Une grammaire contrastive rénovée, atout plus que tabou Marina Aragón Cobo Univ
Une grammaire contrastive rénovée, atout plus que tabou Marina Aragón Cobo Universidad de Alicante À l'époque des méthodes directes et structurales, l'analyse contrastive qui consistait à comparer la langue-source et la langue-cible, avait pour but de chercher dans l'influence de la langue 1 la cause d'erreurs observées dans l'apprentissage de la langue 2. Si les deux langues étaient en contact, l'interférence se produisait inéluctablement. Il fallait donc faire table rase chez l'apprenant de langue 2, de tout contact avec la langue 1. De nos jours, l'intégration des langues est considérée comme un atout plus qu'un tabou, puisqu'on considère que la langue maternelle est “un socle langagier" fécond dans une démarche de conceptualisation contrastive. Atout pour l'apprenant, qui comprend mieux le fonctionnement des états de faits confrontés, atout pour l'enseignant et le chercheur, car des études comparatives interlangues permettent d'élargir certaines descriptions grammaticales de la langue cible. Nous tenterons de montrer par des exemples, qu'une grammaire contrastive rénovée permet d'élucider partiellement les systèmes respectifs des langues et de faire découvrir de nouveaux types de descriptions grammaticales. Une grammaire contrastive rénovée, atout plus que tabou La problématique fondamentale de l’apprentissage d’une langue étrangère relève de la co- présence de langues : celle à apprendre et celle(s) déjà connues. À ce propos, deux tendances ont jalonné l’histoire de la didactique : la prise en compte de la langue maternelle dans l’apprentissage de la langue source, ou l’exclusion de la première (ou de toutes celles qui ont été apprises préalablement). Ce travail se propose de mesurer le chemin parcouru depuis la méthode traditionnelle, et surtout de réinterpréter cette problématique à travers l’état actuel de la question : peut-on réellement avancer des propositions constructives en vue d’une harmonisation des relations langue maternelle / langue étrangère ? C’est bien la question centrale de notre étude. Dans l’archéo-méthodologie (dite méthode traditionnelle), la langue maternelle était un moyen privilégié de travail, et on y avait systématiquement recours par la traduction, au détriment de la capacité communicative de l’apprenant. La méthode directe, elle, percevait le rapport des langues en présence comme un facteur de risque, un détour nuisible. Pour l’éviter, il fallait donc faire table rase de tout acquis linguistique antérieur. Sa qualification de « directe » est d’ailleurs justifiée par le refus de la traduction, puisque cette méthode recherche un contact sans écart et sans intermédiaire entre la langue étudiée et les réalités référentielles. Avec les méthodes audio-orale et audio-visuelle, même foi dans l’exclusion de la langue maternelle ; cependant, contrairement aux méthodes traditionnelle et directe, celles-ci se réclamaient de bases scientifiques puisqu’elles s’appuyaient d’une part sur la psychologie béhavioriste, et d’autre part, sur une théorie linguistique : le structuralisme. Ces méthodes avaient en outre l’appui d’une autre discipline scientifique, issue du structuralisme lui-même, à savoir, l’analyse contrastive. Ses pionniers, avec Fries en tête, se proposent, dès 1945, de décrire et de comparer de façon rigoureuse et systématique, deux langues en rapport, la langue cible et la langue source. Y a-t-il alors contradiction dans ce que préconise l’AC, à savoir, exclusion de la langue maternelle d’un côté, et étude contrastive des langues 1 et 2 de l’autre? La réponse est « non », car dans ce contexte, l’interdiction de l’utilisation de la langue1 concerne l’apprenant, tandis que le travail de comparaison des langues est l’affaire des chercheurs. L’AC permettait, d’après eux, de prévoir les difficultés de l’apprentissage, par confrontation des stuctures phonologiques, syntaxiques et lexico-sémantiques. Lado (1957, p.70) affirmait : « en comparant chaque stucture (pattern) dans les deux systèmes linguistiques, nous pouvons découvrir tous les problèmes d’apprentissage ». Ces problèmes d’apprentissage ne sont autres que les transferts négatifs ou interférences, causes d’erreurs indésirables. Le rôle principal de l’AC a donc été de prévoir et d’analyser les interférences, puis d’élaborer des exercices destinés à les « exorcicer ». Besse et Porquier (1984, p.201) affirment à ce sujet : « Lado préconise donc là l’élaboration de descriptions contrastives à finalité pédagogique. Son hypothèse (ce que l’on a appelé l’hpothèse forte de l’analyse contrastive) se réfère de façon plus ou moins explicite, mais néanmoins claire, à une théorie de l’interférence ». Cependant, cette analyse contrastive faite a priori, a souvent conduit à pronostiquer des erreurs qui ne se produisaient pas et à ne pas prévoir des erreurs qui se produisaient réellement. Plus que discipline scientifique, elle s’est avérée comme une méthode empirique. Grant Brown signale que ce que nous savons de l’interférence est une connaissance empirique et qu’elle ne dépend pas des théories, lesquelles s’avèrent incapables de nous expliquer cette interférence. Une autre critique reçue par la théorie de Lado est sa thèse behavioriste selon