 1. Une première sorte porte sur l'intervention de croyances ou valeurs générales, comme par exemple la croyance dans un monde juste ou dans l'égalitarisme, qui peuvent organiser nos rapports symboliques avec autrui. Quand je qualifie de telles valeurs ou croyances comme générales, cela ne veut pas nécessairement dire que tout le monde les partage de la même manière, mais qu'elles sont censées intervenir dans un grand nombre de relations et évaluations sociales. 2. Une autre sorte d'ancrage porte sur l'imbrication des RS dans la manière dont les individus se représentent les rapports entre positions ou catégories sociales, par exemple dans la manière dont ils se représentent les rapports entre catégories sexuelles (voir Lorenzi-Cioldi, 1988). 3. Enfin une troisième sorte d'ancrage est analysée lorsque le chercheur établit un lien entre RS et appartenances ou positions sociales particulières occupées par des individus, tout en faisant au moins implicitement l'hypothèse que chaque insertion sociale partagée avec d'autres individus donne lieu à des échanges et expériences spécifiques qui modulent les représentations pertinentes. Le premier type d'ancrage se limite souvent à l'étude de constellations d'attitudes qui, bien que générées socialement, ne sont étudiées qu'en tant qu'organisations intra - et interindividuelles. La méthode d'analyse privilégiée est de nature corrélationnelle : quelles variations d'une attitude, perception ou évaluation générale sont liées à d'autres variations plus spécifiques. Il s'agit d'ancrages qui peuvent être considérés comme psychologiques dans la mesure où leur analyse porte d'une manière privilégiée sur l'organisation de variations au niveau individuel ou interindividuel et c'est la raison pour laquelle les méthodes utilisées sont souvent empruntées à la psychologie différentielle (du type analyse factorielle). A l'opposé, le troisième type d'ancrage fait intervenir des analyses de type plus sociologique et procède à des comparaisons entre groupes d'individus en fonction des positions qu'ils occupent dans un ensemble de rapports sociaux. Les techniques utilisées essaieront donc de repérer avant tout quels groupes se distinguent d'autres groupes. Le deuxième type d'ancrage se trouve à l'articulation des deux autres, il peut être considéré comme psychosociologique. Son étude se base sur l'analyse de la manière dont les individus se situent symboliquement par rapport aux relations sociales dans un champ donné. Souvent l'expérimentation sera utilisée pour accentuer la pertinence d'un PAGE 2/9 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE Tome XLV - N° 405, 189-195 rapport social donné dans un champ représentationnel. Signalons déjà que nous utiliserons de préférence le terme psychosociologique quand il s'agit de rapports intergroupes ou de nature positionnelle mais qu'on peut considérer le terme psychosocial comme approprié quand il s'agit d'analyser la manière dont des individus se situent symboliquement à l'égard de rapports de nature plus personnelle. Il faut tout de suite préciser que cette tripartition ne signifie pas que la réalité des ancrages des représentations serait de trois sortes : il s'agit de différentes analyses d'une réalité qui ne reçoit sa signification spécifique que par le regard particulier porté sur elle. On peut d'ailleurs penser que dans toute analyse de l'ancrage des RS les trois approches décrites sont plus ou moins mêlées, ce qui n'empêche pas que dans une investigation donnée une seule d'entre elles domine alors que les deux autres n'y sont pas explicitées, voire même y fonctionnent comme postulats allant de soi. L'ancrage psychologique Les recherches sur les théories naïves de la personnalité fournissent des analyses qui peuvent servir de point de départ pour l'étude de l'ancrage psychologique. Les auteurs de ce courant font en général l'hypothèse que notre compréhension d'autrui, comme de nous-mêmes, se base sur des croyances largement diffusées auxquelles adhèrent, avec des intensités différentes, les membres d'une société. Dans un certain sens on pourrait aussi bien parler de théories culturelles, car souvent les auteurs prennent la précaution de préciser qu'il s'agit de théories propres à une culture donnée (p. e. Sampson, 1987). Cependant, d'autres pensent que les théories implicites sont valables pour