bibliothèque d'histoire de la philosophie Paul Ricœur À l'école de la phénoméno

bibliothèque d'histoire de la philosophie Paul Ricœur À l'école de la phénoménologie A L'ÉCOLE DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE BIBLIOTHÈQUE D'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE Fondateur : Henri GOUHIER Directeur : Jean-François COURTINE Paul RICŒUR A L'ÉCOLE DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, V* 2004 En application du Code de la Propriété Intellectuelle et notamment de sesarticles L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Une telle représentation ou reproduction constituerait un délit de contrefaçon, puni de deux ans d'emprisonnementet de 150 000 euros d’amende. Nesont autorisées que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective. ainsi que les analyses et courtes citations. sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source. © Librairie Philosophique J. VRIN, 1986 © 2004 pour l’édition de poche ISBN 2-7116-1674-6 (ISBN 2-7116-0916-2 pour la première édition) Imprimé en France WWW. vrin.fr HUSSERL (1859-1938) ": HUSSERL ET LE MOUVEMENT PHÉNOMÉNOLOGIQUE Husserl n’est pas toute la phénoménologie, bien qu’il en soit en quelquesorte le nœud. D'abord la phénoménologie a une mémoire qui l’insère dans le passé de la philosophie occidentale. C’est au sens leib- nizien et kantien du phénomène(Erscheinung et non Schein) qu’elle se rattache; Hegel, il est vrai, avait déjà comprisla phénoménologie comme une inspection ample de toutes les variétés de l’expérience humaine (non seulement épisté- mologique mais éthique, politique, religieuse, esthétique et quotidienne). Ce n’est pourtant pas à elle que Husserl se rattache; deux traits de la Phénoménologie de l'Esprit ne passent pas chez Husserl: le tragique et le logique, -— le tragi- que qui tient à la fécondité du «négatif», le logique qui exprimela liaison nécessaire des figures de l’Esprit dans un unique développement. C’est pourquoi Husserl ne fait pas une phénoménologie de l’Espnit. Le phénomène, selon lui, n’est pas l’apparaître d’un être susceptible de se récupérer dans un savoir absolu. * La pagination en marges renvoie à l'édition Paris. Vrin, 1986. a. Première publication de cetarticle dans E. Bréhier, Histoire de la philo- sophie allemande, Paris, Vrin, 2: éd. 1967, p. 183-196. 8 HUSSERL (1859-1928) Husserl se rattache à Kant non seulement dansl’interpré- tation idéaliste de sa méthode, mais même dans les descrip- tions qui continuent l’analyse kantienne du Gemiüt qui| restait masquée par les préoccupations épistémologiques de la Criti- que. En même temps la phénoménologierejoint en profondeur l’esprit de Hume; par son goût pour ce qui est «originaire », «plein », «présent », par delà les abréviations et les symboles du discours, elle continuela grandetradition anglaise de la cri- tique du langage, et étend sa discipline de pensée dans tous les secteurs de l’expérience : expérience des significations, des choses, des valeurs, des personnes. Enfin la phénoménologie se rattache plus radicalement encore à Descartes, au doute et au cogito cartésiens; la réduction qu’elle opère des fausses évidences — du « cela va de soi » (Verständlichkeit) - au phéno- mène véritable, à l’apparaître authentique, est bien dans la ligne du doute cartésien; et le cogito devient autre chose qu’une premuere vérité, que d’autres vérités suivraient dans une chaînede raisons; il est l’unique champ de la vérité phéno- ménologique, dans lequel toutes les prétentions de sens sont confrontées aux présences qui constituent le phénomène du monde. Ainsi la phénoménologie continue-t-elle le transcen- dantal kantien, l’originaire humien, le douteet le cogito carté- siens; elle ne représente aucunement une brusque mutation de la philosophie. En outre la phénoménologie est un vaste projet qui ne se referme pas sur une œuvre ou un groupe d'œuvres précises; elle est en effet moins une doctrine qu’une méthode capable d’incamations multiples et dont Husserl n’a exploité qu’un petit nombre de possibilités; 1l faut aussi chercher la phéno- ménologie chez les psychologues de l’école | de Munich, — À. Pfander, M. Geiger, - chez Max Scheler, chez Heidegger, chez Hartmann, - chez Jaspers aussi —-, même si aucun de ces penseurs n’a Cru quela phénoménologie fût laphilosophia prima, la science des sciences. Chez Husserl lui-même la méthode est mêlée à une interprétation 1déaliste qui représente PHÉNOMÉNOLOGIE DELA SIGNIFICATION 9 une part considérable de l’œuvre publiée et qui tend à placer la phénoménologie sur le même plan que les néo-kantismes du débutdu siècle; quant aux parties de l’œuvre où la méthode est effectivement appliquée, principalement dans les inédits, elles ne constituent pas un corps d’ouvrage homogène et onenté dans un seul sens; Husserl a abandonné en cours de route autant de voies qu’il en a frayées. Si bien quela