Université de Montréal Le statut de la liberté dans l’existentialisme, par-delà

Université de Montréal Le statut de la liberté dans l’existentialisme, par-delà la théorie critique par Philippe Audet-Cayer Département de philosophie Faculté des Arts et Sciences Mémoire présenté à la Faculté des Arts et Sciences en vue de l’obtention du grade de maîtrise en philosophie, option philosophie au collégial 28 août 2012 © Philippe Audet-Cayer Université de Montréal Faculté des Arts et Sciences Ce mémoire intitulé : Le statut de la liberté dans l’existentialisme, par-delà la théorie critique Présenté par : Philippe Audet-Cayer a été évalué par un jury composé des personnes suivantes : _______Bettina Bergo______ Présidente-rapporteur ______Iain Macdonald_______ directeur de recherche _______Claude Piché_________ membre du jury Résumé Dans la philosophie existentialiste de Sartre, l’existence précède l’essence. C’est-à-dire que c’est la réalité humaine vécue qui définit l’homme, et non une essence abstraite qui précèderait l’existence. L’essence de la vie humaine ne serait donc pas à la portée de la philosophie, qui voudrait établir une essence qui transcenderait la réalité humaine. Pour Sartre, cette tentative d’établir une essence est vaine. L’homme n’est pas simplement, mais a à être. Sartre entrevoit dans cette exigence la seule vraie possibilité de la liberté : la liberté c’est précisément le néant qui est au cœur de l’homme et qui contraint la réalité humaine à se faire au lieu d’être. Cette notion de la liberté absolue de l’homme est très forte et a évidemment suscité la critique. Sartre s’est attiré notamment la désapprobation des penseurs de l’École de Francfort. Ils lui reprochent de ne pas rendre justice aux déterminations spécifiques qu’impose le contexte historique, social et matériel. Sa notion de liberté viendrait dissocier l’horizon des possibilités des processus qui les fixent et, du coup le mène à cautionner tacitement le statut quo, en empêchant la liberté de servir de critère pour critiquer la domination existante. Une philosophie existentialiste reste-t-elle possible par-delà cette critique? La croyance en le caractère absurde de la vie humaine et l’exigence à se faire pour donner un sens à l’existence peuvent-elles tenir sans postuler la liberté absolue? Ou bien cette liberté doit-elle nécessairement être circonscrite par une théorie sociale critique, sans quoi l’existentialisme colportera clandestinement le maintien du statu quo? Mots clés : Existentialisme, Sartre, liberté, déterminisme, marxisme, théorie critique, École de Francfort, Marcuse Abstract In Sartre’s existentialist philosophy existence precedes essence. This means that it is the life being lived that defines man, and not an abstract essence that precedes him. The essence of human life is thus not reachable with a philosophy that would want to posit an essence that transcends human reality. Sartre considers this attempt to establish an essence vain. Man is not simply, but rather has to be. Sartre sees in this the only true possibility for liberty: liberty is precisely the nothingness that is at the heart of man and compels the human reality to make itself instead of just being. This notion of absolute liberty for man is a strong one and has indeed been criticized. Among critics, Sartre met with the disapproval of the thinkers of Frankfurt School. They accused him of not seeing the specific determinations that the historical, social and material world imposes on man. His notion of liberty dissociates the horizon of possibilities from the processes that establish them, which make him tacitly encourage the status quo, because he prevents liberty from being used as a criterion to criticize the existing domination. Is an existentialist philosophy still possible beyond this critic? Can the belief in the absurd nature of human life and in the necessity of making oneself to give sense to existence still hold without postulating absolute liberty? Or must liberty necessarily be circumscribed by a critical social theory, without which existentialism will clandestinely encourage the status quo? Keywords : Existentialism, Sartre, freedom, liberty, determinism, Marxism, critical theory, Frankfurt School, Marcuse LE STATUT DE LA LIBERTÉ DANS L’EXISTENTIALISME, PAR-DELÀ LA THÉORIE CRITIQUE par Philippe Audet-Cayer I - La liberté dans L’Être et le Néant 1.1 - Un vocabulaire heideggérien .............................................................................................. 6 1.2 - L’existence précède l’essence ............................................................................................ 7 1.3 - Condamnés à être libre ....................................................................................................... 8 1.4 - Sans Dieu ni nature ........................................................................................................... 12 1.5 - Angoisse et mauvaise foi .................................................................................................. 16 1.6 - L’enfer, c’est les autres ..................................................................................................... 18 1.7 - Responsabilité radicale ..................................................................................................... 19 II - Le rôle de la philosophie pour l’École de Francfort 2.1 - De multiples sources ......................................................................................................... 25 2.2 - Marx et le matérialisme .................................................................................................... 