CEP Erfurt Dienstag, 19. Juli 2005 Kapitel II 3.4 Anthropologie (F), S. Knaebel

CEP Erfurt Dienstag, 19. Juli 2005 Kapitel II 3.4 Anthropologie (F), S. Knaebel Professor Dr. Simon Knaebel Réflexion anthropologique et théologique La foi chrétienne n’est pas la seule à cultiver le paradoxe de ces vies humaines tiraillées entre, d’un côté, les difficultés de toutes sortes et les raisons de désespérer et, de l’autre, l’impératif d’annoncer un amour incommensurable de Dieu – "Dieu a tant aimé le monde…" – avec l’horizon d’une espérance chrétienne qui va si souvent "contre toute espérance". La venue en notre chair du Verbe de Dieu confère cepen- dant à cette tension une charge particulière : l’infini (das Unendliche) n’est pas au-delà du fini (das Endliche) mais en son fond (ou : à son fondement) (in seinem Grunde), disaient les grands Idéalistes allemands (Schelling, Hegel), dont on n’oublie pas qu’Erfurt est, avec Eckhart et Luther, un de leurs berceaux et donc aussi notre berceau. Je vais in- sister sur trois points majeurs des points de vue anthropologique et théologique : • L’amour trinitaire de Dieu, avec le verset de Jn 3, 6 : « Dieu a tant aimé le monde… » ; • La place de l’actualité dans la vie du chrétien ; • Les critères anthropologiques et théologiques pour discerner la présence de Dieu à l’œuvre en notre temps. Ma réflexion aura le souci de faire apparaître, malgré sa brièveté, les aspects fondamentaux de la foi et de la vie du chrétien. I. "Dieu a tant aimé le monde…" (Jn 3, 6) 1. L’ensemble de l’œuvre de Vatican II a renoué avec le thème de l’histoire du salut1. C’est en particulier la constitution Lumen Genti- um qui a décrit le dessein salvifique du Dieu trinitaire sur la création et l'histoire du monde et des hommes : Dieu Père, Fils et Esprit a un projet, que le NT appelle "mystère", selon lequel l'amour éternel de Dieu se fait chair pour intégrer la création toute entière dans l'intimi- té de la Trinité. La finalité de la création est ainsi la communion à la vie divine, autour du Christ et par l'action de l'Esprit. Les étapes de cette réalisation, dont l’Eglise est la figure (Gestalt), jalonnent l’histoire du salut : annoncées en figures dès l’origine du monde, el- 1 Les réflexions qui suivent dans les deux premières parties sont la reprise partielle et reformulée de : "Réflexions systématiques", in Nouveaux visages des Communautés ? Futures formes de l'identité chrétienne, Edition O. Selg, 1997, p. 47- 54 ; "Systematische Überlegungen", in Pfarrgemeinden in neuer Gestalt ? Künftige So- zialform(en) des Christseins, herg. von J. Müller u. O. Selg, Verlag O. Selg, 1997, p. 47- 54. CEP Erfurt Dienstag, 19. Juli 2005 Kapitel II 3.4 Anthropologie (F), S. Knaebel les sont merveilleusement préparées dans l’histoire du peuple d'Isra- ël et dans l'Ancienne Alliance ; elles se développent encore au- jourd’hui, en nos temps qui sont les derniers ; dans l’Eglise animée par l’Esprit, elle s’accompliront au terme des siècles lorsque l’Eglise se consommera dans la gloire2. Ce déploiement historique du projet de Dieu se réalise dans le Christ, "le Verbe fait chair". C'est à lui qu'incombe la mission de réa- liser le dessein du salut de Dieu, en entrant dans l'histoire humaine, d'une façon nouvelle et définitive. En arrachant les hommes à l'emprise des ténèbres, il s'est réconcilié le monde3. 2. La plupart d’entre nous connaissent bien la distinction, classique en théologie, entre l'économie du salut (oeconomia) qui est la réalisation du salut dans l’histoire, et le mystère de la Trinité (theologia) qui est objet de contemplation et de réflexion dans la foi. Mais il s’agit là de deux aspects, niveaux ou points de vue du même amour trinitaire de Dieu : 1. Le premier aspect nous montre un Dieu qui se dépouille jusqu'à l'extrême de la souffrance et de la mort humaine du Verbe de Dieu. Ici l’amour de Dieu inclut de la négativité, la passion et la mort du Fils. 2. Mais il y a aussi le fond sans fond ("Ungrund") de l'amour divin qui, comme le rappellent Eckart et Urs von Balthasar, est stable et permanent. Il est la réserve de l'amour divin qui, toujours, donne et se donne. Personne, ni rien, ne peut tomber hors d'atteinte de l'amour divin. Pour en témoigner, la vie de Jésus, son Evangile et la mort-résurrection du Seigneur délivrent un message d'universalité sans équivoque. Cet amour de Dieu se communique de bien des manières. L'Ecriture en fournit de multiples récits. Mais c'est dans l'incarnation que la communication atteint son point culminant. Cette