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13/05/13 Christian HOFFMANN, Une subjectivité sans sujet - CRPMS www.crpm.univ-paris-diderot.fr/spip.php?article76 1/10 Une subjectivité sans sujet Christian Hoffmann « Mais qu’est-ce à dire qu’une souffrance sans sujet » Marguerite Durras Résumé : La clinique de l’hallucination présente un phénomène psychotique où le sujet disparaît. La question se pose ainsi de l’existence de phénomène sans sujet qu’on qualifiera desubjectivité sans sujet. L’argumentation nécessite de revisiter cette notion philosophique et scientifique de « subjectivité sans sujet » de Wittgenstein jusqu’au mouvement éliminativiste en sciences. Le retour actuel de la subjectivité en science et en philosophie peut s’expliquer par une lecture de l’histoire de lasubjectivité de Foucault. Wittgenstein et Foucault maintiennent l’existence d’un sujet éthique où le sujet de la psychanalyse lacanienne n’est pas en reste. La reconnaissance de nouvelles subjectivitéss’articulant à la variabilité des normes par la construction identitaire de pratiques de soi peut contribuer à éclairer ce qu’on appelle aujourd’hui « les nouvelles pathologies » qui englobent les « pathologies de la limite ». L’hypothèse de l’auteur propose de reconnaître que certaines constructions subjectives appuyées sur des pratiques identitaires de soi sont des « solutions élégantes » à un potentiel psychotique. La diversité des normes et la variabilité des subjectivités permettent à bon escient de nouvelles formes cliniques qui restent déterminées par la notion de structure. Mots Clefs : Subjectivités, sujet, pratiques de soi, psychose, pathologie de la limite. Summary : The clinical fact about the psychotic phenomenon of hallucination, is the subject disappearance. The question thus arise pertains to the existence of phenomenon without subject which one will describe as subjectivity without subject. This argumentation requires to reconsider the philosophical and scientific concept of “subjectivity without subject” of Wittgenstein and the eliminative movement in sciences. The current return of subjectivity in science and philosophy can be explained in reference to the history of the subjectivity of Foucault. Wittgenstein and Foucault maintained the existence of an ethical subject which is similar to the subject of the lacanian psychoanalysis. The recognition of new subjectivities articulating itself with the variability of the standards by the identity construction of self practices, can contribute to clarify what is called today “new pathologies” which includes “border-line pathology”. The assumption of the author proposes to recognize that some Christian HOFFMANN, Une subjectivitésans sujet 13/05/13 Christian HOFFMANN, Une subjectivité sans sujet - CRPMS www.crpm.univ-paris-diderot.fr/spip.php?article76 2/10 subjective constructions, based upon self identity practices are “elegant solutions” or alternatives to a psychotic potential. The diversity of the standards and the variability of subjectivities allow therefore new clinical pathological types which remain defined by the concept of structure. Keywords : Subjectivities, subject, Self practices, psychosis, Border-line pathology. Une patiente hallucinée me déclare un jour que l’hallucination est une parole qui s’adresse au moi sans qu’il n’y ait un sujet pour l’assumer. Il y aurait donc un phénomène psychotique comme l’hallucination qui se produirait sans qu’un sujet y soit impliqué. Cette désarticulation entre le phénomène, comme par exemple celui qu’on désigne par phénomène élémentaire dans la psychose , et le sujet serait l’équivalent d’une subjectivité sans sujet. On prête cette notion de subjectivité sans sujet à Wittgenstein et aux scientistes de son époque. Cette Vienne du début du 20e siècle qui a été marquée par une « crise du sujet » dans les Lettres, les Arts et la Science comme en témoigne la fameuse Lettre à Lord Chandos de Hugo Von Hofmannstahl qui fait le récit d’une crise de dépersonnalisation. Wittgenstein s’en est largement inspiré pour sa théorie du sujet. Robert Musil en a fait son homme sans qualités. Notre époque ne se distingue pas vraiment de cette description de l’homme par son retour au naturalisme . Quelle est la pertinence de cette notion de subjectivité sans sujet dans notre clinique contemporaine ?Pour examiner cette question, il va falloir revisiter la clinique des phénomènes psychotiques et tout particulièrement l’hallucination, puis réexaminer les rapports de la subjectivité au sujet, pour nous intéresser ensuite aux effets de la variabilité actuelle des subjectivités sur les formes cliniques que prennent aujourd’hui les structures psychiques. I. Un phénomène sans sujet : l’hallucination. Je préfère le vocable de phénomène à celui de fait clinique pour évoquer la pathologie mentale parce que le phénomène se définit comme une expérience