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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Réflexion complice et réflexion purifiante chez Sartre et Heidegger » Antoine Hatzenberger Philosophiques, vol. 25, n° 1, 1998, p. 63-71. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/027472ar DOI: 10.7202/027472ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 11 février 2017 08:31 PHILOSOPHIQUES, VOL. XXV, N0 1, PRINTEMPS 1998, P. 63-71 RÉFLEXION COMPLICE ET RÉFLEXION PURIFIANTE CHEZ SARTRE ET HEIDEGGER PAR ANTOINE HATZENBERGER RESUME : A plusieurs reprises, mais de manière assez allusive, Sartre, dans L'être et le néant, met en cause une perspective éthique inavouée à Vœuvre dans Etre et temps. Ne peut-on, à partir de cette critique fragmentée de Heidegger, saisir les jeux de miroir qui existent entre ces deux œuvres ? Ne doit-on pas interpréter ce mouvement de distanciation comme une tentative désespérée de différer le problème moral ? Une lecture conjointe de L'être et le néant et de Etre et temps centrée sur la distinction entre réflexion complice et réflexion pure ne permet-elle pas d'entrevoir les difficultés que pose à Vontologie phénoménologique la question de Véthique ? ABSTRACT: In Being and Nothingness, Sartre on several occasions, but rather allusively, questions an ina vowed ethical perspective at work in Being and Time. Is it then possible, from this fragmented critique of Heidegger, to capture the specularity which exists between these two works? Should this distancing be interpreted as a desperate attempt to differ the moral problem? How can a jouit reading of Being and Nothingness and Being and Tune focused on the distinction between réflexion complice and réflexion pure allow us to perceive the difficulties which the question of ethics creates for phenomeno/ogica/ ontology? Le rapport de L'être et le néant h Etre et temps n'est pas simple. Prises en elles-mêmes, ces deux œuvres philosophiques majeures de notre siècle s'offrent à nous dans la succession chronologique. Mais, dans les nombreuses références à Heidegger, et surtout par les nombreuses critiques qu'il lui adresse, Sartre met en place un rapport complexe de type reflété-reflétant. Niant ce qui pourtant de bout en bout le sous-tend, L'être et le néant est, pourrait-on dire, par rapport à Etre et temps comme le pour-soi par rapport à l'en-soi. Heidegger est là, mais toujours sur le mode de la négation. 64 PHILOSOPHIQUES De la conscience, radicalement remise en question par Heidegger, Sartre fait un point de départ1. Il relativise l'importance insigne accordée à la mort dans Etre et temps2. Et, pour lui, le point de vue de Heidegger sur la question cruciale d'autrui n'échappe pas, en définitive, à l'idéalisme3. Sartre trouve même à redire contre le style du philosophe allemand caractérisé comme « manière brusque et un peu barbare de trancher les nœuds gordiens4 ». Enfin, et surtout, à plusieurs reprises, et de manière assez allusive, Sartre critique une certaine mauvaise foi de Heidegger qui aurait introduit subrepticement un point de vue moral dans Etre et temps, une éthique inavouée : [...] la description de Heidegger laisse trop clairement paraître le souci de fonder ontologiquement une Ethique dont il prétend ne pas se préoccuper5. [...] les expressions « authentique » et « inauthentique » [que Heidegger] emploie [sont] douteuses et peu sincères à cause de leur contenu moral implicite6. C'est donc par rapport à ce qu'on pourrait appeler le problème moral que le mouvement de reprise critique d u n système philosophique par l'autre pose les problèmes les plus délicats. L'interrogation sur ce problème moral est sollicitée par le paradoxe devant lequel nous place L'être et le néant : Sartre semble voir dans Etre et temps ce que justement Heidegger affirme nettement n'y être pas. En effet, celui-ci a établi le cadre méthodologique de l'interprétation du phénomène du on en se tenant loin de toute perspective éthique : [...] l'interprétation a une intention purement ontologique, elle est donc on ne peut plus éloignée d'une critique moralisante du Dasein quotidien7. [...] l'interprétation ontologique existentielle ne se prononce [...] pas [...] ontiquement sur la « corruption de la nature humaine », non parce que les moyens pour la prouver font défaut, mais parce que sa problématique se tient en deçà de tout énoncé sur la corruption ou la non-corruption8. 