28 2.3 - La théorie critique : pas un relativisme ............................................................................ 31 2.4 - La liberté pour l’École de Francfort ................................................................................. 33 III - La liberté de Sartre critiquée par Marcuse 3.1 - Luther, Kant, Sartre .......................................................................................................... 35 3.2 - La liberté chez Sartre ........................................................................................................ 40 3.3 - Contre le matérialisme ...................................................................................................... 42 3.4 - Le concept de liberté bourgeois ........................................................................................ 45 Conclusion .................................................................................................................................... 51 Bibliographie................................................................................................................................. 54 À Maude… Remerciements J’aimerais remercier mon directeur pour ses précieux conseils. Mes parents pour leur support indéfectible. Ma sœur pour sa confiance en moi. Mes amis pour m’avoir gardé les pieds sur terre. Et surtout ma copine pour m’avoir supporté… 1 LE STATUT DE LA LIBERTÉ DANS L’EXISTENTIALISME, PAR-DELÀ LA THÉORIE CRITIQUE par Philippe Audet-Cayer Le concept de liberté est l’un des concepts principaux de l’histoire de la philosophie occidentale. En fait, non seulement la liberté est-elle centrale dans la réflexion philosophique, mais elle occupe une place prépondérante dans la vie courante et dans le discours politique commun. On la retrouve, par exemple, dans la devise de la France : Liberté, Égalité, Fraternité. Elle apparaît comme la première valeur qui définit l’identité des Français. Depuis le XIXe siècle, et particulièrement au XXe siècle, l’appartenance à une nation, sous la gouverne d’un État- nation, a, pour la plupart des Occidentaux, priorité sur toute autre allégeance identitaire. Le nationalisme prend le pas sur la religion d’antan et guide le choix (souvent inconscient) des valeurs. La France est loin d’être un cas unique. Les États-Unis d’Amérique, on l’observe dans leurs débats politiques, donnent une place centrale à la liberté. Elle est invoquée à gauche comme à droite pour peser pratiquement chacune des politiques publiques. On dira par exemple que telle politique qui redistribue la richesse, par le biais d’une fiscalité progressiste, est une menace à la liberté. Pourtant, sous cet usage en apparence banal du mot liberté se cache une complexité philosophique abyssale. Il suffirait de se livrer à un petit questionnement socratique auprès de l’élite politique américaine pour le constater. Si, tel un Socrate moderne, nous tentions d’obtenir de ces gens la définition de la liberté, nous en ressortirions probablement avec mille et une définitions, ce qui suggérerait qu’aucune ne cernerait adéquatement ce qu’elle est. La plupart diraient que la liberté est un droit inaliénable qui doit être défendu à tout prix. Il est difficile de s’opposer à cette affirmation. C’est la valeur cardinale de la morale occidentale 2 depuis, entre autres, Kant, parfois appelé penseur de la liberté. C’est également la valeur principale de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, signée par la plupart des États de l’Organisation des Nations Unies. Pourtant, dire que la liberté est un droit inaliénable ne constitue pas une définition satisfaisante de ce qu’est la liberté. Le fait d’être un droit inaliénable pourrait être, tout au plus, l’une des caractéristiques qui composeraient la définition de la liberté. Dans la réalité, la liberté n’est jamais vraiment un droit inaliénable. En effet, faire de la liberté un droit inaliénable constitue plutôt une injonction qu’une définition. C’est bien parce que la liberté est souvent, de fait, « aliénée » que des hommes ont cru nécessaire de la protéger par une déclaration universelle. Dans le monde concret, la question que l’on se pose le plus souvent, c’est celle du comment. On se demande comment faire en sorte que la liberté soit assurée, en pratique. On se demande quelles sont les conditions matérielles concrètes qui doivent être atteintes pour que la liberté soit, de fait, un droit inaliénable. On décline la liberté de ceci… la liberté de cela… mais, dans ces questionnements, la définition de la liberté reste toujours implicite, non élucidée. Nous en sommes donc au même point. Cette liberté, laquelle nous aimerions qu’elle soit un droit inaliénable, quelle est-elle? Poser cette question nous entraîne inévitablement sur le terrain de la philosophie. Le concept de liberté est l’un des plus féconds pour la réflexion philosophique parce qu’il suscite des débats fondamentaux. Contrairement à certains concepts philosophiques qui limitent la réflexion à la métaphysique, et qui n’ont que peu ou pas de portée sur la vie pratique, le concept de liberté mène rapidement au concret. D’ailleurs, aucune réflexion éthique ou morale ne peut se dispenser d’avoir une conception donnée, implicite ou non, de la liberté. Souvent, la liberté est même l’un des éléments de base d’une éthique. Entraver la liberté d’un être humain, soumettre 3 un être humain à l’esclavage, c’est non seulement un acte qui révulse à la morale du sens commun, mais c’est dans plusieurs théories éthiques le plus élémentaire des torts. Une tentative de fonder une éthique qui uploads/Philosophie/audet-cayer-philippe-2012-memoire.pdf

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