Cours 2014: Fondements cognitifs des apprentissages scolaires Stanislas Dehaene

Cours 2014: Fondements cognitifs des apprentissages scolaires Stanislas Dehaene Chaire de Psychologie Cognitive Expérimentale Cours n°5 La mémoire et son optimisation Retour sur le cours 3: Engagement actif et correction des erreurs Réflexions sur la différence entre note et signal d’erreur La théorie de l’apprentissage distingue trois formes d’apprentissage: • Non‐supervisé: le système internalise les régularités des stimuli qu’il reçoit, sans qu’une distinction soit faite entre les entrées et les sorties désirées. • Supervisé : à chaque essai, le système est informé de la réponse qui aurait été correcte. • Par récompense: le système ne reçoit qu’un scalaire (degré de réussite) L’apprentissage supervisé est le plus efficace. L’apprentissage par récompense pose un difficile problème d’attribution (credit‐assignment problem): il est difficile de savoir quel choix (parmi tous ceux effectués) a conduit à l’erreur, surtout si un délai intervient. La note peut être considéré comme un signal de récompense non‐spécifique • Elle résume, sans les distinguer, différents types d’erreurs. Parfois même, elle ne varie pas (zéro!). • Non seulement elle n’est pas spécifique, mais elle est souvent différée. • Elle est profondément injuste lorsqu’elle sanctionne des exercices dont le niveau ne cesse d’augmenter de semaine en semaine. • Ne négligeons pas ses effets sur les systèmes émotionnels (découragement, sentiment d’impuissance, stigmatisation des enfants) Un concept intéressant de l’informatique: l’auto‐évaluation et la notion de critique interne. • Architecture acteur‐critique: L’apprentissage par récompense est grandement facilité si on dote le système d’un « critique interne » qui apprend à évaluer chaque situation. Conclusion: (1) Remplacer les notes par une évaluation précise, différenciée, rapide, et qui ne puisse que progresser avec l’enfant. (2) promouvoir l’auto‐évaluation de l’enfant. Le Père Guido Sarducci Inventeur d’un concept révolutionnaire L’université de cinq minutes! Considérations liminaires : Education et systèmes de mémoire La mémoire peut être définie comme l’ensemble de systèmes de projection des informations dans l’avenir Multiples systèmes de mémoire. « L’objectif de l’apprentissage, dans la vie réelle, doit être de maximiser (a) le niveau futur de la performance, à long‐terme, (b) la capacité de transférer l’apprentissage à des situations nouvelles. » « Les enseignants croient souvent que les facteurs qui maximisent la performance et la vitesse d’apprentissage pendant l’entrainement sont les mêmes qui permettent d’atteindre ces deux objectifs. Or, toute une série d’expériences indique que cette hypothèse est souvent fausse. » Problème 1. Les facteurs qui maximisent la mémoire dans l’instant du cours ne sont pas nécessairement ceux qui maximisent la rétention à long‐terme, ni la compréhension profonde du domaine. Problème 2. Les enseignants comme les élèves se trompent parfois radicalement sur les conditions qui optimisent leur mémoire (métacognition incorrecte ou absente). Schmidt, R. A., & Bjork, R. A. (1992). New Conceptualizations of Practice: Common Principles in Three Paradigms Suggest New Concepts for Training. Psychological Science, 3(4), 207–217. + mémoire de travail L’oubli suit une courbe exponentielle Dès 1885, Ebbinghaus postule que l’oubli suit une loi exponentielle en fonction du temps. Il postule que l’oubli dépend de plusieurs facteurs, dont la force de l’encodage et la profondeur du traitement sémantique. Loftus, G. R. (1985). Evaluating forgetting curves. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 11(2), 397. Forgetting curves from Krueger's (1929) study. Loftus (1985) réanalyse de nombreuses données et montre que l’oubli est (légèrement) plus lent lorsque les faits initiaux ont été sur‐appris. Il semble donc possible de prolonger la mémoire. Retention Interval (s) 0 10 20 30 40 Proportion Recalled 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 High Degree of Learning Low Degree of Learning R(t) = 0.26e-0.129t + 0.56 R(t) = 0.26e-0.129t + 0.39 Phénomène 1: L’effet de la profondeur de traitement des stimuli Craik, F. I., & Tulving, E. (1975). Depth of processing and the retention of words in episodic memory. Journal of Experimental Psychology: General, 104(3), 268. Roediger 3rd, H. L. (2007). Relativity of remembering: why the laws of memory vanished. Annual Review of Psychology, 59, 225–254. Craik et Tulving (1975) demandent à des étudiants différents jugements sur les mêmes 60 mots: ‐ Casse: est‐il imprimé en majuscules? ‐ Rime: rime‐t‐il avec « chaise »? ‐ Catégorie sémantique : est‐ce un nom d’animal? Ces instructions ont un effet considérable sur un test inopiné de reconnaissance en mémoire. Nuances importantes: ‐ L’effet affecte la reconnaissance explicite, mais d’autres mesures de mémoire perceptive implicite (amorçage en dénomination) ne sont pas affectées. ‐ l’effet affecte les mots mais pas nécessairement les images ‐ L’effet dépendrait de la congruence entre les représentations sollicitées par l’entraînement et par le test. Faire