1. Sartre, L'être et le néant, Paris, Gallimard, 1943 : « il faut partir du cogito » (p. 112). 2. Heidegger procède par un « tour de passe-passe » ; sa pensée de la mort se meut dans « un cercle » (ibid., p. 591). « Ainsi, nous devons conclure, contre Heidegger, que loin que la mort soit ma possibilité propre, elle est un fait contingent qui, en tant que tel, m'échappe par principe et ressortit originellement à ma facticité. » (p. 603) 3. « Heidegger n'échappe pas à l'idéalisme. » « Il serait vain [...] de chercher dans Sein Hnd Zeit le dépassement simultané de tout idéalisme et de tout réalisme. » (Ibid, p. 295) 4 . Ibid, p. 290. 5 . Ibid, p. 118. 6 . Ibid, p. 5 8 8 . ^ 7. Heidegger, Être et temps, trad, de F. Vezin, Paris, Gallimard, 1986, p. 214 [167]. 8. Ibid, §38, p. 227[179-18O]. RÉFLEXION COMPLICE ET RÉFLEXION PURIFIANTE 65 On peut alors se demander si, dans ce dialogue qu'il instaure, dans cette relation critique qu'il met en place à l'encontre d'une de ses références constitutives, en fait, Sartre ne met pas en évidence certains points problématiques de son propre système. Tout au moins, ne met-il pas par là l'accent sur un certain inachèvement — explicitement assumé par ailleurs — de ce système ? Pour essayer d'éclairer le sens de cette critique paradoxale9, et de distinguer par là ce qu'elle indique en termes d'opposition et surtout de parallélisme entre L 'être et le néant et Etre et temps, il faut saisir le problème moral là où il se pose, c'est-à-dire sur le terrain de la distinction heideggerienne entre authenticité et inauthenticité10. Pour le Dasein, l'inauthenticité est le mode d'être le plus courant, quotidien, car « d'abord et le plus souvent, le Dasein ne fait qu'un avec le on11 ». C'est le mode d'être dans lequel le Dasein ne peut avoir qu'une compréhension impropre de lui-même, ne comprenant qu'improprement le temps, la mort... Mais ce qu'il faut souligner, c'est que l'inauthenticité n'est aucunement marquée d'un quelconque discrédit moral ; dans le § 9, Heidegger pose que « l'impropriété du Dasein ne signifie [...] pas une sorte de " moindre " être ou un niveau d'être " dégradé » par rapport au Dasein authentique. Dit autrement, « fl]e phénomène du dévalement [Verfa/len] ne présente pas [...] quelque chose comme un " côté sombre " du Dasein, une qualité survenant ontiquement et pouvant servir à nuancer le tableau un peu trop riant de cet étant. Le dévalement révèle une structure ontologique tenant à Fessenee du Dasein lui-même qui en accuse d'autant moins le côté nocturne qu'elle configure tous ses jours dans leur quotidienneté13 ». Cette notion de Verfallen ne doit pas évoquer le sens moral moralisateur — de la chute14. Certes, « [\]e Dasein chute en lui-même à partir de lui-même, il plonge dans le vide et l'inanité de la quotidienneté impropre », mais le rapport authenticité- inauthenticité est un rapport de simultanéité : le Dasein est tout à la fois authentique et inauthentique. C'est Sartre qui semble introduire une nuance morale dans cette distinction en faisant de ce rapport un 9. L'étude de cette critique paradoxale fait délibérément abstraction de toute stratégie de distinction. Stratégie dont l'éventualité est évoquée par Alain Renaut, dans Sartre, le dernier philosophe, Paris, Grasset, 1993, p. 59 : « Dans ces réserves, il faut sans doute [...] faire la part des stratégies de distinction qu'un auteur débutant (après tout, L'être et le néant est le premier ouvrage véritablement important de Sartre en philosophie) estime si souvent avoir besoin de déployer, vis-à-vis de son trop proche inspirateur, afin d'affirmer sa propre pensée ». 10. E. Martineau traduit Eigentlichkeit et Uneigentlichheit par authenticité et inauthenticité [Être et temps, Paris, Authentica, 1985) et F. Vezin par propriété et impropriété. 11. Ibid., p. 214 [167]. 12. Ibid, p. 74 [43]. 13. Ibid., § 38, p. 227 [179]. E. Martineau rend Verfallen par échéance. 14. Voir la note de E. Martineau sur la distinction entre échéance et déchéance (p. 318). 15. Ibid, p. 226 [178]. 66 PHILOSOPHIQUES rapport dynamique lorsqu'il écrit que « l'état inauthentique » est « m o n état ordinaire tant que je n'ai pas réalisé la conversion à l'authenticité16 ». S a r t r uploads/Philosophie/article-reflexion-complice-et-reflexion-purifiante-chez-sartre-et-heidegger-antoine-hatzenberger.pdf
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- Publié le Aoû 18, 2022
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