COMMENTAIRE D’UN TEXTE PHILOSOPHIQUE ÉPREUVE À OPTION : ÉCRIT Laurent Jaffro, F

COMMENTAIRE D’UN TEXTE PHILOSOPHIQUE ÉPREUVE À OPTION : ÉCRIT Laurent Jaffro, Frédéric Worms Coefficient : 3 ; Durée : 4 heures Nombre de copies : 144 Répartition des notes : <5 : 27 <8 : 53 <11 : 42 <13 : 11 <15 : 7 15 : 1 15,5 : 2 16,5 : 1 Comme le montre ce tableau, l’épreuve écrite de cette année est d’abord marquée par un grand nombre de notes insatisfaisantes, plus de la moitié étant inférieures à 8, ainsi que par le petit nombre d’explications vraiment convaincantes d’un bout à l’autre : une dizaine de notes supérieures ou égales à 13. Même s’il reste entre les deux un grand nombre de copies sérieuses, satisfaisantes à des degrés divers, le fait est là. Rappelons qu’en dehors des trop nombreux devoirs qui accumulent les confusions et les contresens, une note inférieure à 8 s’explique par une inattention au contenu et à la forme du texte, qui se traduit soit par sa paraphrase soit par le « plaquage » d’éléments extérieurs mal maîtrisés. Les notes de cette année s’expliquent souvent non par la seule difficulté intrinsèque de l’extrait, mais par la facilité avec laquelle ce dernier semblait se prêter à un double « plaquage », quant au contenu d’abord, à partir de généralités stoïciennes, quant à la forme ensuite, à partir d’une explication ne tenant aucun compte de la forme précise des Pensées. Le texte proposé (III, 9-11) consistait manifestement en un ensemble de trois pensées, successives mais disjointes. Cette structure manifeste interdisait qu’on axe le commentaire sur l’unité vague d’un thème et qu’on considère le texte comme une matière homogène et non différenciée. Le découpage en parties n’était pas non plus à la discrétion du candidat. Bref, il s’agissait de trois pensées distinctes de Marc-Aurèle et non d’un texte traitant une question de façon simplement linéaire. Chaque pensée est un tout à sa manière. Il convenait de ne pas surestimer les « donc » et les « encore » qui commencent les deuxième et troisième pensées. Ces connecteurs marquent plus la reprise d’un exercice discontinu de pensée sur (et avec) soi-même (typique de l’œuvre de Marc-Aurèle, comme beaucoup de candidats l’ont rappelé) qu’une argumentation simplement linéaire. Si l’unité du texte ne vient pas d’une continuité argumentative, elle tient à la présence d’une seule et même question, que Marc-Aurèle aborde successivement sous trois angles différents et, quoique indépendants, complémentaires, marquant ainsi sa place centrale dans ce qui est bien, tout à la fois, le système stoïcien et la philosophie propre de Marc-Aurèle. Il convenait donc, et les bonnes explications se signalaient ici plus que jamais dès l’introduction, d’insister à la fois sur la forme particulière du texte et sur le problème et les notions qui l’occupent. À la surprise du jury, rares ont été les copies qui ont identifié nettement l’objet : l’autosuffisance de la faculté de juger en l’homme, contre tout ce qui prétend s’y ajouter, et les conséquences éthiques et politiques de cette autosuffisance. Cet objet était d’une certaine façon présent dans chacune des trois pensées, mais il y était abordé sous trois angles différents et d’une manière inégalement détaillée ou explicitée, ce qui imposait une explication « successive », non pas comme d’un texte linéaire, mais comme de trois cercles concentriques d’étendue de plus en plus ouverte. Une fois qu’on avait admis que l’objet (la faculté de juger, sa souveraineté et de les conséquences pratiques de cette souveraineté) était traité sous les trois angles de ses normes internes, de son rapport au temps, enfin de son objet de connaissance proprement dit, l’explication pouvait être gouvernée par les questions suivantes : qu’a de si particulier le problème de la faculté de juger, de son autosuffisance et de ses effets pratiques, pour donner lieu à un tel traitement? Comment ce triple traitement, plus qu’une solution simplement théorique du problème, met-il en œuvre sa portée pratique elle-même? Qu’ont enfin de différent et de complémentaire les trois aspects étudiés, notamment la place exceptionnelle de la logique et de la théorie de la connaissance dans le §11 (non seulement ici, mais c’était le cas de le rappeler, dans l’ensemble des Pensées, comme beaucoup de candidats l’ont fait, citant ou non à l’appui Pierre Hadot et Michel Foucault)? Reprenons chacune des trois pensées. Le §9 est sans aucun doute le plus synthétique : sans la définir, Marc- Aurèle marque l’importance de la faculté de juger en