FOUCAULT ET L'IDÉE D'UNE HISTOIRE DE LA SUBJECTIVITÉ : LE MOMENT MODERNE Yves C
FOUCAULT ET L'IDÉE D'UNE HISTOIRE DE LA SUBJECTIVITÉ : LE MOMENT MODERNE Yves Charles Zarka Centre Sèvres | « Archives de Philosophie » 2002/2 Tome 65 | pages 255 à 267 ISSN 0003-9632 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2002-2-page-255.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres. © Centre Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - EHESS - - 77.151.48.15 - 20/06/2019 12h33. © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - EHESS - - 77.151.48.15 - 20/06/2019 12h33. © Centre Sèvres Foucault et l’idée d’une histoire de la subjectivité : le moment moderne YVES CHARLES ZARKA CNRS Paris En janvier 1984, quelques mois avant sa mort, Foucault donnait 1 une lecture rétrospective de son œuvre dans laquelle il déclarait que le rapport entre subjectivité et vérité « fut toujours mon problème, même si j’ai formulé d’une façon un peu différente le cadre de cette réflexion. J’ai cherché à savoir comment le sujet humain entrait dans des jeux de vérité, que ce soit des jeux de vérité qui ont la forme d’une science ou qui se réfèrent à un modèle scientifique, ou des jeux de vérité comme ceux qu’on peut trouver dans des institutions ou des pratiques de contrôle. C’est le thème de mon travail dans Les Mots et les choses, où j’ai essayé de voir comment, dans des discours scientifiques, le sujet humain va se définir comme individu parlant, vivant, travaillant. C’est dans les cours au Collège de France que j’ai dégagé cette problématique dans sa généralité » 2. Ainsi Foucault, relisant lui-même son œuvre à partir de son cours au Collège de France de 1981-1982, sur l’herméneutique du sujet, déclare qu’il n’a jamais eu d’autre projet que de définir les versions multiples du rapport entre le sujet humain et les jeux de vérité, c’est-à-dire les figures de la formation du sujet conformément à un ensemble de règles de production de la vérité : « Le problème des rapports entre le sujet et les jeux de vérité, je l’avais envisagé jusque-là à partir soit des pratiques coercitives ¢ comme dans le cas de la psychiatrie et du système pénitentiaire ¢, soit dans des formes de jeux théoriques ou scientifiques ¢ comme l’analyse des richesses, du langage et de l’être vivant. Or, dans mes cours au Collège de France, j’ai essayé de le saisir à travers ce que l’on peut appeler une pratique de soi, qui est, je crois, un 1. Dans le cadre d’un entretien avec H. Becker, R. Fornet-Betancourt et A. Gomez-Müller, le 20 janvier 1984, sur le thème « L’éthique du souci de soi comme pratique de la liberté ». Cet entretien a été d’abord publié dans la revue Concordia, no 6, juillet-décembre 1984, p. 99-116, puis dans Dits et écrits (=DE), vol. 4, Paris, Gallimard, 1994, p. 708 sq. 2. Ibid., p. 708-709. Document téléchargé depuis www.cairn.info - EHESS - - 77.151.48.15 - 20/06/2019 12h33. © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - EHESS - - 77.151.48.15 - 20/06/2019 12h33. © Centre Sèvres phénomène assez important dans nos sociétés depuis l’époque gréco-romaine ¢ même s’il n’est pas très étudié » 3. Autrement dit, l’ensemble de sa pensée devrait, selon ses propres ter- mes, être relu comme une philosophie de la subjectivité. A son interlocuteur qui s’inquiète d’un éventuel effacement, dans cette nouvelle philosophie de la subjectivité, de la problématique du sujet passif ou, plus exactement, du sujet assujetti développée dans les textes qui portent sur les relations de pouvoir, effacement qui serait la contrepartie du primat nouveau accordé au sujet actif se construisant lui-même dans le souci de soi, à partir des cours sur l’herméneutique du sujet, Foucault semble lui-même, dans sa réponse, accepter l’effacement de cette différence en faisant du « sujet passif », par exemple le sujet fou, une modalité particulière de l’auto-constitution du sujet en fonction de règles particulières de production de la vérité du discours psychiatrique : « S’il est vrai, par exemple, que la constitution du sujet fou peut être en effet considérée comme la conséquence d’un système de coercition ¢ c’est le sujet passif ¢ vous savez très bien que le sujet fou n’est pas un sujet non libre et que, précisément, le malade mental se constitue comme sujet fou par rapport et en face de celui qui le déclare fou. L’hystérie qui a été si importante dans l’histoire de la psychiatrie