d'autres époques historiques, du moins pour ce qui est de la caractérisation des personnes et de leurs interactions (Adamopoulos, 1982 ; Adamopoulos et Bontempo, 1986) ou pour d'autres cultures en ce qui concerne, par exemple, le lien entre expressions corporelles et états émotionnels (Rimé, Philippot, Cisamolo, 1990). Comme recherche sur l'ancrage des RS dans ce type de croyances, je présenterai ici une investigation sur la représentation sociale des causes de la délinquance (voir Doise et Papastamou, 1987). Dans cette recherche la population étudiée était l'ensemble des étudiant(e)s en première année d'une section de psychologie présent(e)s à un cours obligatoire (N : 95). Le but de la recherche était d'abord d'étudier leurs croyances générales sur les causes de la délinquance et sur les traitements à réserver aux délinquants, mais aussi d'examiner le rôle que ces croyances pouvaient jouer dans leurs explications de cas particuliers. Pour saisir les croyances générales sur les causes de la délinquance, nous avons adopté un questionnaire qui s'était déjà révélé utile pour étudier ces croyances dans une autre population d'étudiants. A ce questionnaire s'ajoutait un ensemble d'items portant plus spécifiquement sur des opinions générales concernant les traitements que notre société réserve aux délinquants : la prison et les soins psychiatriques. Un deuxième questionnaire portait sur la manière dont les mêmes étudiant(e)s réagissaient à l'égard de cas plus concrets de délinquance mineure et plus précisément sur le degré d'acceptation de différentes explications, toutes fortement « réductionnistes ». Ces explications assignaient chaque fois une seule cause pour rendre compte d'un comportement individuel nécessairement inséré dans un tissu de déterminismes multiples. Les items de ces questionnaires ont été retenus pour refléter des positions courantes dans la littérature sur la criminalité et ils ont été rédigés après des entretiens avec des juristes et des psychologues. Le questionnaire sur les explications des cas concrets comprenait quatre pages. Sur chaque page figurait une brève description d'un cas, comme par exemple : « Un fonctionnaire-stagiaire a été surpris par la police en train de couvrir les murs d'un bâtiment public avec des slogans antimilitaristes ». Après avoir lu cette présentation, les interrogés devaient dire pourquoi l'auteur de l'acte en question s'est comporté de la sorte. Pour ce faire, ils prenaient position (sur une échelle en 7 points) à l'égard de quinze explications différentes, Par exemple : « PAGE 3/9 BULLETIN DE PSYCHOLOGIE Tome XLV - N° 405, 189-195 l'auteur de cet acte s'est comporté ainsi parce qu'il est psychologiquement déséquilibré » ; ou, « parce qu'il est dépendant de ses options idéologiques ». En fait, parmi ces quinze explications réductionnistes, il y en avait qui proposaient un déterminisme psychologique, d'autres un déterminisme social, et d'autres encore un déterminisme héréditaire ou biologique. La forme d'ancrage qui nous intéresse ici est l'imbrication entre les opinions exprimées sur les cas concrets (deuxième questionnaire) et les opinions générales exprimées dans le premier questionnaire. Résumons d'abord les résultats des analyses factorielles effectuées sur les données des deux parties du premier questionnaire. Trois facteurs ont été retenus pour la première partie. Les items fortement saturés du premier facteur sont tous en rapport avec une explication sociale et économique de la délinquance (l'exploitation et l'inégalité sociales, le système socio-économique et la prison génératrice de récidivisme), ceux du deuxième facteur avec une explication biologique (ce sont les trois items les plus refusés par l'ensemble des étudiant(e)s, ils attribuent les causes de la délinquance à des particularités organiques du délinquant, aux lois de l'hérédité et à des anomalies psychiques congénitales), et ceux du troisième facteur avec des explications psychologiques (relations interpersonnelles frustrantes et crise de l'adolescence). En ce qui concerne les traitements à réserver aux délinquants, l'analyse factorielle a de nouveau permis de retenir trois facteurs. Le premier facteur est fortement saturé uploads/Philosophie/ l-x27-ancrage-dans-les-etudes-sur-les-representations-socialies.pdf

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