Université de Montréal La connaissance des notions premières selon Avicenne, Th

Université de Montréal La connaissance des notions premières selon Avicenne, Thomas d’Aquin et Jean Duns Scot Par Marc-Antoine Plouffe Département de philosophie, faculté des arts et sciences Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de maître en philosophie Septembre 2020 © Marc-Antoine Plouffe, 2020 2 Université de Montréal Département de philosophie, faculté des arts et sciences Ce mémoire intitulé La connaissance des notions premières selon Avicenne, Thomas d’Aquin et Jean Duns Scot Présenté par Marc-Antoine Plouffe A été évalué par un jury composé des personnes suivantes Louis-André Dorion Président-rapporteur David Piché Directeur de recherche Laetitia Monteils-Laeng Membre du jury 3 Résumé. Ce travail examine et analyse les positions d’Avicenne, Thomas d’Aquin et Duns Scot concernant la connaissance des notions premières, à la lumière de leurs arguments pour cette position et de leurs autres engagements théoriques, en particulier aristotéliciens. Chacun à sa façon, ces philosophes affirment que l’étant ou l’existant est ce premier concept. Ils lui donnent une primauté logique, au sens où l’étant est présupposé par nos autres concepts. Ils lui donnent aussi une primauté cognitive, au sens où il est le premier objet à être conçu par l’intellect. Mots-clés. Notions premières. Avicenne. Thomas d’Aquin. Jean Duns Scot. Étant. Connaissance. Intellection. Summary. This work reviews and analyzes a view shared by Avicenna, Thomas Aquinas, and John Duns Scotus concerning the primary notions, examining their arguments in the light of their other philosophical commitments, especially Aristotelian ones. Each in their own way, these philosophers claim that being is this primary notion. Being has a twofold priority. In the logical order, being is presupposed by all other notions. In the cognitive order, being is the first conceived by the intellect. Keywords. Primary notions. Avicenna. Thomas Aquinas. John Duns Scotus. Being. Knowledge. Intellection. TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION_____________________________________________________ 1 CHAPITRE 1 - AVICENNE______________________________________________ 5 INTRODUCTION_________________________________________________ 5 1.1 Métaphysique du Shifa_________________________________________ 7 1.2 La noétique d’Avicenne_________________________________________14 1.2.1. L’intellect agent_______________________________________ 17 1.2.2. L’âme humaine_______________________________________ 21 1.2.3. Thèse émanatiste de la cognition__________________________ 24 1.2.4. Thèse abstractionniste__________________________________ 28 1.3. L’intellection des notions premières_______________________________35 CONCLUSION__________________________________________________ 39 CHAPITRE 2 – THOMAS D’AQUIN_______________________________________ 41 INTRODUCTION________________________________________________ 41 2.1. L’argument du De Veritate______________________________________44 2.2. Le sens de ens comme premier connu____________________________ 46 2.2.1. Le concept le plus commun______________________________ 46 2.2.2. L’ens comme premier connu est un tout confus_______________47 2.2.3. Ens est ce qui est______________________________________49 2.3. La priorité logique d’ens________________________________________50 2.3.1. Opérations de l’intellect_________________________________ 50 2.2.3. La résolution__________________________________________52 2.3.3. Additions à ens________________________________________53 2.3.4. Le premier transcendantal_______________________________ 55 2.4. La priorité psychologique d’ens__________________________________ 57 2 2.4.1. L’empirisme__________________________________________ 57 2.4.2. La cognition est une dématérialisation______________________59 2.4.3. L’intellect____________________________________________ 62 2.4.4. L’intellection d’ens_____________________________________ 67 CONCLUSION__________________________________________________ 70 CHAPITRE 3 – JEAN DUNS SCOT_______________________________________ 73 INTRODUCTION_________________________________________________73 3.1. Concept d’étant et connaissance abstractive________________________74 3.1.1. Du concept d’étant_____________________________________ 74 3.1.2. La connaissance de l’étant est abstractive___________________77 3.2. La primauté cognitive de l’étant__________________________________78 3.2.1. La primauté de perfection________________________________79 3.2.2. La double primauté d’adéquation__________________________79 3.2.3. La primauté d’origine – distinctions________________________ 81 3.2.4. La primauté d’origine – démonstration______________________84 3.3. De la sensation à l’intellection___________________________________ 91 3.4. Ontologie de l’acte d’intellection__________________________________93 3.4.1. L’acte est une qualité___________________________________ 93 3.4.2. Nécessité du phantasme________________________________ 93 3.4.3. Relations entre l’acte d’intellection et l’objet connu____________ 94 CONCLUSION__________________________________________________ 96 CONCLUSION________________________________________________________99 BIBLIOGRAPHIE_____________________________________________________100 INTRODUCTION Ce mémoire de maitrise porte sur la connaissance des notions premières chez Avicenne (Ibn Sina), Saint Thomas d’Aquin, et Jean Duns Scot. Comme le sujet le laisse présager, chacun de ces philosophes défendent une thèse selon laquelle il y a des notions ou des concepts qui sont premiers ou primaires. Quelles sont ces notions? Avicenne est ambigu et en identifie plusieurs; on verra cependant qu’il est raisonnable de l’interpréter comme affirmant que l’existant est premier. Pour Thomas et Scot, il s’agit de l’étant. Tous ces auteurs ont donc ce point commun que l’être est au