laquelle le langage est un système d’habitudes comportementales et que « les règles linguistiques devraient résumer (be summaries of) le comportement ». Son application n’est valable pratiquement que dans le domaine phonologique, la morphosyntaxe et la sémantique offrant une plus grande résistance au projet de l’AC ; dernière critique enfin : elle exclut la dimension cognitive du langage. Plus tard, même si les modèles descriptifs génératifs transformationnels ont permis de soulever des questions nouvelles et intéressantes, comme l’utilisation d’une base syntagmatique identique pour la description des deux langues soumises à comparaison, l’AC dans ce paradigme linguistique a subi également la critique d’une réflexion psycholinguistique et psychopédagogique. En effet, les analyses faites au sein de ce paradigme n’avaient aucun rapport avec les structures et processus cognitifs mis en jeu dans l’apprentissage d’une langue. Les tentatives de l’AC des premiers temps ont donc amené les chercheurs postérieurs à s’interroger sur la cause des erreurs, non plus en ce qui concerne les procédures linguistiques de la description comparée, mais aussi et surtout en ce qui touche le domaine de l’acquisition en relation avec une théorie psycholinguistique de l’apprentissage. L’analyse des erreurs considère de nos jours que l’interférence ne se produit pas entre deux langues (la langue- source et la langue cible), mais entre la langue maternelle et l’interlangue (système intermédiaire situé entre la langue-cible et la langue-source, où se meut l’apprenant). Par ailleurs, nombre d’erreurs ne semblent pas pouvoir s’expliquer par l’interférence. Di Pietro (1986, pp. 30-31) en citait déjà d’autres causes comme la capacité de rétention, la méthodologie du professeur, l’ordre de présentation des difficultés grammaticales, la généralisation excessive. Les phénomènes de généralisation analogique sont d’ailleurs comparables à ceux observés dans l’acquisition de la langue maternelle (*vous faisez, *j’ai prendu). Les généralisations « intralinguales » qui se produisent donnent lieu, selon les cas, à des productions correctes ou à des erreurs. R. Porquier et U. Frauenfelder (1980, p.32) constatent que « l’analyse des erreurs a alors pour objectif essentiel non pas d’établir des inventaires typologiques d’erreurs (ni a fortiori des quantifications statistiques des différents cas d’erreurs), mais bien de chercher à en élucider les causes ». C’est la thèse de l’AC actuelle, faite a posteriori et non pas a priori comme à l’époque du structuralisme. Cette recherche des causes est inséparable de la situation d’apprentissage et de la pratique pédagogique : « comprendre les erreurs, c’est d’abord comprendre comment on apprend ». La pédagogie de l’erreur est donc liée à un apprentissage significatif. L’approche communicative qui n’était au départ que fonctionnelle, a dû prendre en charge toute une dimension cognitive dans l’enseignement / apprentissage des langues. En effet, à ses débuts (dans les années 75-80 environ), cette méthodologie s’avérait incompatible avec l’approche conceptualisatrice de l’enseignement des langues ; ce qui prévalait alors était un travail sur des événements de paroles pour répondre à des besoins strictement fonctionnels portant sur des notions générales ou spécifiques. Bernard Py (1990, p.81) remarque le manque de réflexion qui prédominait alors dans cestte perspective : « On a admis que l’élève construisait lui-même par induction, et de manière pour ainsi dire inconsciente, la compétence linguistique dont il avait besoin pour communiquer. De celle-ci, certains didacticiens pensaient ou disaient quelque chose comme : l’intendance suivra ». Toutefois, pendant la période récente, on a assisté à la montée d’une remise en cause de l’approche-notionnelle de première génération. Sans renoncer à une approche communicationnelle, il fallait y intégrer une dimension métalinguistique et cognitive de l’enseignement / apprentissage communicatif d’une langue. Danielle Bailly (1998, p. 326) plaide dans ce sens pour « une approche communicative foncièrement repensée en rapport étroit avec une véritable conceptualisation grammaticale », car elle ajoute plus loin : « la seule communication imitant les échanges verbaux ne pouvaient suffire à assurer un enseignement- apprentissage cumulatif et solide ». La perspective actionnelle insiste également dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les langues sur cet apprentissage significatif et cognitif. Ce bref aperçu sur les problèmes que suscitent particulièrement le traitement de la langue maternelle et celui de la réflexion dans l’apprentissage d’une langue étrangère, à travers l’historique des courants méthodologiques et les thèses de l’AC des premiers temps, nous ouvre alors les deux voies principales de ce présent article, à savoir, la convenance d’une conscientatisation dans l’apprentissage, et d’une approche contrastive rénovée. En ce qui concerne le premier point, nous parlerons des avantages d’une pratique consciente de la langue, des appuis institutionnels uploads/Philosophie/ une-grammaire-contrastive-renovee.pdf
Documents similaires
-
14
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 11, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2525MB