ÉTUDES COMPARÉES SUR LA ET SUR CELLE DE DUNS SCOT PAR J. M. A. VACANT MAITRE EN

ÉTUDES COMPARÉES SUR LA ET SUR CELLE DE DUNS SCOT PAR J. M. A. VACANT MAITRE EN THÉOLOGIE, CHANOINE HONORAIRE, PROFESSEUR AU GRAND SÉMINAIRE DE NANCY TOME I DELHOMME ET BRIGUET, LIBRAIRES-EDITEURS PARIS 13, Rue de l'Abbaye. LYON 3, Avenue de l'Archevêché . 1891 ESSAI SUR LA PHILOSOPHIE DE DUNS SGOT COMPARÉE A CELLE DE SAINT THOMAS D'AQUIN La philosophie de Duns Scot, qui pendant trois siècles eut des partisans et des adversaires nombreux et passion- nés, semble à peu près oubliée aujourd'hui. Si quelques doctrines de l'illustre franciscain n'avaient gardé une place honorable dans nos traités de théologie, la plupart d'entre nous ne connaîtraient guère que son nom. C'est que les deux courants d'études qui ont ramené notre siècle vers la philo- sophie du moyen-âge n'ont pas poussé les esprits vers Duns Scot. L'un de ces courants s'est développé au sein des facultés de théologie et des si-minaires. Il s'est porté sur les doctri- nes de saint Thomas d'Aquin considérées dans leur fond plutôt que dans leur histoire*. S'il a rencontré sur son che- min des théories qu'il a fallu démolir pour pi'endre cette direction, c'étaient celles des cartésiens, des traditionalis- tes ou des ontologistes, non celles du Docteur subtil ; s'il s'est divisé sur certaines questions, c'est entre les opinions des thomistes et celles de Suarcz. Quelle est le professeur qui enseigne les thèses scotistes dans nos cours de philoso- phie? (i) Nous n'entendons pas dire que l'histoire do la philosophie a été. complètement négligée, en l''rance, parles néo-scolastiques. Deux prêtres de St-Sulpice, M. Vallet et M. Brin, ont publié des manuels de Ihistoiro de la philosophie où l'étude du nioyen-àye occupe une largo place. On a aussi traduit en français iM*7i7(j^c'/ism(j c/a/ts /a Scolaslitjue de Mgr Ta- lamo* 1 L'autre courant est né de l'impulsion imprimée par M. Cousin et l'école éclectique à l'étude de l'histoire de la philosophie ; et, on le sait, c'est au sein de l'Université qu'il s'est produit. On semble croire parfois que les savantes recherches auxquelles il a donné lieu se sont concentrées exclusivement sur l'antiquité et les temps modernes ; pour- tant les docteurs qui, pendant le moyen-âge^, ont illustré Paris et son université, ont eu quelque part dans ces recherches. L'attention de M. Cousin et de plusieurs de ses disciples se porta sur les philosophes du XII*' siècle et sur leurs disputes au sujet de la nature des Universaux. Le XIII^ siècle n'a pas été non plus entièrement négligé. Sans parler d'une foule de mémoires, le lecteur connaît les monographies de Ch. Jourdain sur la Philosophie de Si-Thomas, de M. de Margerie sur la Philosophie de St-Bonaventure ^ de M, Bourgeat sur Vincent de Beauvais^ de M. Yalois sur Guillaume d'Auvergne et de M. Em. Char- les sur Roger Bacon. Faut-il l'attribuer à la réputation de subtilité des scolastiques des siècles suivants? Nous ne savons ; toujours est-il que jusqu'ici la série des monogra- phies que nous venons d'énumérer s'arrêtait au XIV« siècle. Ce n'est guère que dans des ouvrages d'ensemble, comme le Dictionnaire de M. Franck, YHistoire de la philosophie scolastique de -M. Hauréau, le second volume de la Philo- sophie de St-Thovias d'Aqiiin de Ch. Jourdain ou l'His- toire de la science politique de M. Janet, qu'on pouvait se renseigner au sujet des luttes des thomistes et des sco- tistes ou au sujet de Suarez. Désormais, le chef d'école le plus fameux du XIY" siècle, celui qu'on a surnommé, et non sans raison, le Docteur subtil, Jean Duns Scot^ aura, lui aussi, sa monographie écrite en français, et, hâtons-nous de le dire, une monographie exacte, intéressante, où les théo- ries maîtresses de sa philosophie sont débarrassées des questions subtiles dont il les surchargeait volontiers, mises en lumière, comparées aux enseignements de S. Thomas d'Aquin et appréciées généralement avec justesse. C'est à M. Pluzanski, professeur de philosophie au lycée de Rennes, que nous devons cette belle étude, qui est, comme plusieurs — 3 — do celles que nous rappelions tout à l'heure, une thèse de doctorat soutenue devant la faculté des lettres de Paris^. II En ouvrant ce livre, nous nous demandions quelle opi- nion l'auteur allait adopter sur ces théories scotistes qu'on a si diversement jugées. Un coup d'oeil sur l'introduction et sur la conclusion nous l'a, appris bien vite. M. Pluzanski rappelle, en effet, ces jugements opposés et exprime sa manière de voir à leur sujet. « La philosophie de Duns Scot, selon M. Hauréau [Hkt. de laphil. scol. t. II, p. 173), est, sinon la plus sage, du moins la plus originale que le moyen-âge nous ait laissée ». M. Pluzanski estime qu'elle est plus sage et moins originale que ne le pense le savant historien. « On dit d'ordinaire que le réalisme exagéré de Duns Scot appelait comme une réaction inévitable le nomina- lisme de Guillaume d'Occam : au contraire, si nous écou- tons entre autres M. Weber [Hist. de la phil. europ.