en faisant l’objet d’un respect (dont la dimension religieuse fut souvent bien commentée). Il justifie l’autosuffisance de la faculté (son usage effectif par un homme concret : le « toi » à qui s’adresse la pensée, trop peu commenté) en la reliant à une double norme ; d’où, enfin, la portée pratique de son exercice : la conformité à la nature devient conformité en acte à la « volonté des dieux » – on devait relever ce retour de la notion de conformité. Ces trois temps d’une même pensée sont certes étroitement liés : en effet, s’il faut respecter en soi (« ta » faculté) la faculté de juger, c’est parce qu’elle est fondée sur une norme rationnelle qui nous dépasse, et résulte de l’accord de droit entre la rationalité du monde et celle de l’homme, la nature en général et la « constitution de l’animal raisonnable ». L’exercice concret de cette normativité produit des effets pratiques, un triple accord : avec soi dans chaque jugement présent, avec les autres qui en fait un bien proprement humain, et avec les dieux. Il y a donc ici (dans la tension interne de cette pensée) un écart entre la faculté de juger et le jugement effectif, entre l’équipement et l’usage que nous devons en faire, entre ce qu’il y a en droit de divin en nous et un accord de fait avec la divinité dans l’univers, écart qui dépend de nous pour être comblé et qui est l’objet propre de l’éducation philosophique (ainsi dans ces trois pensées elles- mêmes). Pour le comprendre, il fallait déplier les divers éléments de cette pensée : l’existence en nous d’une faculté directrice, ou hêgemonikon, qui doit être respectée ; son lien avec le logos à l’œuvre dans la nature et qui distingue l’homme parmi les animaux ; son aspect par là même moral de devoir pratique et d’accord avec les dieux. Mais aussi ce qui écarte cette faculté de son exercice : l’impératif du « respecte », la possibilité d’une perte (« ne perde plus »), l’obstacle à surmonter en chaque occasion (la « précipitation »), bref le retour au point central de l’éthique stoïcienne, l’insistance sur ce qui dépend de nous (par opposition à ce qui n’en dépend pas), l’usage critique de la représentation, qui devait être ici rappelé. Ici certes, comme le redira Pascal s’inspirant sur ce point des stoïciens, « bien penser » est bien « le principe de toute la morale » (Pensées, 347). De manière plus précise, le rôle « hégémonique » de la faculté de juger devait être mis au centre, tout en étant relié aux normes qui le fondent, et aux trois effets pratiques où elle se déploie, montrant ainsi l’unité de cette pensée en elle-même et avec l’ensemble du système, ainsi que la diversité des éléments dont pourra repartir chacune des deux pensées suivantes. L’unité et la diversité des pensées s’explique donc à la fois par l’importance et la complexité de leur objet, par la place centrale de la « faculté de juger » en elle-même et l’écart continuel à surmonter pour la mettre en œuvre. Unité et diversité, écart possible et donc accord indispensable entre la possession de la faculté et son usage correct, telles sont les conditions de la philosophie, exemplairement illustrées par la manière dont la faculté de juger est traitée dans ces trois pensées. Telle pouvait être, en tout cas, une transition possible vers l’explication de la deuxième pensée, peut-être la plus maltraitée par les candidats, dans une réduction trop fréquente à des généralités stoïciennes ou pire à des banalités moralisantes. Le risque était soit de forcer cette pensée à n’être qu’un moment de transition, soit d’en faire un exposé banal sur la petitesse de la vie humaine. Or l’enjeu essentiel restait ici l’autonomie de la faculté de juger, considérée d’un point de vue, celui du temps, qui n’a rien d’accessoire. Et au centre de la pensée se trouve non pas même seulement le « présent » mais bien comme le montrait Goldschmidt « l’instant » comme tel. Cette pensée comporte en effet trois moments : – Un rappel de l’exigence d’autonomie comme concentration sur l’essentiel, le jugement, en termes lapidaires : « jette donc tout, ne garde que ce peu de chose ». – Une traduction temporelle, opposant l’instant présent et le reste du temps. – Une conséquence morale enfin concernant l’appréciation de la vie humaine qui, aussi grande soit elle, reste bien « petite » Le point important consistait de toute évidence dans la thèse : l’instant est le moment du jugement, le seul moment du temps qui uploads/Philosophie/ marc-aure-le-philosophie-epreuve-a-option-ecrit.pdf

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