incarnation se poursuit encore, puisque le "Verbe fait chair", qui est aussi le Christ ressuscité, continue de prendre corps par l'Esprit Saint dans le monde et l'histoire. Ce Dieu qui "prend corps" dans l'incarnation du Fils, rejoint aussi l'homme dans ses capacités relationnelles, dans sa manière d'avoir rapport au monde, aux autres, à l'histoire et à soi- même. Dès lors le Dieu des chrétiens n'est pas le Dieu de la métaphysique : la Cause, la Raison ordonnatrice de l'univers. Il n'est pas non plus un monarque régnant sans partage. Il est, en raison de - et dans - l'abaissement du Fils, faible avec les faibles, sans voix a- vec les sans voix, pauvre avec les pauvres. Il est un Dieu proche du cœur de l'homme, de ses soucis, de ses quêtes, de ses espérances. Il se tient, en Christ, "au milieu de la réalité"4. L'Eglise et les sacre- ments rendent témoignage de cette proximité. La foi et l'action des croyants s'en nourrissent. Cette dimension radicale de l'incarnation 2 Cf. Vatican II, LG 2. 3 Cf. Vatican II, LG 2, AG 3. 4 D. BONHOEFFER. CEP Erfurt Dienstag, 19. Juli 2005 Kapitel II 3.4 Anthropologie (F), S. Knaebel a comme conséquence une réflexion à nouveaux frais sur l'existence chrétienne. Nous allons le voir dans le second volet de notre exposé. 3. Ajoutons encore ici que la réflexion sur l’incarnation ne va jamais sans la croix qui est son aboutissement. Mais le scandale de la croix n'est lui-même supportable que s’il est compris comme action trini- taire de Dieu. Car, - pour reprendre la célèbre formule héritée d’Augustin - dans la mort de Jésus en croix, se manifeste le Père qui donne, le Fils qui est donné et l'Esprit qui est le don. Le mystère tri- nitaire déjà indiqué dans toute la vie et l'oeuvre de Jésus est révélé jusqu’au bout dans l'histoire de la passion. C’est l'Esprit qui permet au croyant d’entrer dans le mystère du Dieu révélé dans la vie et la mort de Jésus. La théologie classique, fondée sur une métaphysique de l’être, ce qu’on appelle l'ontothéologie, pensait plus volontiers Dieu en termes d'identité et de coïncidence avec soi-même, sans altérité. La parole inouïe, le choc de l'abaissement du Fils et de sa mort en croix impose une réflexion sur Dieu d'un autre type. En fait, il est devenu impos- sible d'achever une pensée à son sujet. C'est "par mode de kénose", que l'inachèvement de notre approche de Dieu éclate : le Dieu "au- dessus de nous" est aussi le Dieu "parmi nous"5. Bien plus, c'est à partir du Dieu parmi nous que le Dieu au-dessus de nous peut être évoqué et surtout invoqué. Que l'Eglise soit solidaire des peurs et des espoirs des hommes n'est pas seulement une lointaine conséquence de sa nature, mais sa si- tuation essentielle. L'existence chrétienne individuelle, comme la vie ecclésiale, sont prises dans un régime d'incarnation radicale. Elles éprouvent ainsi que rien de ce qui est humain, pas même la mort, n'est étranger au Dieu de Jésus Christ. Ce Dieu habite le "fond de l'âme", comme disent les mystiques. Il nous donne de reconnaître notre condition de créature et le néant dont nous sommes tirés. Mais il nous fait également découvrir, par l'Esprit, que nous sommes faits pour la relation aux autres et à Lui. Dieu prend corps en l'homme. La vie du chrétien ainsi que l’Eglise comme "sacrement du salut", sont le lieu de cette incarnation eschatologique de Dieu. L’incarnation de Dieu est eschatologique parce qu’elle ouvre l’avenir. Elle se déploie dans toute vie chrétienne comme dans la vie ecclésia- le. Elle opère et actualise le salut définitif de Dieu, et nous fait vivre dans l'espérance et dans l'actualité de ce salut. Il ne nous appartient pas ici d'examiner comment les communautés paroissiales peuvent être des lieux où se vit l'incarnation radicale dont nous avons parlé. Cette réflexion relève de disciplines plus pra- tiques comme la sociologie, la psychologie et la théologie pastorale. La théologie systématique veut avant tout montrer l'enracinement essentiel de toute solidarité humaine, ainsi que de la charité 5 E. JÜNGEL. CEP Erfurt Dienstag, 19. Juli 2005 Kapitel II 3.4 Anthropologie (F), S. Knaebel chrétienne, dans l'insondable amour de Dieu qui se communique jusqu'à prendre corps en nous dans la venue du Fils en notre chair, dans la vie de l’Eglise et les sacrements. C’est toujours à partir de ces points d’appui fondamentaux qu’il faut mener la réflexion sur l'agir chrétien et la vie ecclésiale en paroisse. La vie uploads/Philosophie/ 329-add-1.pdf

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