^ 3^édit.,p. 227), les doctrines de Scot sur les universauxet sur l'individuation ont très naturellement ouvert la voie à ce nominalisme ». Suivant M. Pluzanski, Scot n'est ni réa- liste, ni numinaliste, au sens absolu de ces mots ; il entend l'origine des idées et la nature des genres et des espèces à peu près de la même manièi'e que S. Thomas d'Aquin. Les opinions ne sont pas moins opposées, quand il s'agit d'apprécier la théodicée du Docteur subtil. Laissons encore la parole à M. Pluzanski : « M. Hauréau (p. 225) et M. Rous- sclot [Eliidea mr la philosophie du moyen-àge^ t. I, p. 76), se rangeant à Pavis de Bayle, voient dans Duns Scot le spinosisine avant Spinosa. Au contraire, c'est au sujet de la doctrine de S. Tliouuis, dont il exagère l'antago- nisme avec celle de Duns Scot, que M. Secrétan (Philoso- (2) Essai sur la pldlosoplùc de Duns Scot; thèse pour le Doctorat-és-let- tres, présent(^o ;'i lit Facullo des lettres do Paris, par E. Pmzanski, pro- fesseur agrégé (Ir iihilosophie au lycée de Hennés; 1 vol. in-8 de 'iDG p. Paris, Tiiorin, 1887. (M. Plu/ausivi a été nommé depuis au lycée de Troyes). — h — pliie de la lihrrt/^ t. I, p. VII et p. 76) écrit que le spi- nosisme est au bout de la pente^ tandis que Duns Scot lui paraît un des précurseurs de la doctrine de la volonté. Isous retrouvons le même point de vue dans VHistoire de la phi- losophie de M. Fouillée (p. 211) et dans ce passage du Descartes de M. Liard (p. 192) : « Descartes franchit d'un bon l'intellectualisme des âges précédents, et renouvelant les profondes spéculations du moine Duns Scot, il fait de Dieu l'absolue liberté : c'est le trait essentiel de sa métaphysi- que ». M. Pluzanski a bien vu que Scot et S. Thomas admet- tent le dogme chn'tien de la liberté de Dieu dans l'acte créa- teur et qu'ils rejettent tous deux l'optimisme absolu de Leibnitz, que, par conséquent, ni l'un ni l'autre n'est sur la pente du spinosisme. Du reste, « on ne saurait, à son avis, opposer d'une façon absolue Y intellectualisme de S. Tho- mas au volontarisme de Scot. La divergence qui est entre eux se trouve plus dans l'application des principes et dans le détail que dans le principe même » (p. 196). Notre auteur ne pouvait oublier d'exprimer son sentiment à l'égard des préférences des scolastiques modernes pour le Docteur angélique. « C'est à S. Thomas d'Aquin, dit-il (p. 7), que se sont rattachés avant tout les néo-scolastiques. Mais, sans blâmer leur choix, il nous semble que plus d'un parmi eux se montre disciple trop exclusif... de l'Ange de l'École. Nous voudrions leur rappeler que l'Église n'a jamais renié Duns Scot, que jusqu'au dix-huitième siècle il y avait dans l'Université des chaires où l'on enseignait les thèses scotistes..., qu'enfin Suarez, le grand docteur de la Compagnie de Jésus, qui met constamment en regard les opinions scotistes et les opinions thomistes, incline parfois, dans son éclectisme modéré, vers les premières ». Si l'auteur de VEssai snr la philosojihie de Duns Scot avait étudij la Métaphysique de Suarez aussi consciencieusement que les Commentaires du Docteur subtil sur le Maître des Sen- tences, il se serait aperçu, sans doute avec quelque éton- nement, que Suarez incline vers les opinions scotistes plus souvent peut-être que M. Pluzanski lui-même. Or, l'on sait si les doctrines de Suarez comptent encore des partisans o au sein du clergé catholique, et en particulier au sein de la Société de Jésus qui a tant contribué, en Italie et en Âlle- • magne, sinon en France, à la renaissance delà scolastique. Il est vrai au'cn suivant Siiarez, ses disciples prétendent suivre S. Thomas d^\quin, qui leur parait plus fidèlement interprété par le théologien espagnol que par les philoso- phes thomistes. C'est qu'il n'est pas impossible de concilier les thomistes et les scotistes sur les questions principales de la philosophie ; c'est que dans leurs luttes, ne s'occupant que des points controversés entre eux, ils paraissent avoir ' été amenés à uploads/Philosophie/aquin-dunscot.pdf

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