phéno- ménologie au sens large est la somme de l’œuvre husserlienne et des hérésies issues de Husserl; c’est aussi la somme des variations de Husserl lui-mêmeet en particulier la somme des descriptions proprement phénoménologiques et des interpré- tations philosophiquespar lesquelles 1l réfléchit et systématise la méthode. PHÉNOMÉNOLOGIEDE LA SIGNIFICATION On a dejà parlé plus haut dela critique du psychologisme et de la conception de la logique dans le premier tome des Recherches Logiques'.Le second tome s’ouvre sur une analy- se de la signification qui met déjà en œuvre les notions impli- cites de la méthode phénoménologique, lesquelles ne | sont élucidées que dans la cinquièmeetla sixième de ces Recher- ches?, consacréesà l’intentionalité et à l’intuition catégoriale. Il est important de remarquer que la première question de la phénoménologie est : que signifie signifier ? Quelle que soit l'importance prise ultérieurement par la description de la 1.Cf. ci-dessus p. 195-197. 2. Logische Untersuchungen, 2 vol. (1900-1901); 2° éd., 3 vol. (1913- 1921). Cette 2° édition porte la 5: et la 6° Recherches au niveau atteint par ailleurs par la phénoménologie dansles /deen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie, I, publiées d’abord dans le Jahrbuch für Philosophie und phänomenologische Forschung (dont Husserl était l'éditeur) (1913), 3° éd. 1928 (trad.fr. P. Ricœur, Paris, Gallimard, 1950); texte définitif légèrement différent publié dans l’édition critique du Nachlass: Husserliana XX,1950. 11 10 HUSSERL (1859-1928) perception, la phénoménologie part non de ce qu’il y a de plus muet dans l’opération de conscience, mais de sa relation aux choses par les signes, tels que les élabore une culture parlée. L'acte premier de la conscience est de vouloir dire,de désigner (Meinen), distinguer la signification parmi les autres signes,la dissocier du mot, de l’image, élucider les diverses manières dont une signification vide vient à être remplie par une présence intuitive (quelle qu’elle soit), c’est cela décrire phénoménologiquement la sigmification. Cet acte vide de signifier n’est pas autre chose que l’intentionalité. Si l’inten- tionalité est cette propriété remarquable de la conscience d’être conscience de..., de s'échapper à soi-même vers un autre, l’acte de signifier contient l’essentiel de l’intentionalité. Et même 1l révèle la double visée de l’intentionalité : quand je veux dire quelque chose, il y a une première intention qui va au sens, comme | vis-à-vis stable de tousles actes de signifi- cations qui veulent dire la même chose; c’est ici la racine phénoménologique de la logique il y a du déterminé dans le sens visé; mais cette analyse qui rend possible la logique la déborde, puisqu'il peut y avoir des significations absurdes, c’est-à-dire où un sens est effectivement visé, mais sans possibilité d’un remplissementintuitif. Mais1l y a une seconde intention qui va à la présence et qui se résoud finalementen intuition; la perception en est la forme fondamentale ; mais1l y a aussi une intuition des articulations du jugement et du discours ou intuition catégoriale et 1l y a d’autres modes d’intuition dont Husserl ne clôt pasla liste. En se rabattant sur une phénoménologie de la perception, dans sa dernière philosophie, Husserl abandonnera une voie aperçue au début de son œuvre et qu’on pourrait appeler la dialectique originelle du sens etde la présence et qui est 1llus- trée par la relation vide-plein des Recherches Logiques; il ne l’abandonnera pas,il est vrai, tant qu’il discernerajusque dans la perception une anticipation de l’unité de sens qui permet de déterminer le flux des apparitions de la chose; c’est cette PHÉNOMÉNOLOGIE DELA SIGNIFICATION 11 phénoménologie du « sens » qui constitue le platonisme essen- tiel de cette période, beaucoup plus que l’hypostase maladroite des «significations en soi», à laquelle l’entraîne parfois la polémique anti-psychologiste. Au reste c’est parce que l’intentionalité va au sens — qui détermine la présence, autant qu’à la présence qui remplit le sens — que la phénoménologie elle-même est possible; c’est grâce à une intuition portant sur l’essence des «actes » et de | leurs «contenus » que nous avons pu distinguer expression, signe, signification, — Signification vide et signification pleine, — intuition sensible et intuition catégoriale. Toute phénomé- nologie se fait sur le plan d’une intuition de l’eidos; elle ne s’arrête pas au vécu individuel incommunicable, mais atteint dans le vécu son articulation interne intelligible, sa structure universelle, bref une signification que vient remplir plus ou moins soit la perception immanente, soit même l’imagination de cette perception, qui, par ses variations, fait précipiter le «sens » dans le creuset uploads/Philosophie/a-l-x27-ecole-de-la-phenomenologie-by-paul-ricoeur.pdf

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