MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHER

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE ANNALES ISLAMOLOGIQUES © Institut français d’archéologie orientale - Le Caire en ligne en ligne en ligne en ligne en ligne en ligne en ligne en ligne en ligne en ligne AnIsl 46 (2012), p. 387-408 Nadjet Zouggar La prophétologie d’Averroès dans le Kašf ʿan manāhiǧ al-adilla Conditions d’utilisation L’utilisation du contenu de ce site est limitée à un usage personnel et non commercial. Toute autre utilisation du site et de son contenu est soumise à une autorisation préalable de l’éditeur (contact AT ifao.egnet.net). Le copyright est conservé par l’éditeur (Ifao). Conditions of Use You may use content in this website only for your personal, noncommercial use. Any further use of this website and its content is forbidden, unless you have obtained prior permission from the publisher (contact AT ifao.egnet.net). The copyright is retained by the publisher (Ifao). 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Dans cette justification, les sources scripturaires d’autorité que constituent le Coran et les ḥadīṯ attribués au prophète et à ses compagnons comportent un argument principal : le miracle. Adossés au postulat d’un Dieu bienveillant qui ne peut laisser ses créatures sans la guidance d’un prophète vertueux, des arguments rationnels vont toutefois être élaborés par les écoles rationalistes. Au sein de l’ašʿarisme, ce sont des théologiens tardifs tels Ġazālī (m. 505/1111) et Faḫr al-Dīn al-Rāzī (m. 606/1210) qui tenteront d’élaborer une argumentation plus ­ démonstrative. Mais cette argumentation ne pourra faire l’économie d’intégrer les miracles à la somme des preuves de la véracité des hommes qui se sont déclarés prophètes. Le texte que nous allons étudier est une dissertation extraite du Kitāb al-Kašf ʿan manāhiǧ al-adilla fī ʿaqā’id al-milla (Dévoilement des méthodes de démonstration des dogmes de la religion) 1 d’Averroès (m. 595/1198) qui prolonge la discussion théologique au sujet de l’établissement du fait prophétique. L’objectif annoncé dans cette dissertation est de réfuter la méthode élaborée par des théologiens ašʿarites pour démontrer la possibilité (ǧawāz) de l’existence des prophètes. Dans cette réfutation, Averroès énonce un certain nombre d’opinions relatives à la ­ prophétologie que nous nous proposons de mettre au jour. 1. [Kašf] Pour cette étude nous utilisons l’édition critique de M.A. al-Jabiri : Ibn Rušd, al-Kašf, p. 173-185. Ce texte a été traduit en espagnol par Manuel Alonso dans Teología, p. 304-321. Il est également disponible en anglais dans Averroès, Faith and Reason, p. 92-104. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) AnIsl 46 (2012), p. 387-408 Nadjet Zouggar La prophétologie d’Averroès dans le Kašf ʿan manāhiǧ al-adilla © IFAO 2021 AnIsl en ligne https://www.ifao.egnet.net la prophétologie d’averroès dans le kašf ʿan manāhi Ǧ al-adilla 388 L’ouvrage dont il est question ici est composé sur le modèle classique des traités de théologie spéculative dans lesquels les thèses sont formulées au moyen de raisonnements qui s’appuient ­ indifféremment sur des données spéculatives et sur la lettre coranique. À l’égal du Tahāfut al-tahāfut ou de la célèbre fatwa connue sous le titre de Faṣl al-maqāl (Le Traité décisif), le Kašf est donc un écrit que les spécialistes d’Averroès s’accordent à définir par le mode dialectique de ses raisonnements. Étant donné sa longueur, nous avons jugé utile d’aborder ce texte de façon linéaire en ­ maintenant autant que possible l’ordre de ses parties. Ainsi, la question qui nous intéresse, celle « de l’envoi des prophètes », telle que formulée, est le deuxième sujet abordé dans la cinquième partie du livre, elle-même consacrée à la connaissance des actes de Dieu. Nous exposerons dans un premier temps l’argumentation d’Averroès contre la ­ démonstration des théologiens ašʿarites ; nous montrerons aussi sa propre démonstration de la validité du fait ­ prophétique qui fait suite à cette réfutation ; nous confronterons enfin ce discours avec des éléments de noétique et de philosophie politique formulés par Averroès dans ses écrits philosophiques 2. Critique de la méthode des anciens ašʿarites L’argumentation classique des premiers théologiens ašʿarites dans leur distinction entre un vrai prophète et un imposteur s’est longtemps appuyée de manière exclusive sur les ­ miracles ­ attribués aux prophètes par la tradition