Italies 4 (2000) «Humour, ironie, impertinence» ...............................

Italies 4 (2000) «Humour, ironie, impertinence» ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ René Stella Dante et le rire ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique René Stella, « Dante et le rire », Italies [En ligne], 4 | 2000, mis en ligne le 23 décembre 2009, consulté le 10 novembre 2013. URL : http://italies.revues.org/2366 Éditeur : Université de Provence http://italies.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://italies.revues.org/2366 Document généré automatiquement le 10 novembre 2013. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. T ous droits réservés Dante et le rire 2 Italies, 4 | 2000 René Stella Dante et le rire Pagination de l’édition papier : p. 689-704 1 Que l’homme soit le seul animal à rire, l’idée en est bien connue et peut passer pour un banal lieu commun dont on retrouve la trace dans de nombreux auteurs. Rabelais lui a sans doute donné sa formulation la plus célèbre, sa meilleure frappe de langue française, par ces quelques lignes adressées directement aux lecteurs, au tout début de son Gargantua (1534) : Amis lecteurs, qui ce livre lisez, Dépouillez-vous de toute affection, Et, le lisant, ne vous scandalisez : Il ne contient mal ni infection. Vrai est qu’ici peu de perfection Vous apprendrez, sinon en cas de rire ; Autre argument ne peut mon coeur élire, Voyant le deuil qui vous mine et consomme : Mieux est de ris que de larmes écrire, Pour ce que rire est le propre de l’homme. 2 Mais l’affirmation “rire est le propre de l'homme” a une longue histoire, qui ne commence pas avec Rabelais. Dans cette histoire, l’œuvre de Dante occupe une place qui n’est pas négligeable, et qui prouve à l’évidence que le rire n’est pas nécessairement chose uniquement légère, peu profonde, futile. La conception que Dante a du rire nous convie à considérer le rire comme une problématique liée à un arrière-plan culturel riche et profond. 3 Au chapitre XXV de la Vita Nuova, Dante abandonne le fil de son récit et ouvre une assez longue digression pour justifier la personnification d’Amour dans son sonnet Io mi senti’ svegliar dentro a lo core 1 et, plus généralement, dans la poésie latine et en langue vulgaire. Dans un premier temps, Dante affirme avec force, et une fois pour toutes, qu’Amour n’est point « una cosa per sé », autrement dit un être per se subsistens, selon la définition canonique que la philosophie scolastique donnait de la substance. Dès le début de son excursus, Dante repousse donc tout malentendu possible : en la rigueur des termes, Amour n’est pas un ens per se, ce n’est ni une substance intelligente – autrement dit substance séparée, un pur esprit - ni même une substance corporelle – autrement dit un corps, une personne – : « Potrebbe qui dubitare persona [...] di ciò che io dico d’Amore come se fosse una cosa per sé, e non solamente sustanzia intelligente, ma sì come fosse sustanzia corporale : la quale cosa, secondo la veritade, è falsa ; ché Amore non è per sé sì come sustanzia, ma è uno accidente in sustanzia » 2. Qu’Amour ne soit pas une substance, mais qu’il soit simplement un accident dans une substance revient à dire, dans le langage commun, qu’il n’existe pas un Amour comme être autonome, il existe simplement des personnes – substances – amoureuses – qualité, attribut, en bref accident affectant la substance. 4 Cela solidement posé d’entrée de jeu, la chapitre XXV se poursuit par une analyse serrée, au cours de laquelle Dante démontre, avec une rigueur toute syllogistique, qu’il parle bien d’Amour comme si – et le “comme si” est capital – il s’agissait d’un homme, en hypostasiant le concept d’amour : « E che io dica di lui come se fosse corpo, ancora sì come se fosse uomo, pare per tre cose che dico di lui » 3. Dante est clairement conscient d’hypostasier un pur concept d’accident, ce que le philosophe ne saurait se permettre, sous peine de vice grave de conduite du raisonnement, mais qui est une licentia poetarum, à la fois une liberté et un droit concédés aux poètes. Par la première