UNITAS, AEQUALITAS, CONEXIO : ALAIN DE LILLE DANS LA TRADITION DES ANALOGIES TR
UNITAS, AEQUALITAS, CONEXIO : ALAIN DE LILLE DANS LA TRADITION DES ANALOGIES TRINIT AIRES ARITHMETIQUES CHRISTIAN TROTTMANN « Dans le Pere I 'unite, dans le Fils l 'egalite, dans I 'Esprit Saint le lien de l'unite et de l'egalite », tel est le titre de la quatrieme des Regles de theolo?i_ie, repris en fait a Augustin, dans son De doctrina christiana, I, 5, 5 . Alain toutefois ne s'etend guere en son commen- taire de la Regle 4 sur ce theme deja present pourtant dans sa Sum- ma "Quoniam homines "2• Il n 'y revient pas dans ses sermons, du moins dans ceux qui sont edites, ni dans ses questions3. Avant de nous interesser plus particulierement au traitement re- serve par Alain de Lille a ces analogies trinitaires dans ses deux principaux ouvrages theologiques4, il convient de nous arreter sur la tradition a laquelle il se rattache ainsi et qui constitue sa source principale en la matiere : celle des commentaires de Thierry de 1 RTh CXXVIII, trad. fr. F. HUDRY, Paris 1995, 104. 2 SQH, 167-68. 3 Cf. TAL et QA!. Ces questions s'en tiennent essentiellement a des considera- tions de philosophie de la nature. 4 Le theme precis n'a pas fait l'objet d'une etude systematique. De la litterature relative a la theologie d'Alain de Lille, nous retenons pour ce qui le conceme, en particulier: M.-D. CHENU, «Un essai de methode theologique au XII 0 siecle », dans Revue des Sciences philosophiques et theologiques 24 (1935), 259-67 ; « Une theologie axiomatique au XII 0 siecle », dans C!teaux 9 (1958), 137-42; G.R. EVANS, Alan of Lille: The Frontiers of Theology in the Later Twelfth Cen- tury, Cambridge 1983 ; « Boethian and Euclidian Axiomatic Method in the The- ology of the Later Twelfth Century », dans Archives international es d 'histoire des sciences 103 (1980), 13-29; «Alan of Lille and the Threshold of Theology», dans AnC 36 (1980), 129-74; J. }OLIVET, « Remarques sur les Regulae Theologi- cae d'Alain de Lille», dans AGJ, 83-99; J. CHATILLON, «La methode theologi- que d'Alain de lille. », dans AGJ, 47-60; M. DREYER, Nikolaus von Amiens: Ars fidei catholicae: Ein Beispielwerk axiomatischer Methode (BGPTMA N.F. 37), Miinster i.W. 1993; More Mathematicorum, Rezeption und Transformation der antiken Gestalt en wissenschafllichen Wis sens im 12. Jahrundert, (BGPTMA 4 7), Miinster i.W. 1996; « Philosophische Methoden im lateinischen Mittelalter », dans Theologie und Philosophie 76 (2001), 397-409. 402 Christian Trottmann Chartres et de ses disciples sur les opuscules de Boece. Enfin, dans un troisieme temps, nous evoquerons la reprise par Nicolas de Cues de cette meme thematique de !'unite, egalite, connexion. Le statut de ces analogies est-il le meme dans ces trois contextes ? Ne varie-t- il pas au sein meme de chacun ? Quelles consequences devons nous en tirer pour celui de la theologie ? I. L'heritage chartrain Les principaux Commentaires de Boece par Thierry de Chartres et son ecole ont ete regroupes en un volume par leur ectiteur5. Si le Commentum aborde la question sans faire reference a la citation d'Augustin, la plupart des autres commentaires en repartent lors- qu'ils en viennent a exposer cette analogie trinitaire. Les Lectiones a cet egard donnent une indication precieuse sur le statut de cette analogie dans le discours theologique : « II y a trois fa<;:ons de parler de la Trinite: entendons selon un mode theologi- que, mathematique et ethique. Et c' est selon le mode mathematique qu'Augustin dit que !'unite reside dans le Pere, l'egalite dans le Fils et la connexion entre !'unite et l'egalite dans !'Esprit Saint6 ». Le Tractatus de sex dierum operibus precise meme que ces raisonne- ments appeles probationes arithmeticae relevent d'un des types de 5 Commentaries on Boethius by Thierry of Chartres and His School, ed. N.M. HARING, Toronto 1971. Sur !es problemes d'attribution de ces textes a Thierry lui-meme OU a ses disciples, voir !'introduction de N.M. Haring. Le Pere L.-J. Bataillon semble aujourd'hui retenir !es Lectiones comme le texte qui a le plus de chance d'etre de Thierry de Chartres. Voir egalement: N.M. HARING, «The Creation and Creator of the World according to Thierry of Chartres and Clarem- baldus of Arras», dans AHDLMA 13 (1955), 137-216. Sur le sujet, voir encore E. JEAUNEAU, « Mathematiques et Trinite chez Thierry de Chartres », dans Die Metaphysik im Mittelalter (Miscellanea Mediaevalia 2), Berlin 1963, 289-95. Sur les sources mathematiques possibles voir notamment DOMINICUS GUNDISSAL YI, De unitate, ed. P. CORRENS (BGPTMA 1.1), Milnster i.W. 1891; C.H. LOHR, « The Pseudo-Aristotelian Liber de causis and Latin Theories of Science in the Twelfth and Thirteenth Centuries », dans Pseudo-Aristotle in the Middle Ages. The Theology and Other Texts, ed. J. KRAYE, W. RYAN and C.B. SCHMITT, Lon- don 1986, 53-62. 