l’effort de comprendre facilite la mémorisation Auble, P. M., & Franks, J. J. The effects of effort toward comprehension on recall. Memory & Cognition, 1978,6,20‐25. Auble, P. M., Franks, J. J., Soraci, S. A., Soraci, S. A., & Soraci, S. A. (1979). Effort toward comprehension: Elaboration or “aha”? Memory & Cognition, 7(6), 426–434. Zaromb, F. M., Karpicke, J. D., & Roediger, H. L. (2010). Comprehension as a basis for metacognitive judgments: effects of effort after meaning on recall and metacognition. J Exp Psychol Learn Mem Cogn, 36(2), 552–7. « Rendre les conditions d’apprentissage plus difficiles, ce qui oblige les étudiants à un surcroît d’engagement et d’effort cognitif, conduit souvent à une meilleure rétention. » « Par exemple, poser des questions difficiles pendant un exposé, et laisser les étudiants y réfléchir longuement avant de leur donner la réponse, devrait faciliter l’apprentissage et la rétention. » Mémoire de phrases telles que « Le garçon renversa son pop‐corn parce que la cage se brisa ». Indice : lion La mémoire des phrases est meilleure lorsque les sujets cherchent eux‐mêmes la solution. Les étudiants ne sont pas conscients de cet effet: ils ne savent pas prédire convenablement quelles phrases seront les mieux retenues. Phénomène 2: L’effet des tests de mémoire (retrieval practise) : Se tester régulièrement maximise la performance à long terme Roediger, H. L., & Karpicke, J. D. (2006). Test‐enhanced learning: taking memory tests improves long‐term retention. Psychological Science, 17(3), 249–255. William James (1890): « Une étrange particularité de notre mémoire est que les faits s’y impriment mieux par une répétition active que passive. J’entends par là que pendant un apprentissage (par cœur, par exemple), lorsque nous parvenons presque à retenir quelque chose, il vaut mieux attendre et faire l’effort d’essayer de se souvenir, plutôt que de se précipiter sur un livre. Si nous nous entraînons à récupérer les mots de cette manière, nous les saurons probablement la prochaine fois; sinon, nous aurons très probablement besoin d’aller à nouveau regarder dans un livre. » Carrier, M., & Pashler, H. (1992). The influence of retrieval on retention. Memory & Cognition, 20(6), 633–642. Esquimau Anglais 0 sec 6 sec Etude pure et simple: Esquimau Anglais 0 sec 4 sec 6 sec Test et étude: Effectivement, tester sa mémoire la rend plus forte: Carrier et Pashler font l’hypothèse que l’effet est maximal lorsque (1) les faits commencent à être connus [mais deviner ne fait pas de mal]; (2) on reçoit un feedback [pas forcément dans l’instant]. Phénomène 3: L’effet de la répartition de l’apprentissage à travers le temps (distributed practise) L’apprentissage est « distribué » (spaced) lorsqu’on répète un item après un certain délai (interstimulus interval, ISI). Celui‐ci peut être vide ou peut comprendre d’autres essais. L’apprentissage est dit « groupé » (massed) lorsqu’on présent un seul et même item sans interruption temporelle. Observation expérimentale: Dans de très nombreuses études, l’apprentissage distribué facilite la rétention en mémoire. C’est particulièrement dans le cas de la mémoire verbale (apprentissage de phrases, de mots étrangers, etc). L’effet semble moindre pour l’apprentissage moteur ou dans les domaines « conceptuels » (mathématiques). Certaines études sont faussées: ‐ Dans beaucoup d’expériences, l’apprentissage dans la phase 2 n’est pas d’une durée constante. Beaucoup d’études exigent un réapprentissage jusqu’à atteindre un critère de réussite fixe. Dans ce cas, plus l’intervalle est grand, plus le réapprentissage est intense, ce qui constitue un artefact expérimental majeur. ‐ L’effet de la durée de rétention en mémoire n’est pas pris en compte. L’effet de répartition de l’apprentissage reste vrai quand ces problèmes sont corrigés. Cepeda, N. J., Pashler, H., Vul, E., Wixted, J. T., & Rohrer, D. (2006). Distributed practice in verbal recall tasks: A review and quantitative synthesis. Psychological Bulletin, 132(3), 354–380. La répartition de l’apprentissage à travers le temps (distributed practise) facilite la rétention en mémoire Problème mathématique: Calculer le nombre de permutations différentes d’une chaîne de lettres avec au moins une lettre répétée (par exemple aabbccc) 216 étudiants de l’université de Floride. Dans l’expérience 1, l’enseignement est soit donné en bloc (10 problèmes) soit en deux fois espacées d’une semaine (5+5 problèmes) Effet important de l’espacement: après 4 semaines, le taux de réussite est double chez les étudiants qui ont bénéficié de deux séances espacées. (Expérience 2: pas d’effet du nombre de problèmes présentés au cours d’une session [overlearning].) Rohrer, D., & Taylor, K. (2006). The effects of overlearning and distributed practise on the retention of mathematics knowledge. Applied Cognitive Psychology, 20(9), 1209–1224. Les auteurs spéculent que l’espacement des problèmes pourrait créer une « difficulté désirable », en évitant la simple répétition uploads/Philosophie/ upl6651266307963835382-cours-5-fondements-cognitifs-des-apprentissages-scolaires.pdf

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