de ces trois affirmations, Dante établit dans un premier temps que, dans son sonnet Io mi senti’ svegliar dentro a lo core,il parle d’Amour comme d’un corps, en lui reconnaissant l’attribut propre au corps, à savoir le mouvement ou déplacement dans l’espace : « dico che lo vidi venire ; onde, con ciò sia cosa che venire dica moto locale, e localmente mobile per sé, secondo lo Filosofo, sia solamente corpo, appare che io ponga Amore essere Dante et le rire 3 Italies, 4 | 2000 corpo » 4. Dante renvoie clairement ici à l’axiome d’Aristote qui affirme, dans la traduction latine du De motu animalium ou plus probablement dans le De caelo commenté par Averroès, « ubi non est corpus non est motus », là où il n’est point de corps, il n’est point de mouvement car seul un corps est par nature susceptible de mouvement dans l’espace 5. Après avoir établi qu’il parle d’Amour comme s’il s’agissait d’un corps, par les deux affirmations suivantes, Dante énonce les deux attributs qui, à l’intérieur de la catégorie “corps” distingue ce qui est le propre de l’homme : « dico anche di lui [Amore] che ridea, e anche che parlava ; le quali cose paiono essere proprie de l’uomo, e spezialmente essere risibile; e però appare ch’io ponga lui essere uomo » 6. Dante attire tout particulièrement l’attention sur l’attribut du « essere risibile » ce qui veut dire à la lettre “avoir la faculté de rire, être capable de rire” 7. Ainsi, plus encore que la faculté de parler, c’est la faculté de rire qui définit l’humain à l’intérieur de la catégorie “corps” ainsi qu’à l’intérieur de la catégorie “animaux, corps animés”. En effet, la faculté de parler est une propriété de l’homme, mais ce n’est pas le propre exclusif de l’homme, puisque c’est aussi le propre du perroquet. 5 Dante fonde ici son argumentation sur une définition traditionnelle de l’homme, conçu comme un animal doté de la faculté de rire. Dès le V ème siècle, Martianus Capella avait donné un manuel des sept arts libéraux, De nuptiis Philologiae et Mercurii, qui fit autorité au Moyen Âge 8 et dans lequel on pouvait lire : « quemadmodum omnis homo risibilis est, ita omne risibile est homo » 9 [de même que tout homme est capable de rire, de même tout ce qui est capable de rire est homme]. Garnaldus Compotista avait écrit : « “Risible” enim imposuerunt phylosophi et in actu et extra actu milli significato quod est aptum natum ad ridendum » 10 [en effet, les philosophes imposèrent “risible”, tant en acte que non actualisé, dans ce sens : qui est né avec la faculté de rire]. Dante se conforme scrupuleusement au langage et à la démarche de la philosophie scolastique qui, parmi les attributs, distinguait ce que l’on nommait les propria. Ce neutre pluriel désignait les “choses propres de”, c’est-à-dire les propriétés distinctives, sinon substantielles, de l’homme, ainsi que Thomas d’Aquin l’avait établi : « non omne quod est proprium alicui, pertinet ad essentiam eius, sicut risibile homini » [ce n’est pas tout ce qui est propre de quelqu’un qui concerne l’essence de celui-ci, comme le fait d’avoir la faculté de rire pour l’homme] 11. 6 L’affirmation que le rire soit un proprium exclusif de l’homme remonte en droite ligne à Aristote qui, dans son traité Les Parties des animaux, avait conclu que si l’on se met à chatouiller quelqu’un, il se met aussitôt à rire : « Quod autem solus homo hujusmodi titillatione mutatur, causa est quod pellem habeat valde tenuem, et carnem valde subtilem, et ideo nullum animal ridet nisi homo » [en effet si l’homme est le seul à être modifié de cette manière par le chatouillement, la cause en est qu’il a une peau très fine, et une chair très délicate, et c’est pour cela que l’homme est le seul animal qui rit] 12. 7 De l’affirmation d’Aristote fut tirée la conclusion que le rire est le caractère distinctif de l’homme à l’intérieur du règne animal. Albert le Grand de Cologne consacra une quaestio au problème philosophique « utrum risus soli homini conveniat » [le rire concerne-t-il seulement uploads/Philosophie/dante-et-le-rire.pdf

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