cœur de leur théorie. En quels sens ces notions sont-elles premières? Cela varie dans les détails selon les auteurs, mais chacun semble lui accorder à la fois une primauté logique et une primauté cognitive ou psychologique. Logique, en ce sens qu’il inclut par son extension et son intension tous les autres concepts; cognitives, en ce sens qu’il est d’une certaine manière le premier connu ou intelligé. Comme ces philosophes s’inscrivent dans une tradition aristotélicienne (quoiqu’Avicenne effectue un travail de synthèse avec les courants néo- platoniciens), les problèmes s’imposent : dans une épistémologie aux orientations réalistes et empiristes, comment la notion la plus universelle peut-elle être la première connue? Et comment acquiert-on ce concept? Voilà la portée de ce travail. Quelles sont les limites d’une telle recherche? La thèse selon laquelle l’être est le premier connu implique nécessairement de jeter un regard sur la métaphysique, la logique, 2 l’épistémologie et la psychologie de ces auteurs. S’ajoute à cette difficulté le choix d’examiner trois auteurs. Il s’ensuit nécessairement que le travail doit être très circonscrit à cette thèse en particulier, et n’incorporer que les éléments des théories métaphysiques, épistémologiques, logiques et psychologiques de ces auteurs qui soient nécessaires à expliquer en quoi l’être est le premier connu. Il s’agit donc, par obligation, d’un survol incomplet de la pensée de chaque auteur. Par ailleurs, une autre difficulté se trouve, cette fois-ci, de mon côté; à savoir que je ne maîtrise pas les langues dans lesquelles les sources primaires ont été composées. Je ne déchiffre rien de l’arabe classique, et mon latin est, tout au mieux, rudimentaire. Je me fie donc humblement aux traductions et aux interprétations d’autrui. La méthode de recherche sera dès lors adaptée à la portée et aux limites mentionnées. Il y a peu de place pour inscrire les auteurs dans un contexte historique riche et examiner leurs liens profonds avec la tradition philosophique. Pourtant ces liens sont bien réels et nécessitent leur propre travail d’élucidation. Il n’y a pas lieu non plus d’offrir des interprétations qui dépendent de la chronologie des œuvres pour supposer une évolution dans la pensée de l’auteur qui résoudrait des contradictions apparentes. Cette méthode est pourtant tout à fait adéquate en soi. Pour les mêmes raisons, peu de liens et de comparaisons seront faits entre les pensées de ces philosophes, outre quelques commentaires dans la conclusion. 3 La méthode priorisée sera plutôt proprement analytique et centrée sur les sources primaires, augmentées d’exégètes pertinents. Les arguments de ces philosophes seront analysés à la lumière de leurs autres engagements philosophiques, de manière à faire ressortir un portrait de la thèse cohérent avec leur pensée générale, et leurs écrits particuliers. Dans le premier chapitre, nous examinerons la thèse d’Avicenne. Les difficultés s’imposent du fait que cet auteur ne fait qu’allusion à la thèse une fois, et en fournit un argument plutôt court. Il y a un important travail de reconstruction à faire à partir de ses autres engagements philosophiques, travail compliqué par des débats interprétatifs sur un point central de son épistémologie, la thèse apparente que les concepts ou les formes intelligibles sont imprimées dans notre intellect par un Intellect Agent séparé. Le second chapitre concerne Saint Thomas d’Aquin. Pour cet auteur, les sources abondent, et Thomas affirme avec constance que l’étant est l’objet premier de l’intellect. Il présente des arguments explicitant la primauté logique de l’étant. Toutefois, il est plus difficile de discerner ses arguments concernant la primauté psychologique. C’est pourquoi un travail d’analyse de sa théorie de la cognition, et une certaine part de spéculation, seront nécessaires. Le dernier chapitre portera sur Jean Duns Scot. Scot présente un argument très détaillé sur la position, lui dédiant un article dans l’Ordinatio. Son souci de traiter la question 4 directement facilite la tâche, et rend ce chapitre un peu plus court. La nature de la philosophie de Scot, cependant, qui multiplie et complique les distinctions, est à double tranchant. Une attention particulière doit être portée à décortiquer l’argument pour bien le comprendre, car sa position sur l’acquisition des concepts, on le verra, est inusitée. CHAPITRE 1 AVICENNE INTRODUCTION « We say: The ideas of “the existent,” “the thing,” and “the necessary” are impressed in the soul in a primary way. This impression does not require better known things to bring it about.”1 Ainsi débute le cinquième chapitre du premier livre de la Métaphysique du Shifā' d’Avicenne, dans lequel le philosophe perse expose sa doctrine des notions primaires, qui eut un effet retentissant sur l’histoire de la philosophie au Moyen Âge. Cette doctrine affirme que nous possédons certains concepts logiquement et épistémologiquement primaires, les concepts les plus généraux ou communs, que tous nos autres concepts présupposent. Je propose dans ce chapitre d’examiner les arguments qui appuient cette thèse, et sa place dans le système avicennien. Ce projet rencontre plusieurs difficultés. En premier lieu, je ne maîtrise pas l’arabe classique; mon travail est donc dépendant des interprétations d’autrui, en particulier la traduction anglaise du Shifā' réalisée par Marmura. En second lieu, il semble y avoir un développement doctrinal concernant la question de l’abstraction des concepts durant la longue carrière d’Avicenne, de sorte que les opinions du De Anima ne sont pas identiques à celles des Directives et remarques, par exemple.2 Une compréhension du processus 1 Shifā', trad. Marmura. « Ideas » traduit maᶜānī, pluriel de uploads/Philosophie/la-connaissance-des-notions-premieres-selon-avicenne-thomas-d-x27-aquin-et-jean-duns-scot.pdf

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