Déficit culturel et inaptitude interprétative en classe FLE : L’approche cognit

Déficit culturel et inaptitude interprétative en classe FLE : L’approche cognitive : Résumé : A défaut de connaissances suffisantes sur le référent culturel français, de nombreux apprenants, en classe FLE, sont inaptes à interpréter, de manière appropriée, certains énoncés induisant, en filigrane, des prémisses culturelles. Cet article cherche à expliquer, d’un point de vue strictement cognitif, ces inaptitudes interprétatives en prenant appui sur le modèle d’interprétation développé par Sperber et Wilson ; modèle très largement inspiré des travaux de Fodor sur la cognition humaine et, notamment, de sa conception modulaire du fonctionnement du cerveau/esprit. Introduction : De nombreuses recherches en linguistique et en didactique des langues. (Kilani- Schoch 1995 ; Kramsch 1998 Raasch 2001 ; Zaghouani-Dhaouadi 2008 ; Fath 2008a ; Caws 2009) s’accordent, aujourd’hui à dire qu’il existe une relation intime entre la langue et la culture. Une bonne connaissance de la langue, à la fois réceptacle et miroir des valeurs inhérentes à une société, ses symboles, ses codes, ses habitus et ses réalités sémiotiques, etc. est inséparable d’une bonne connaissance de sa culture ; il faut par conséquent comprendre celle-ci et en avoir une expérience suffisante pour comprendre la langue. Cette « réciprocité sémiotique » entre langue et culture (Caws 2009, p. 206) implique d’abord qu’il est justifié et autrement plus approprié, pour ce qui est de la question, plus spécifique, de l’enseignement-apprentissage du français langue étrangère, FLE, de parler, comme le fait par exemple Zaghouani-Dhaouadi (2008, p. 1), de l’« enseignement- apprentissage de la langue-culture française »1. Elle éclaire par ailleurs d’un jour nouveau les difficultés de comprendre, que l’on observe chez certains apprenants, en classe FLE. Ces difficultés ne sont pas, le plus souvent, liées à une méconnaissance de la langue française au sens strict i. e. sa phonologie, sa syntaxe et sa sémantique : encore que, assez souvent, le seul effort de décodage, chez ces apprenants, s’avère fastidieux, à cause notamment d’un certain nombre d’obstacles linguistiques, comme les mots inconnus ou partiellement connus, les connotations d’usage, l’encodage différentiel de l’explicite et de l’implicite, etc. Elles tiennent surtout à une ignorance quasi totale du référent culturel français. L’enseignement de la culture française, à côté de celui de la langue française, à proprement parler, est donc un impératif pédagogique. Mais pas seulement : c’est aussi un formidable tremplin qui doit permettre, au fur et à mesure, l’acquisition chez l’apprenant d’une éthique humaniste affirmant de manière égalitaire, au-delà des différences de façades et des divergences de formes, la dignité et la valeur de chaque être humain ; c’est le lieu qui doit favoriser chez ce même apprenant l’appropriation d’une ouverture d’esprit et d’une ouverture à la tolérance, à la paix et au Multiculturalisme … Ceci dit, il n’est évidemment pas question ici, dans cet article, d’argumenter davantage la thèse de la relation interférentielle entre langue et culture, ni de souligner les incidences, en termes d’impératifs pédagogiques, de cette relation sur, notamment, l’enseignement du FLE : on aurait l’impression, à juste titre d’ailleurs, que je m’affaire à enfoncer des portes ouvertes, tant sont nombreux, comme je l’ai dit, il y a un instant, les travaux ayant prouvé le bien-fondé de cette thèse et tant est aujourd’hui patente la question de la « réciprocité sémiotique » entre langue et culture. Dans ce qui suit, j’aimerais plutôt tenter d’expliquer les mécanismes cognitifs qui sous-tendent les difficultés d’interprétation, dont il est question ici, à savoir celles liées à un déficit évident des connaissances culturelles. Je m’appuierai, pour ce faire, sur le modèle d’interprétation des énoncés développé par Sperber et Wilson (1986, 1989, 1990) ; modèle fondé sur la théorie de la modularité, ou modularisme, de Fodor (1986) qui milite en faveur d’une vision modulaire du fonctionnement du cerveau/esprit humain. 2. Communication verbale et cognition On peut, en simplifiant, opposer deux modèles de la communication linguistique, le modèle classique de la communication ou modèle du code et le modèl einférentiel. Inspiré du modèle mathématique de Shannon et Weaver (Shannon,1948 ; Weaver et Shannon, 1949), modèle qui a particulièrement insisté sur la notion de code, et du Cours de linguistique générale de Ferdinand De Saussure (1972), et toute la linguistique structurale qui s’en est inspirée, en passant par les premiers travaux de Chomsky (Moeschler et Reboul 2006) et ceux de la philosophie du langage, d’Austin et de Searle, l’approche codique stipule quetout communicateur est réputé encoder son message au moyen d’un signal, enl’occurrence des phrases ou