134 G. LEFOUOBA Ann. Univ. M. NGOUABI, 2010 ; 11 ( 1) Annales de l’Université M
134 G. LEFOUOBA Ann. Univ. M. NGOUABI, 2010 ; 11 ( 1) Annales de l’Université Marien NGOUABI, 2010 ; 11 (1) : 134-140 Lettres et Sciences Humaines ISSN: 1815-4433 www.annales-umng.org LA DESCRIPTION PHENOMENOLOGIQUE DU REGARD CHEZ JEAN PAUL SARTRE P. MIAMBOULA Ecole normale Supérieure Université Marien NGOUABI BP. 69 Brazzaville Congo RESUME C’est dans le regard que Sartre trouve la façon d’aller au-delà des choses, de les arracher à la facticité de leur contingence, de leur rendre un mouvement et surtout de déployer de nouveaux horizons interprétatifs liés à une pluralité de significations qui ne sont pas spécifiquement orientées. Le regard caractérise la rencontre directe entre les humains. Il est un projet d’ontologie phénoménologique ; un intermédiaire qui renvoie à l’altérité. Mots clés : Regard ; Facticité ; Contingence ; Ontologie ; Phénoménologie ; Altérité. 135 P. MIAMBOULA Ann. Univ. M. NGOUABI, 2010 ; 11 (1) INTRODUCTION Le regard désigne le mouvement ou la direction des yeux vers un objet, une direction, un sujet, et par métaphore la capacité humaine, sociale et intellectuelle d’un individu à appréhender une situation. Il est un support important de la communication entre individus y compris chez de nombreuses espèces animales. Dans le domaine philosophique et particulièrement existentialiste, le mot de regard parfois écrit avec une majuscule, renvoie à l’analyse de la manière dont un individu ou un groupe d’individus perçoit et se représente son environnement et en particulier soi-même et les autres individus. Nombre de ces théories insistent sur la façon dont l’attitude du « regardant » ou le seul fait d’être soumis au regard peut modifier le comportement du « regardé ». Depuis La Transcendance de l’Ego (1936), en passant par la Nausée (1943), Huis clos (1943), l’Etre et le Néant (1943), jusqu’à la Critique de la Raison dialectique (1960) ; la notion de regard occupe une place importante dans la philosophie de Sartre. On peut trouver particulièrement une longue description phénoménologique du regard dans la troisième partie de l’Etre et le Néant, celle où Sartre envisage le problème de l’Etre pour autrui. Le regard et l’altérité apparaissent ainsi étroitement mêlés et forment tout au long de l’œuvre, comme leitmotive, sous des formes ou dans des contextes différents. Le regard est lié à la conscience irréfléchie, non positionnelle et est déterminé dans le cadre des négations d’intériorité. « Le regard est d’abord un intermédiaire qui renvoie de moi à moi – même » [1]. Comme le regard relève de la conscience irréfléchie, ce sont les émotions, entendues par Sartre comme des formes organisées d’existence, qui révèlent l’objectivation de notre être par le regard des autres et notre relation à une telle détermination. C’est le regard qui dévoile l’existence d’autrui. Etre regardé c’est donc agir par rapport à l’autre, c’est aussi être figé dans un état qui ne laisse plus libre d’agir. L’autre nous fait être. Des affects comme la honte, la colère et la peur ne sont que des réactions subjectives au regard d’autrui qui nous constituent comme un être sans défense pour une liberté qui n’est pas la nôtre. Parmi ces affects, Sartre semble conférer un rôle privilégié à la honte : « la honte est comme la fierté, l’appréhension de moi-même comme nature, encore que cette nature même m’échappe et soit inconnaissable comme telle » [2]. Dans tous les cas, la théorie du regard ne saurait être séparée de la thématique de l’œil et revêt une fonction significative. Quand un être humain se sent regardé, il se rend compte qu’il n’y a pas au monde que des objets, des choses, il y a aussi d’autres êtres qu’il faut regarder avec un peu plus d’attention. Dans ce sens, on peut considérer le regard comme révélation de l’existence d’autrui et cela, naturellement, ne va pas sans difficulté car l’expérience du regard est parfois ambiguë. Il est un moment qui caractérise des rapports tant passionnels que conflictuels. Le regard peut donc être source de haine et de sympathie. Sartre établit qu’autrui est présent partout comme ce par quoi il devient objet. De fait, cet autrui dont le regard lui révèle l’existence est un autre sujet, et le propre de tout sujet est de se poser par rapport à des objets. Son expérience d’autrui est donc celle de son objectivation. Pour Sartre le regard est objectivant par nature. Il le fait exister comme un dehors, il le réifie, il l’anéantit dans sa dimension de transcendance, le réduisant à la facticité qu’il perçoit. Au fond le regard d’où qu’il vienne, apparaît comme une véritable épreuve, car il