musulmane 3. Visant ce point précis de leur ­ démonstration, Averroès dissèque leur raisonnement. Il énonce d’abord que : « L’examen de cette question [celle de l’envoi des prophètes] porte sur deux points ; l’un consiste à établir [l’existence des] prophètes (iṯbāt al-rusul) ; le second concerne ce qui démontre que cet individu (šaḫṣ) qui se revendique prophète en est un, et non un menteur 4. » Il dit ensuite que les mutakallimūn entendent démontrer le premier point, soit ­ l’établissement (iṯbāt) de l’existence de cette espèce (ṣinf) d’hommes que sont les prophètes, par le syllogisme (qiyās) suivant : • Ils postulent d’abord qu’il est établi que Dieu est souverain en rapport à ses créatures, et qu’Il est doté de parole et de volonté ; • Ils disent ensuite qu’il est concevable (ǧā’iz), dans le cas témoin (fī l-šāhid), à savoir chez les êtres humains, que l’être doté de parole, de volonté et qui, en outre, est souverain, soit capable d’envoyer un messager à ses sujets ; 2. Bien des études ont été consacrées à la prophétologie d’Averroès sans épuiser le sujet. Les plus exhaustives sont : Davidson, Alfarabi, Avicenna and Averroes, et Arfa-Mansia, «Malāmiḥ », p. 219-259. Ces auteurs limitent leurs champs d’investigation à la noétique sans aborder la dimension politique de la prophétologie. 3. Par la suite, au sein d’une théologie ašʿarite plus tardive dans laquelle des éléments de philosophie avicennienne avaient été introduits, nous observons une évolution de la démonstration du prophétisme qui comptera dorénavant cette autre catégorie de preuves que sont les vertus morales attribuées aux prophètes parmi lesquelles on retrouve la notion d’impeccabilité (ʿiṣma). Cf. Griffel, « Al-Ġazālī’s », p.101-114. 4. Kašf, p. 173. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) AnIsl 46 (2012), p. 387-408 Nadjet Zouggar La prophétologie d’Averroès dans le Kašf ʿan manāhiǧ al-adilla © IFAO 2021 AnIsl en ligne https://www.ifao.egnet.net nadjet zouggar 389 • Par conséquent, cela impliquerait que l’envoi d’un messager soit chose possible dans le cas absent (fī l-ġā’ib), c’est-à-dire pour celui dont on parle, à savoir Dieu 5. Averroès résume ainsi la démonstration avancée par les ašʿarites pour réfuter les objections attribuées aux barāhima 6 qui sont régulièrement mis en scène par les théologiens dès qu’il s’agit de réfuter les objections rationalistes à la possibilité de l’envoi par Dieu de prophètes législateurs. Cette démonstration est étayée, nous dit-il, par une analogie entre un cas connu : l’émissaire d’un roi qui prouverait sa sincérité en montrant des signes propres au roi, signes qui prouveraient nécessairement l’origine du message qu’il a pour mission de transmettre ; et le prophète qui prouverait sa véracité par des signes qui ne seraient autre que des miracles. Avant de juger ce raisonnement d’un point de vue logique, Averroès affirme que cette méthode est convaincante (muqniʿa) et satisfaisante pour la multitude (lā’iqa bi-l-ǧumhūr), mais qu’examinée de plus près, elle révèle beaucoup de failles. À ce titre, il note d’abord que nous ne pouvons admettre la sincérité de celui qui se prévaut d’être l’envoyé d’un roi que si l’on sait que le signe qu’il porte est bien celui dudit roi. Ce qui n’est possible que si le roi informe ses sujets de ce que les porteurs de ce signe particulier sont nécessairement ses envoyés, ou alors, si l’on sait qu’il est dans la coutume de ce roi que ses signes ne soient portés que par ses envoyés. Ce disant, Averroès s’offre la possibilité de poser la question suivante : « Comment établir que l’apparition des miracles chez certaines personnes est le signe exclusif des prophètes 7 ? » La réponse à cette question, nous dit-il, relève forcément de l’une des deux sources suivantes : la religion (al-šarʿ) ou la raison (al-ʿaql). Or, il n’est pas possible d’y répondre en se fondant sur religion car celle-ci n’est pas encore établie au moment de l’envoi du prophète. Quant à la raison, elle n’est pas en mesure de juger que tel signe est le propre des prophètes, sauf s’il lui était donné d’en constater l’existence à plusieurs reprises, chez ceux dont on a reconnu la prophétie, sans que cela ne se réalise chez d’autres qu’eux. À ce stade de sa réfutation, Averroès reproche aux partisans de cette méthode d’aller un peu trop vite en besogne lorsqu’ils valident uploads/Philosophie/ zouggar-prophetie-averroes-2012.pdf

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