des expressions, que le destinataire, disposant du même code, peut reconnaître et décoder (Origgi et Sperber 2003 ; Meunier et Peraya 2004). Ceci dit, le modèle du code ne peut pas, à lui seul, constituer laclé de compréhension de la communication linguistique (Grice, 1957 ; Sperber et Wilson 1986, 1989, 1990 ; Sperber, 2000). Car, tout bonnement, une même phrase peut, suivant les contextes, servir à communiquer un nombre indéfini de messages différents, messages qui ne peuvent être reconstitués par simple décodage. Ainsi, si je dis : « Elle était trop lente », en parlant de ma fille qui, le jour même à midi, mangeait trop lentement pour finir à temps son repas ; si Paul dit : « Elle était trop lente » en parlant de son Assurance qui, il y a un an, était trop lente à le dédommager pour les dégâts des eaux involontairement subis; si, enfin, Marie dit « Elle était trop lente », en parlant de sa mayonnaisequi, il y a deux jours, lors de la préparation de sa salade pour le repas du soir, prenait trop lentement par rapport à ce qu’elle avait prévu, on aura, certes, tous, Marie, Paul et moi, énoncé invariablement la même phrase, à savoir « Elle était trop lente ». Mais, on aura communiqué, au moyen de l’énoncé individuel de cette même phrase, différents sens. Dans ces exemples, il apparaît donc clair que le simple décodage du sens linguistique de l’énoncé ne suffit pas à rendre compte du sens que cherche à communiquer le locuteur, i. e. le sens voulu (ou vouloir-dire). Soient encore l’échange suivant 2 : 1. Pierre : Veux-tu dîner avec moi ? Marie : J’ai déjà dîné De la même manière, dans cet échange, le simple décodage du sens linguistique de l’énoncé, à savoir que Marie a dîné à un moment antérieur à l’énoncé, est insuffisant, à lui seul, pour reconstituer le vouloir-dire de celle-ci, à savoir que, précisément parce qu’elle a déjà dîné, elle ne veut pas dîner avec Pierre. Le modèle codique, à lui seul, est donc « sous-déterminé » (Santacroce 2002 ; Bracops 2005), il faut lui adjoindre le modèle inférentiel, l’auditeur ne se contentant pas de décoder le sens linguistique de l’énoncé, il infère le vouloirdire du locuteur à partir de ce sens linguistique et du contexte. Cette nouvelle conception de la communication linguistique, postulant lors des opérations d’interprétation la mobilisation conjointe de processus à la fois codiques et inférentiels, remettait clairement en question l’approche exclusivement codique jugée « trop simpliste ». Mais, ce faisant, elle remettait également en questionle rôle dévolu au langage vis-à-vis de la pensée - en vertu de l’option codique : le langage était alors considéré comme un « instrument de communication », qui plus est, « transparent », dans lequel et par lequel, soutenait-on, on peut communiquer sa pensée, toute sa pensée. Pour Grice, dans la mesure où le sens linguistique n’est qu’un simple indice, plutôt réduit, du vouloir-dire du locuteur, le langage n’est, à ce titre, qu’une représentation nécessairement incomplète de sa pensée. Héritiers incontestables de Grice, Sperber et Wilson, arguant pareillement de l’irréductibilité des processus interprétatifs aux seules opérations de décodage, s’inscrivent également en faux contre la thèse de la « transparence du langage ». Pour eux, en effet, communication verbale et pensée ne recouvrent pas la même réalité : la pensée est une computation mentale3 de l’univers environnant, général ou spécifique, i. e. propre à une situation particulière, bien plus riche que de simples énoncés, puisque le sens linguistique n’est qu’une représentation incomplète de la pensée4 du locuteur, pensée qui d’ailleurs ne peut jamais être totalement recomposée ni restituée à l’identique, dans la mesure où locuteur et interlocuteur ne partagent jamais de connaissance mutuelle absolue, ni une expérience identique du monde (Gwenolé 2007); bref ne disposent pas du même environnement cognitif (Sperber et Wilson 1989). Toute démarche d’interprétation relève donc, de ce point de vue, ni plus ni moins, de la pure supputation. Ceci dit, ces tâtonnements interprétatifs sont beaucoup plus saillants encore dans le contexte qui m’intéresse davantage ici, à savoir celui de l’enseignement du français comme langue étrangère, FLE. Car, s’adjoignent aux difficultés de principe réduisant les interprétations à de simples contenus hypothétiques, une autre difficulté supplémentaire : l’apprenant, théoriquement de culture différente, n’a pas a priori une connaissance suffisante de la culture française, entendue au sens de l’ensemble des pratiques sociales qui lient, de manière spécifique, les Français entre eux, les distinguant ainsi des autres groupes humains et qui incluent, entre autres, des coutumes, des savoirs, des croyances religieuses ou philosophiques, un mode de pensée propre, etc. (Fath uploads/Philosophie/approche-cognitive-fle-pdf.pdf

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