et dans le monde asilaire du e siècle, me paraît être l’illustration même de la manière dont le sujet se constitue en sujet fou » 4. Prenant la pleine mesure de ces positions théoriques qui seront les dernières, Foucault interprète en fonction du couple sujet/vérité un autre couple de concepts qui avait dominé à un autre moment sa pensée : pouvoir/savoir. Le dernier couple de concepts était central autour du milieu des années 70, lorsque Foucault écrivait le premier tome de son histoire de la sexualité, La volonté de savoir (1976), et lorsqu’il prononçait son cours au Collège de France sur « Il faut défendre la société » (1976). Les questions majeures de l’Histoire de la sexualité étaient en effet à l’époque les suivan- tes : « Pourquoi a-t-on parlé de la sexualité, qu’en a-t-on dit ? Quels étaient les effets de pouvoir induits par ce qu’on en disait ? Quels liens entre ces discours, ces effets de pouvoir et les plaisirs qui se trouvaient investis par eux ? Quel savoir se formait à partir de là ? Bref, il s’agit de déterminer, dans son fonctionnement et dans ses raisons d’être, le régime de pouvoir- savoir-plaisir qui soutient chez nous le discours sur la sexualité humaine » 5. Or voici la manière dont Foucault réinterprète le rapport pouvoir/savoir en fonction du rapport sujet/vérité en 1984, dans l’entretien indiqué ci-dessus : 3. Ibid., p. 709. 4. Ibid., p. 719, souligné par moi. 5. La V olonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 19. LE MOMENT MODERNE 256 Document téléchargé depuis www.cairn.info - EHESS - - 77.151.48.15 - 20/06/2019 12h33. © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - EHESS - - 77.151.48.15 - 20/06/2019 12h33. © Centre Sèvres « Mon problème a toujours été, comme je le disais en commençant, celui des rapports entre sujet et vérité : comment le sujet entre dans un certain jeu de vérité [...] C’est ainsi que j’ai été amené à poser le problème savoir/pouvoir qui est pour moi non pas le problème fondamental mais un instrument permettant d’analyser de la façon qui semble la plus exacte le problème des rapports entre sujet et jeux de vérité » 6. Il en ressort que la subjectivité fournirait le principe d’une lecture de toute l’œuvre qui serait donc une philosophie de la subjectivité, dont le contenu précis reste à déterminer. Il faut bien reconnaître que cette affirma- tion aurait semblé bien incongrue au lecteur de l’Histoire de la folie ou de Surveiller et punir aussi bien qu’à celui des Mots et des choses ou de l’Archéologie du savoir. Comment, en effet, reconnaître une pensée de la subjectivité dans l’analyse des procédures sociales, institutionnelles et des politiques d’assujettissement, de coercition et de dressage qui affectent les pratiques psychiatriques et pénitentiaires, ou dans une analyse des savoirs qui fait exploser l’idée d’un auteur dans la redistribution spatiale des énon- cés du savoir, ou dans la reprise explicite du thème de la mort de l’homme ? Mais plutôt que de rester sur une note critique qui verrait en Foucault un lecteur partial de sa propre œuvre, je préfère prendre acte de cette relecture et accepter au moins à titre d’hypothèse provisoire la réinterprétation qu’elle produit, à partir du cours sur l’herméneutique du sujet, pour essayer d’en mesurer la validité. En effet, la relecture que Foucault donne de son œuvre correspond également à un élargissement de ses premières perspectives historiques. L’Histoire de la folie et les œuvres postérieures concernant les temps modernes étaient pensées à partir d’une rupture se situant au e siècle, qu’il s’agisse du grand enfermement ou de l’émergence d’une épis- témè de la représentation. En traitant de la subjectivité dans son rapport à la vérité, Foucault élargit considérablement sa perspective puisque son histoire de la subjectivité part désormais de l’antiquité gréco-romaine pour parvenir jusqu’à un certain nombre de considérations sur l’époque contemporaine. La question qui se pose est donc de savoir si l’élargissement de la perspective ainsi réalisé (un élargissement de perspective avait été également effectué dans d’autres cours du Collège de France sur la bio-politique) permet d’entendre uploads/Philosophie/ y-c-zarka-2002-fouculat-et-l-x27-histoire-de-la-subjectivite.pdf
Documents similaires
-
14
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 23, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.5962MB