de la conscience qui implique un sujet et son mental . La clinique de Freud viendra confirmer ce choix par l’examen de sa façon de décrire l’hallucination de l’homme-aux-loups. Il la « découpe » dans le récit de son patient : « J’avais 5 ans, je jouai au jardin auprès de ma bonne, et j’étais en train d’entailler, avec mon couteau de poche, l’écorce de l’un de ces noyers qui jouent encore un rôle dans mon rêve. Je remarquai soudain, avec uneinexprimable terreur, que je m’étais coupé le petit doigt de la main (droite ou gauche ?) de telle sorte que le doigt ne tenait plus que par la peau. Je n’éprouvais aucune douleur, mais une grande peur. Je n’osai pas dire quoi que ce fût à ma bonne, qui était à quelques pas de moi, je tombai sur le banc voisin et restai là assis, incapable de jeter un regard de plus sur mon doigt. Je me calmai enfin, je regardai mon doigt, et voilà qu’il n’avait jamais subi la moindre blessure » . Lacan commente ce phénomène hallucinatoire en insistant sur plusieurs points : Le fait que le sujet s’est laissé tomber. L’impossibilité pour lui de parler de cette expérience 13/05/13 Christian HOFFMANN, Une subjectivité sans sujet - CRPMS www.crpm.univ-paris-diderot.fr/spip.php?article76 3/10 hallucinatoire à sa bonne adorée, ce qui montre combien sa Hilflosigkeit, sa détresse, et également une Ischlosigkeit, une crise du sujet . Nous voyons ainsi que l’irruption du réel hallucinatoire n’attend rien ni de la parole ni du sujet. Ce réel est hors transfert, il reste sans appel. Lacan évoque l’abîme temporel dans lequel le sujet est tombé, cet abîme est identique à celui qu’on retrouve dans le sentiment de fausse reconnaissance, de « déjà raconté » . En somme, le sujet est tombé dans un trou noir lors de l’irruption de ce phénomène hallucinatoire, lorsqu’il en émerge, il est dans l’incapacité de traduire ce phénomène en expérience. Rien n’est comptable dans cet entonnoir temporel, le sujet disparait dans le phénomène qui l’absorbe. Ces deux traits, le mutisme atterré et l’abîme temporel se retouvent dans un autre cas cité par Freud : « Ma mère se tient debout auprès de la toilette, elle lave les verres et la cuvette pendant que je suis en train de jouer dans la pièce. Je commets quelque méfait et, pour me punir, maman me donne unetape sur la main. A ma grande terreur, je vois alors tomber mon petit doigt. Il tombe dans le seau. Devant le mécontentement de ma mère, je n’ose rien dire, mais ma terreur augmente encore en voyant la domestique emporter le seau. Longtemps encore, jusqu’au moment, je crois, où j’appris à compter, je demeurai persuadé d’avoir perdu un doigt » . Wittgenstein nous propose d’expérimenter cette « disparition du sujet » du monde en imaginant une étrange situation où face au miroir un haut-parleur commenterait nos gestes selon l’adage du « ça pense » de Lichtenberg. La preuve serait ainsi faite que le monde se passe bien de l’existence du sujet. Il nous faut maintenant développer cette thèse d’une subjectivité sans sujet pour pouvoir juger de sa pertinence à éclairer certains phénomènes de la clinique comme disparition du sujet du phénomène qui l’affecte. II. Subjectivité et sujet « Des goûts et des couleurs, on ne dispute pas », ce principe kantien qui est toujours d’actualité nous permet de saisir le sujet à la limite de son argumentation. Il prend alors ce statut de « reste » de ce qui subsiste par-delà toutes les réductions et que l’on nomme l’ego depuis Descartes. Les pensées de lasubjectivité déterminent la subjectivité par son identité à ce moi que je suis. Mais chaque fois que je prononce la proposition cartésienne « Je suis, j’existe », il me reste la question que suis-je ? Même si la réponse de Descartes introduit la division dans le sujet comme chose qui pense, qui doute, qui veut, qui ne veut pas, etc., son erreur est d’avoir chargé inutilement son sujet d’une détermination ontologique de « chose pensante » et de lui attribuer la lourdeur de la « substance » de ce qui existe par soi. Ce qui donne son poids à la critique de Heidegger lui reprochant d’avoir loupé le problème ontologique de l’être du sujet. Le sujet n’est pas une chose. Kant, Husserl et Heidegger en feront l’objet de leurs critiques cartésiennes. Kant fait disparaître l’ego de la subjectivité pour ne laisser subsister qu’un sujet logique dont tout est prédiqué sans pouvoir devenir un prédicat. En somme, un sujet qui ne peut pas devenir un objet de connaissance et qui est présupposé par toute connaissance. Kant a ouvert la critique de la subjectivitédu sujet, qui se poursuit avec Heidegger et Foucault, en cherchant à définir le sujet par ses 13/05/13 Christian HOFFMANN, Une subjectivité uploads/Philosophie/christian-hoffmann-une-subjectivite-sans-sujet-crpms.pdf
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- Publié le Mar 29, 2022
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