Document généré le 19 avr. 2018 08:51 Tangence L’art comme expérience et la pra
Document généré le 19 avr. 2018 08:51 Tangence L’art comme expérience et la pragmatique du spectateur, entre performance et philosophie Aline Wiame Engagement du spectateur et théâtre contemporain Numéro 108, 2015 URI : id.erudit.org/iderudit/1036452ar DOI : 10.7202/1036452ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Tangence ISSN 0226-9554 (imprimé) 1710-0305 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Wiame, A. (2015). L’art comme expérience et la pragmatique du spectateur, entre performance et philosophie. Tangence, (108), 13–27. doi:10.7202/1036452ar Résumé de l'article En prenant pour point de départ les thèses développées par Jacques Rancière dans Le spectateur émancipé, cet article se demande à quelles conditions la philosophie pourrait jouer un rôle constructif dans l’étude de l’engagement du spectateur. L’article propose de se tourner vers la philosophie pragmatique de John Dewey telle qu’elle est exposée dans L’art comme expérience : pensée comme transformation des énergies corporelles, l’expérience esthétique définie par Dewey est somatique, rythmique et relationnelle, permettant le dépassement des oppositions acteur/spectateur, activité/ passivité. La théorie esthétique tout entière de Dewey fait une large part à l’expérience du spectateur en tant qu’elle est créative. En explorant les influences qu’a eues L’art comme expérience sur le développement des arts américains et dans l’esthétique pragmatique selon Richard Shusterman, l’article met en évidence la part performative constitutive de l’expérience esthétique. En concevant le spectateur comme partie prenante d’une performance, le pragmatisme pousse à revisiter du même mouvement le rôle et la fonction de la philosophie : aux prises avec la question de l’engagement du spectateur, la philosophie peut alors être envisagée dans ses propres dimensions performatives, selon une approche telle que celle du réseau de chercheurs récemment créé « Performance Philosophy ». Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Tangence, 2015 La question de l’engagement du spectateur n’est pas aisée à trai- ter selon un point de vue philosophique, particulièrement si l’on se tourne vers les figures historiques de l’esthétique telles que Kant ou Hegel, ou encore vers les diverses versions de l’esthétique du sublime. Dans cet article, je me propose d’envisager les éléments qu’un autre courant philosophique, celui du pragmatisme, peut apporter aux théories sur le spectateur et sur ses pratiques. Le courant pragmatiste en philosophie n’a pas porté grand intérêt à la discipline esthétique en tant que telle, à l’exception notable du livre L’art comme expé- rience de John Dewey 1 — qui sera au centre de ma réflexion. Or, le pragmatisme constitue une approche particulièrement efficace pour penser en quoi le spectateur est engagé par ce qu’il regarde, et qui le regarde en retour. En effet, en mettant l’accent sur l’unité de l’expé- rience plutôt que sur ses constituants atomisés par la réflexion, le pragmatisme brouille sérieusement les frontières entre le spectacle et son spectateur et entre les objets artistiques et les processus qui les instituent. Plus encore, j’aimerais montrer qu’un tel brouillage des 1. John Dewey, L’art comme expérience [1934], trad. de Jean-Pierre Cometti, Christophe Domino, Fabienne Gaspari, Catherine Mari, Nancy Murzilli, Claude Pichevin, Jean Piwinica et Gilles A. Tiberghien, présentation de Richard Shusterman, postface de Stewart Buettner, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2005. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle AE, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte. L’art comme expérience et la pragmatique du spectateur, entre performance et philosophie Aline Wiame Penn State University/Université Libre de Bruxelles no 108, 2015, p. 13-27. 14 Tangence frontières se répercute sur les séparations entre disciplines : en nous invitant à concevoir les actes somatiques, affectifs et intellectuels du spectateur en tant que performance constructrice de sens, l’ap- proche pragmatiste incite à un rapprochement entre les arts vivants, leur étude et la philosophie. Les obstacles conceptuels à l’émancipation du spectateur Approcher le spectateur par la pensée philosophique n’est pas aisé ; le pragmatisme de Dewey n’est pas, loin s’en faut, le paradigme dominant dans l’esthétique contemporaine. En effet, dans le traite- ment de l’engagement du spectateur, la philosophie contemporaine brille moins par ses apports que par ses manques. Elle semble rela- tivement dépourvue des outils qui lui permettraient de jouer le rôle d’un opérateur constructif ou à tout le moins critique dans l’étude des pratiques spectatorielles du théâtre