6 THEODORICUS CARNOTENSIS, Lectiones VIl.5, ed. N.M. HARING, dans Com- mentaries, 224.42-44 : « Tribus enim modis de Trinitate loquimur: theologice scilicet mathematice et ethice. Et Augustinus quidem mathematice dicit quod in Patre est unitas, in Filio equalitas in spiritu Sancto unitatis equalitatisque co- nexio. » Unitas, aequalitas, conexio 403 preuves parmi les quatre que les mathematiques du quadrivium sont en mesure de produire. 11 developpe ainsi des preuves arithmetiques susceptibles de conduire l 'homme a la connaissance de son Createur en suggerant ~u'il est aussi des preuves musicales, geometriques et astronomiques . C'est bien le meme raisonnement mathematico- metaphysique qui va etre ensuite developpe dans les deux cas. Re- levons pourtant qu'il n'a pas le meme statut dans les deux textes. Dans le passage cite des Lectiones, il est question d'une maniere mathematique de parler de la Trinite. Dans le Tractatus de sex die- rum operibus, ii s'agit d'une preuve arithmetique, sinon de l' existence de Dieu, du moins de la convenance de ses processions trini taires. Or de l'interieur meme des Lectiones surgit une objection : quelqu'un qui aurait l'habitude des raisonnements en physique ou en mathematiques mais non en theologie pourrait s'etonner qu'il y ait trois personnes divines et aucune pluralite dans la divinite8. La reponse est reprise a Boece : ce sont des raisons theologiques qui maintiennent la Trinite des Personnes divines sans pluralite, non des raisons physiques ou math6matiques9. N'est-ce pas en fait parce qu'ils se deploient au niveau metaphysique que ces raisonnements ne relevent pas de pures mathematiques comparables par leurs exi- gences epistemologiques a la physique ? Mais reciproquement leur argumentation theologique tire-t-elle sa difference de la Revelation ou releve-t-elle d'un discours rationnel susceptible de conduire sans elle des creatures au Createur, d'une theologie qui serait done philo- sophique? :E. Jeauneau se plait a le rappeler, dans le contexte platonicien de 7 ID., Tractatus De sex dierum operibus 30, ed. N.M. HARING, dans Commenta- ries, 568.81-83: « Adsint igitur quatuor genera rationum que ducunt hominem ad cognitionem creatoris: scilicet aritmethice probationes et musice et geometrice et astronomice. » 8 ID., Lectiones 11.2, ed. N.M. HARING, 154.10-13 : «Ad hoc posset aliquis di- cere qui esset tantum exercitatus in phisica uel in mathematica tantum ita quod non in theologia - posset inquam dicere: mirum est quod tres persone sint deitatis et in eis nulla sit pluralitas. Hoc posset dicere exercitatus tantum in phisica uel in mathematica. » 9 ID., Ibid., 154.17-21 : «Ad quod Boetius <licit: non est mirum si dico tres per- sonas esse in deitate et tamen nullam pluralitatem ibi esse. Hoc enim dico secun- dum theologicas rationes: non secundum phisicas uel mathematicas. Que theolo- gice sunt rationes secundum considerationem theologie. » 404 Christian Trottmann I' ecole de Chartres : Dans la division tripartite de la philosophie speculative en phy- sique, mathematiques, theologie, les mathematiques occupent une position moyenne. Elles ont un point commun avec la phy- sique puisque les figures qu'elles etudient ont besoin d'un sup- port materiel. Elles ont un point commun avec la theologie puisque leur objet propre est immateriel. Les mathematiques apparaissent done comme un pont jete entre le monde sensible et l'univers intelligible: par-Ia doivent passer ceux qui preten- dent a la connaissance theologique10. Ne nous trompons pas toutefois sur la nature de ce pont : ii n' est pas susceptible de conduire l 'incroyant a une theologie revelee par une raison qui ferait l'economie de la foi. E. Jeauneau lui-meme fort critique a I' egard de P. Duhem rappelait que : « rien ne serait plus faux ... que de voir en Thierry un rationaliste 11 . »II ne s'agit pas non plus de redescendre par ce pont du donne de foi en direction des creatures, mais plutot, connaissant ce donne par Revelation de le rejoindre a partir d'un discours qui se veut mathematique. Nous le voyons d'emblee a la lecture de ces quelques passages, le statut de ce « pont » ne va pas de soi. Est-ii purement mathematique? Sup- pose-t-il la Revelation concemant la Trinite ? Se developpe-t-il en une metaphysique autonome a son egard ? Le terme aristotelicien de metaphysique convient-il d'ailleurs a ces raisonnements platoni- ciens partant des mathematiques et d'une Mnologie a la decouverte de la Trinite ? 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- Publié le Oct 08, 2021
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