destitue réciproquement la liberté originelle des uns et des autres. D’où la formule de Huis clos : « l’enfer c’est les autres ». Il y’a bien un 136 P. MIAMBOULA Ann. Univ. M. NGOUABI, 2010 ; 11 (1) regard purement objectivant, mais ce n’est pas n’importe quel regard ; c’est celui qui se pose sur nous de haut et qui, par sa situation de surplomb, nous donne le sentiment d’être chosifié. Un tel regard, comparable à celui de l’entomologiste, est le regard de l’observateur. Le regard déjoue l’obstacle de l’extériorité et met en contact deux, voire plusieurs intériorités. « Il y’a dans le regard des forces inconnues dont l’analyse est pleine d’intérêt, mais leur nature ne permet pas de les rapprocher des formes d’énergies plus anciennement exploitées par l’homme» [3]. La description phénoménologique du regard chez Jean Paul Sartre, recadre les relations entre les hommes, entre les nations, voire entre l’homme et la nature. La prise en compte des souffrances humaines, des catastrophes naturelles passe par des regards attentifs. « Tout en dévoilant des choses qu’aucune langue ne peut exprimer, le langage des yeux a toujours été universellement compris par les humains de tous les pays et toutes les races. C’est le reflet de la vie intérieure, des sentiments, des passions, du chagrin, de l’ironie, de la droiture ou de la fourberie » [4]. La rencontre de deux individus est avant tout la rencontre de deux regards. L’analyse du regard des uns et des autres permettra à chacun de forger la première impression, mais révélera à chacun leur caractère profond et leurs intentions cachées. C’est à partir de ces moments que les hommes libres apprendront véritablement à se regarder pleinement pour partager une vie commune qui efface toutes les distances. Dans cette logique, il est bien vrai que le sujet regardé appartient à une espèce de totalité que Sartre nomme « réalité humaine ». Mais précisément, il n’est sujet humain qu’en tant qu’il existe dans l’unité indissoluble de la société, « comme l’organe n’est organe vivant que dans la totalité de l’organisme » [5]. C’est pourquoi, le regard de l’autre nous atteint à travers la société et n’est pas seulement transformation de nous-mêmes, mais métamorphose totale du monde. Nous sommes tous regardés dans un monde regardé. Il s’ensuit que croiser un regard, ce n’est pas même pouvoir remarquer la couleur des yeux, c’est être mis en présence de ce qui se manifeste dans l’extériorité mais ne s’épuise pas en elle. En ce sens le regard est le moment où les humains font l’expérience de leur intersubjectivité. Pour avoir une image de nous-mêmes, il faut naturellement passer par les autres. Sartre le montre particulièrement en analysant l’expérience de la honte. Le regard se caractérise fondamentalement à partir de la honte avant de construire une intersubjectivité qui renforce les liens entre les hommes. A partir de la honte le regard apparaît plus comme une épreuve parfois difficile à supporter. Il est pourtant important de souligner avec Sartre que le regard est aussi un moyen qui permet aux hommes de se connaitre et de s’apprécier. I.- LA HONTE Dès la Transcendance de l’ego (1934), Sartre déclare inutile l’hypothèse husserlienne d’un égo, foyer des actes de la conscience et considère que l’ego n’est pas un principe de centration, mais réside « dehors », dans le monde, au même titre que l’ego d’autrui. Autrui est, plus précisément, l’ego qui objective le premier sujet comme ego. Toujours déjà situé au sein du monde, comme objet et délimite la liberté. Mais la structure de la rencontre d’autrui, pour n’être ni de connaissance, ni de constitution, n’est pas non plus empirique. Elle a un sens ontologique qui tient à la facticité, à la contingence. Une telle facticité irrécusable de l’existence d’autrui pose le problème des rapports interhumains. Sartre analyse la structure ontologique de la rencontre à partir du paradigme du regard, lequel se dégage de manière privilégiée dans l’expérience de la honte. Un sujet qui pense 137 P. MIAMBOULA Ann. Univ. M. NGOUABI, 2010 ; 11 (1) être seul et se livre à un geste obscène ou gauche ; mais levant la tête y remarque qu’il n’était pas seul, quelqu’un l’a vu. Son regard porté sur son propre geste produit le sentiment de sa honte devant ce dernier. Par le regard autrui se révèle à lui-même comme objet. « La honte est ainsi un sentiment de chute originelle, non du fait qu’on aurait commis telle ou telle faute, mais simplement du fait que nous sommes ‘’tombés’’ dans uploads/Philosophie/158-518-1-pb.pdf
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- Publié le Aoû 11, 2021
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