contemporain. J’en prendrai pour preuve un seul exemple, particulièrement significatif. Quand est sorti Le spectateur émancipé 2 de Jacques Rancière, en 2008, les réactions — positives ou négatives — ont été vives dans le milieu théâtral. Théoriciens comme praticiens du théâtre (y compris les cadres culturels) étaient au moins concernés par la question de savoir si les dispositifs théâtraux qu’ils promouvaient laissaient une marge de manœuvre potentiellement émancipatrice à leurs spectateurs. Dans le milieu philosophique, en revanche, l’ou- vrage n’a pas suscité tant de questionnements. Il a été, au mieux, reçu comme un approfondissement des thèses esthétiques de Rancière et, au pire, comme une simple illustration ou application de la théorie politique qu’il avait développée antérieurement 3. Il prête lui-même le flanc à la critique lorsque, à l’entame du premier texte du recueil, 2. Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008. 3. Un bref coup d’œil aux recensions consacrées au Spectateur émancipé suffit à se rendre compte du peu d’impact que le livre a connu dans les milieux philo- sophiques : ce sont principalement les revues de critique de la culture ou celles directement consacrées aux arts du spectacle qui en ont rendu compte. Voir, entre autres, Jérôme Game, « Critique de la critique du “spectacle” . Entretien avec Jacques Rancière », Revue internationale des livres et des idées, no 12, juillet 2009, p. 46-59 ; Dave Beech, « Encountering Arts », Art Monthly, mai 2010, p. 9-11 ; Benedict Stork, « Dis-identifying Spectatorship », Cultural Critique, vol. 79, automne 2011, p. 155-161 ; John Armitage, « The Emancipated Spectator », The Times Higher Education Supplement, no 1945, avril 2010, p. 50-51 ; Frank P. Tomasulo, « The Emancipated Spectator », The Projector : A Journal on Film, Media and Culture, automne 2012, p. 95-98. Aline Wiame 15 il explique que son livre a pour origine une demande qui lui avait été faite d’introduire la cinquième Internationale Sommer Akademie de Francfort, le 20 août 2004, à partir des idées qu’il avait développées dans Le maître ignorant 4. Malgré tout, le simple fait que le livre soit considéré par les philosophes comme une variation sur le thème — supposément déjà bien connu — du postulat de l’égalité radicale 5 pose question : pourquoi l’interrogation de l’émancipation serait- elle plus philosophiquement valable et novatrice quand il s’agit de la figure du prolétaire (La nuit des prolétaires, 1981) ou du rapport éducatif (Le maître ignorant, 1987) que quand il s’agit de celle du spectateur ? Rancière répond en bonne partie à la question quand il montre, toujours dans Le spectateur émancipé, que la figure du spec- tateur est grevée, depuis Platon et Aristote, d’une double suspicion portant sur sa passivité et son ignorance quant à ce qui lui est mon- tré. Mais il faudrait ajouter, à cette suspicion antique, l’incapacité de la philosophie moderne à penser un spectateur actif et partie pre- nante de l’expérience esthétique qu’il vit. Prenons le cas des théories esthétiques kantienne et postkantiennes. En convoquant, depuis la Critique de la faculté de juger, un spectateur « désintéressé », qui ne poursuit aucune fin cognitive, ne cherchant ni l’agréable ni l’utile, qui se contente de laisser advenir en lui le « libre jeu 6 » de l’imagina- tion et de l’entendement, l’expérience esthétique « à la kantienne » ne nous rend pas seulement désintéressés, mais aussi désengagés de l’univers intime, social et politique qui fait la toile de nos expériences « ordinaires ». Évidemment, la pluralité des théories esthétiques postkantiennes ainsi que les critiques et reformulations multiples de cette esthétique au cours des deux derniers siècles ne permettent pas de la juger de manière monolithique. Cependant, les fondations kantiennes de l’esthétique occidentale ne peuvent que dégager un 4. Voir Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, ouvr. cité, p. 7. 5. Développé par Rancière depuis les années 1980, et toujours à l’œuvre dans Le spectateur émancipé, le postulat de l’égalité radicale des intelligences refuse de penser les relations pédagogiques, politiques ou culturelles en termes de diffé- rence et de séparation entre « l’ignorant » et son « éducateur ». Il faudrait plutôt penser une égalité des capacités intellectuelles où nous échangeons constam- ment ce que nous ne savons pas et ce que nous savons pour construire notre propre émancipation, qui ne serait pas dictée par qui prendrait la posture de « celui qui sait et qui va nous expliquer ». Voir, par exemple, Jacques Rancière, uploads/Philosophie/ wiame-2015.pdf
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- Publié le Jui 13, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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